« Les chercheurs du monde entier travaillent ensemble pour trouver des solutions à cette pandémie »

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Mona Nemer est depuis 2017 scientifique en chef du Canada — la principale conseillère du premier ministre Justin Trudeau en matière de politique scientifique et de recherche. Elle répond à nos questions sur la façon dont la recherche canadienne se mobilise pour répondre à la crise du COVID-19.
 

Où en est la crise du COVID-19 au Canada et quelles sont les difficultés ou particularités du pays pour lutter contre cette pandémie ?
Mona Nemer :
Au Canada, l’épidémie bat son plein. À la fin d’avril, le pays de 38 millions d’habitants comptait environ 50 000 cas confirmés et près de 3 000 décès. Toutes les provinces et tous les territoires1 ont déclaré l’état d’urgence. Toute la population active, sauf les travailleurs essentiels, travaille à domicile et pratique la distanciation sociale, de nombreuses entreprises sont fermées, l’enseignement universitaire est désormais effectué en ligne et les rassemblements sont interdits. Il est à noter que l’épidémie progresse différemment d’un bout à l’autre du pays et que certaines provinces où le nombre de nouveaux cas est en baisse depuis plusieurs jours vont bientôt enclencher des plans de « déconfinement » progressif.

Je voudrais souligner deux difficultés auxquelles le Canada est confronté. Premièrement, 20 % des Canadiens vivent dans des communautés rurales, isolées ou nordiques, où l’accès aux soins de santé et aux tests est limité. Deuxièmement, le Canada est une fédération de provinces et de territoires, et les soins de santé sont de compétence provinciale et territoriale. Cela signifie qu’il doit y avoir une coordination de haut niveau entre les provinces et les territoires, mais également – et cela est une bonne chose – que chaque gouvernement peut adapter sa réponse aux besoins locaux. 

Le Canada a également des atouts. Par exemple, la crise du SRAS en 2003 a permis de tirer des leçons en matière de préparation et de gestion de crises sanitaires qui ont été utiles pour préparer les gouvernements et les systèmes de santé à cette pandémie. Bien entendu, nous avons encore beaucoup à apprendre et à améliorer à la suite de la présente crise.
 

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Justin Trudeau, Premier ministre Canadien avec Mona Nemer, Scientifique en chef du Canada. ©Government of Canada

Votre poste de conseillère scientifique en chef a été créé en 2017 par le gouvernement du premier ministre Justin Trudeau. Quel est-il exactement et comment est-il mis à contribution pendant cette crise ?
M. N. : Le gouvernement et le premier ministre du Canada ont donné la priorité à la science et aux données probantes dans le processus décisionnel. Mon rôle est de leur fournir des conseils scientifiques sur des questions d’importance nationale. Pendant cette pandémie, je me suis acquittée de ce rôle en établissant des comités consultatifs d’experts de diverses disciplines pour faire le point sur l’évolution rapide de la situation et m’aider à formuler des conseils objectifs au premier ministre et à certains ministres. De plus, je fais partie de quelques comités interministériels chargés de la coordination de la réponse à la crise en matière de recherche et développement. Je tiens régulièrement des réunions avec mes collègues conseillers scientifiques internationaux afin de coordonner nos efforts scientifiques et d’échanger sur notre réponse à la pandémie.

J’ai également accordé beaucoup d’importance à la communication scientifique en donnant plusieurs entrevues dans les médias à la télévision et à la radio, en français et en anglais. Les médias ont un rôle pédagogique essentiel et il faut les appuyer en se rendant disponible. 

Quelles sont les questions principales sur lesquelles se penchent ces comités consultatifs d’experts spécifiquement créés pour la crise ? Interagissent-ils directement avec le premier ministre ? 
M. N. : Non, en tant que conseillère scientifique en chef, j'ai la responsabilité de coordonner les conseils scientifiques au gouvernement. Dans le cas présent, j’ai mis en place trois groupes d’experts pour répondre aux questions du gouvernement mais aussi pour anticiper les défis et développer des pistes de solutions qui tiennent compte des dernières connaissances scientifiques. Le premier est un groupe multidisciplinaire qui me conseille sur un certain nombre de questions générales en matière de recherche en maladie infectieuse et santé publique. Les deux autres sont plus spécialisés, l’un étant axé sur les systèmes de santé, et l’autre sur la modélisation de l’évolution de pandémies. De plus, nous avons fait appel à plusieurs groupes de travail pour répondre à des questions pointues, telles la stérilisation des masques N95 ou la gestion des maisons des aînés, composés de spécialistes et de praticiens. La communauté scientifique s’est vraiment surpassée durant cette pandémie, offrant généreusement son temps et son expertise dans une période stressante pour tous. 

Le premier ministre reçoit également les conseils de l’administratrice en chef de la santé publique, qui guide l’intervention opérationnelle et communique avec les médecins en chef de toutes les provinces et territoires du Canada. Nos rôles sont complémentaires.
 

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Le gouvernement canadien a mis en place une stratégie médicale et de recherche évaluée à 1,1 milliard de dollars pour lutter contre l’épidémie de COVID-19. © Government of Canada

Le 23 mars, le Canada avait déclaré qu’il consacrerait 275 millions de dollars canadiens à la recherche sur le coronavirus. Ce montant a été revu à la hausse depuis ?
M. N. :
Oui, l’investissement de 275 millions de dollars annoncé en mars par le gouvernement du Canada soutiendra la recherche sur le coronavirus et les contre-mesures médicales, y compris le développement de vaccins et de thérapies. Mais cette somme n’était qu’un premier investissement en recherche. Depuis, le gouvernement a ajouté un peu plus d’un milliard de dollars pour appuyer une stratégie nationale de recherche médicale pour lutter contre la COVID-19, dont 600 millions sur deux ans afin d’appuyer le travail du secteur privé dans l’élaboration d’un vaccin et les essais cliniques thérapeutiques.

Le Canada est reconnu pour ses recherches en intelligence artificielle (IA). Cette discipline a-t-elle un rôle à jouer dans la lutte contre cette pandémie?
M. N. : En réponse à la pandémie de COVID-19, le secteur canadien de l’IA a pris des mesures pour offrir des solutions novatrices à différentes échelles, notamment sur les plans moléculaire, médical et épidémiologique. De plus, des organisations en mesure de rassembler les communautés de recherche, tels que les Instituts canadiens de recherche avancée et les supergrappes de l’innovation, ont mobilisé leurs réseaux pour se mettre en quête de solutions. Le Canada a en effet établi une présence mondiale dans le domaine de la recherche et du développement de talents en IA. Les forces du pays en matière de recherche sont largement réparties dans les établissements d’enseignement supérieur canadiens ainsi que dans plusieurs PME. Il y a des centres d’expertise d’importance à travers le pays, notamment à Toronto (Institut Vector), à Montréal (Institut des algorithmes d’apprentissage de Montréal) et à Edmonton (Institut d’apprentissage machine de l’Alberta). Ces capacités de recherche et ces talents ont alimenté l’activité du secteur privé ces dernières années, grâce à la fondation d’entreprises dérivées et à l’attraction de mandats de R&D de la part de multinationales de technologie de premier plan.

Vous soutenez beaucoup les efforts de coopération internationale en recherche. Ceux-ci ont-ils été à la hauteur pour faire face à cette pandémie? 
M. N. : Les chercheurs du monde entier sont mobilisés par cette pandémie et travaillent ensemble pour trouver des solutions. Nous assistons à une collaboration et un échange des données sans précédent à l’échelle mondiale. De multiples plateformes ont vu le jour pour jumeler les chercheurs dans divers domaines, des dépôts en ligne offrent l’accès à des études des mois avant les revues scientifiques, et les chercheurs ont identifié et diffusé des centaines de séquences de génomes viraux. Plus de 200 essais cliniques ont été lancés, réunissant des hôpitaux et des laboratoires du monde entier. Les chercheurs canadiens sont fortement impliqués dans la coordination de ces efforts mondiaux par leur présence au sein de comités internationaux dont l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et diverses fondations internationales. Ils sont aussi impliqués dans des collaborations internationales en matières de développement de thérapies et de vaccins qui comportent des études cliniques d’envergure. Enfin, le Canada a contribué à financer des alliances internationales telle CEPI (Coalition for epidemic preparedness innovations) qui coordonne le développement de vaccins.

Comment voyez-vous cette collaboration internationale évoluer à la suite de cette crise? 
M. N. : Je pense que nos efforts de collaboration pour traiter cette nouvelle maladie, que ce soit par le financement mixte d’essais cliniques ou la mise en commun de données, d’installations et de ressources, contribueront à réduire les inefficacités et la duplication des efforts. Il est vraiment utile que les chercheurs et leurs gouvernements mettent leurs ressources en commun avec celles d’autres pays. Je pense donc qu’il y aura davantage de coopération internationale à l’avenir, non seulement pour préparer la réaction à une inévitable prochaine pandémie, mais aussi pour relever d’autres défis mondiaux urgents. Cela pourrait signifier davantage de visites et d’échanges de chercheurs, à moins que nous arrivions tous à maîtriser les réunions virtuelles d’ici là !

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Antoine Petit, Président-directeur général du CNRS avec Mona Nemer, scientifique en chef du Canada le 19 septembre 2019 à Paris. ©CNRS


Vous connaissez bien le CNRS. Quel est ou quel peut être son rôle pour renforcer les collaborations franco-canadiennes en matière de recherche? 
​​​​​​​M. N. :
Bien sûr, la France et le Canada, et en particulier le Canada français, entretiennent depuis longtemps des relations riches et profondes, renforcées par des valeurs, une histoire et une langue communes. Cette relation englobe une forte collaboration entre nos collectivités de recherche par l’entremise de laboratoires internationaux affiliés et d’unités mixtes internationales. Il serait intéressant de voir comment on peut construire sur ces structures et les nouvelles collaborations des consortiums bilatéraux, voire multilatéraux pour pérenniser cette coopération en recherche. Par ailleurs, aujourd’hui plus que jamais, l’accès aux données et à la science est primordial. Je pense que le fait de communiquer ouvertement les résultats de nos recherches communes et de rendre nos banques de données ouvertes et accessibles peut être une contribution utile aux membres de la Francophonie et aux autres populations.

  • 1Le Canada compte 10 provinces et trois territoires.

Le CNRS au Canada

 « L'organisme de recherche français a une longue tradition de coopération scientifique avec le Canada qui est le troisième pays le plus important (hors Union européenne) en termes de co-publications du CNRS. Parmi les projets structurants au Canada, il existe aujourd’hui 5 IRL (International Research Laboratories) et 14 IRP (International Research Projects). En janvier 2019, le CNRS a ouvert à Ottawa, conjointement avec l’Université de Lyon, une Antenne du Bureau « Amérique du Nord » dédié  au renforcement des coopérations scientifiques franco-canadiennes. »