CNRS & CNES : l’espace main dans la main

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La multitude de missions spatiales qui vont être lancées dans les deux ans à venir avec une participation française montre l’efficacité de l’organisation du secteur spatial national.

« Un véritable feu d’artifice de missions spatiales qui vont sans aucun doute faire avancer la science à pas de géant ! » C’est ainsi qu’Antoine Petit, président-directeur général du CNRS, décrit la saison 2020-2022 des lancements à venir. Solar Orbiter, Mars 2020, Taranis, Juice, Euclid, Biomass, SVOM, SWOT, Microcarb… Il s’agit d’observer tant l’Univers (planètes, étoiles, trou-noirs, galaxies, etc.), afin de comprendre son origine et son évolution, que la Terre elle-même (continents, océans, pôles, biodiversité, éruptions volcaniques, etc.) et d’ainsi mieux appréhender notamment le changement climatique. Dans ces recherches, pour la production de connaissances et de technologies spatiales, le CNRS occupe une « place incontournable avec nos partenaires historiques », en particulier le CNES1 , agence française de l’espace.

  • 1Centre national d'études spatiales.

« Le CNES est en charge de proposer et de mettre en œuvre la politique spatiale de la France au bénéfice de toutes les communautés utilisatrices dont les scientifiques. », explique Juliette Lambin, sous-directrice Science, Exploration, Observation à la Direction de l'Innovation, des Applications et de la Science au CNES. Mais l’Établissement public à caractère industriel et commercial2  (EPIC) n’exploite pas directement les bénéfices du spatial, n’étant pas un organisme de recherche. D’où un partenariat structurel « majeur » avec le CNRS, « quintessence de la communauté scientifique française », qui dure depuis 1976 et dont l’accord cadre a été renouvelé en 2019. Cela représente 68 missions spatiales lancées ou à venir depuis 1990. L’ensemble des 10 instituts du CNRS travaillent régulièrement avec le CNES, avec notamment 16 laboratoires en cotutelle.

Statistiques sur les domaines des prochaines missions spatiales par année

« Le CNRS est sans conteste notre premier partenaire scientifique », atteste Juliette Lambin. « Par sa stature nationale et sa vocation pluridisciplinaire, le CNRS est un partenaire académique majeur sur lequel le CNES peut s’appuyer pour mettre en œuvre le programme scientifique spatial de la France. », confirme Martin Giard, directeur de recherche CNRS, délégué scientifique aux Affaires spatiales à l’Institut national des sciences de l’Univers (INSU) du CNRS et co-animateur du groupe des correspondants Espace des instituts du CNRS. Les centres techniques du CNES travaillent ainsi main dans la main avec les laboratoires du CNRS et de ses partenaires, en interaction étroite avec l’écosystème industriel français largement coordonné par le CNES, des grands groupes aux startups, soit plus de 120 entreprises et des dizaines de milliers d’emplois directement liés au spatial.

Dans ce secteur propice à l’innovation, le CNRS a aussi permis la création de plusieurs startups, avec le concours de CNRS Innovation, la filiale nationale de valorisation de l’organisme. « C’est un fonctionnement intriqué qui permet un écosystème riche et très productif. », assure Martin Giard. Cette « histoire très forte de l’ingénierie liée aux recherches scientifiques » date de la politique spatiale française « exceptionnelle » d’après-guerre, avec la volonté d’assurer l’autonomie spatiale du pays, et dépasse même le spatial, la France étant leader dans le développement de nouvelles méthodes instrumentales pour les grands télescopes terrestres.

Une collaboration efficace entre science et ingénierie

Cette collaboration entre CNRS et CNES place la France dans le peloton de tête de la science spatiale pour des systèmes toujours plus agiles et moins coûteux, qui répondent aux conditions particulières des sciences dans l’espace : des instruments miniaturisés, sobres en consommation énergétique, très résistants, y compris en environnement hostile (vide spatial, températures extrêmes, rayonnements ionisants) et fonctionnant sans possibilité d’intervention humaine. Les laboratoires du CNRS instrumentent ainsi une part importante des missions spatiales européennes et internationales. Si ces missions sont décidées au niveau international avec l’appui du CNES, la conception en France est en effet aux mains des chercheurs et chercheuses du CNRS et de ses partenaires, et souvent également la fabrication, surtout si l’enjeu est scientifique. « L’essentiel des programmes spatiaux français se fait dans le cadre de l’Agence spatiale européenne (ESA) ou en partenariats internationaux avec, par exemple, la Nasa. Le CNES porte la participation française dans tous ces cas. », ajoute Juliette Lambin. Pour l’instrument SuperCam, récemment parti vers Mars avec le rover Perseverance, le CNES a donc fait l’interface avec la Nasa et payé les dépenses externes, même si les développements instrumentaux ont eu lieu dans les unités mixtes en partenariat avec les universités et grands organismes de recherche, en particulier l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie3 . En sciences de la Terre, pour des missions d’observation comme Calipso, un satellite franco-américain lancé en 2006 pour étudier les nuages et les aérosols, les instruments sont souvent fabriqués par des industriels, le CNES étant maître d’ouvrage, et les données sont exploitées dans les laboratoires.

Vue de Persévérance dans sa configuration de voyage dans le lanceur
Comme toute mission spatiale, Perseverance est issue d'une collaboration internationale mêlant instrumentation scientifique et ingénierie de pointe. Images © NASA

Même si les deux institutions collaborent sans cesse, « certaines missions sont plus tournées vers l’ingénierie spatiale, cœur de métier du CNES, et d’autres ont vocation à faire progresser la connaissance, la recherche fondamentale sans application directe, qui intéresse le CNRS. », ajoute Martin Giard. La mission MMX (Martian Moons Exploration), prévue en 2024 vers Phobos et Déimos, les deux lunes de Mars, est ainsi une « belle mission d’exploration spatiale » en collaboration avec le Japon, une première en termes d’ingénierie, tandis que l’idée du télescope spatial européen Euclid, qui va chercher à mesurer précisément les formes des galaxies afin d’obtenir des indices sur la nature de l’énergie noire, « vient des laboratoires » et ne présente aucun enjeu applicatif, en dehors du « challenge d’ingénierie de pointe » que représente sa construction. Pour ce télescope, les instruments sous responsabilité française ont été livrés cette année et le lancement est planifié pour 2022.

« Nous vivons une période foisonnante avec une explosion de l’intérêt pour le spatial », se réjouit Juliette Lambin, citant autant les initiatives privées (comme SpaceX) et la volonté de pays émergents à participer, comme les Émirats arabes unis qui ont lancé leur première mission vers Mars le 19 juillet dernier, que le retour de la course à l’exploration humaine rythmée par les ambitions de la Chine et des États-Unis et dans laquelle « l’Europe doit se positionner ». « Une situation exceptionnelle » au niveau des lancements spatiaux de recherche, confirme Martin Giard, qui ne se reproduira pas avant 2030, surtout que la crise économique qui fait suite à la crise sanitaire du COVID-19 n’épargnera pas ce secteur dont les missions « exigent beaucoup de ressources ».

  • 2Plus précisément, d’après le Code de la recherche (Article L331-1), le CNES est un « établissement public national, scientifique et technique, à caractère industriel et commercial, doté de l'autonomie financière ». 
  • 3CNRS/Université de Toulouse Paul Sabatier/CNES.