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Stéphanie Dord-CrousléSpécialiste de Flaubert

Stéphanie Dord-Crouslé est chargée de recherche CNRS à l’Institut d’histoire des représentations et des idées dans les modernités (IHRIM / ENS de Lyon / Lyon 2 / Lyon 3 / UJM / UCA / CNRS). Après les classes préparatoires littéraires Hypokhâgne et Khâgne, elle intègre l’École normale supérieure de la rue d’Ulm. Elle obtient une agrégation de Lettres modernes et débute un doctorat en littérature française. Recrutée au CNRS, elle se réjouit de pouvoir continuer à travailler sur Flaubert, et plus généralement la littérature française du XIXe siècle.

« Bizarrerie de la recherche en littérature : en physique ou en économie on peut recevoir le prix Nobel ; en littérature, c’est à l’objet du discours scientifique, l’écrivain, et non à son producteur qu’il sera remis ! Certains collègues ont le double profil ; moi, je n’écris pas, si ce n’est sous forme critique. Analyser le discours d’autrui c’est ce qui m’intéresse. » Quand d’autres bovarysaient, la « flaubertitude » de Stéphanie Dord-Crouslé lui vint – expérience mémorable – à la lecture de L’Éducation sentimentale. Mais son grand œuvre au sein du continent des manuscrits de Gustave Flaubert, c’est Bouvard et Pécuchet, le dernier roman inachevé et posthume – du grand écrivain. « Flaubert est mort en l’écrivant, littéralement. Il devait y avoir un deuxième volume pour lequel   il avait déjà réuni de la documentation et mis en place des éléments de scénario. »

Un siècle et demi plus tard, grâce aux Humanités numériques, on peut construire des « suites » à l’incomplet roman : la mise en ligne des manuscrits laissés par l’écrivain et leur encodage permettent désormais à tout internaute de les visualiser et de manipuler les fragments textuels dont ils sont constitués afin de produire des agencements. « Ainsi, à partir des documents existants, on peut composer, non pas le second, mais une pluralité de seconds volumes possibles – ce que Flaubert aurait pu écrire s’il n’était pas mort. »

Dans le champ des Humanités numériques, les outils informatiques se font dociles et ductiles au service de l’analyse littéraire. « Avant, on pouvait imprimer des ouvrages qui proposaient une reconstitution conjecturale du second volume de Bouvard et Pécuchet. Le numérique permet de ne rien fixer ; il autorise à recomposer sans cesse de nouvelles versions et à tester d’autres hypothèses de classement. Entre un stylo et un ordinateur, c’est sûr, je prends l’ordinateur ! ».

Le travail de Stéphanie Dord-Crouslé se fait par phases en équipe mais le plus souvent de manière assez solitaire. « Le projet Bouvard a réuni une équipe internationale pendant plusieurs années, mais dans la réalité de tous les jours, je suis seule à mon bureau. Ce n’est pas un travail de paillasse, mais de rat de bibliothèque numérique. » Et en ce qui concerne la parité, les femmes sont plutôt bien représentées dans cette discipline.

Son domaine en quelques mots

Spécialiste de Flaubert, Stéphanie Dord-Crouslé analyse la genèse des œuvres de cet écrivain et travaille à leur édition aux formats imprimé et numérique. En particulier, elle dirige le site Les dossiers documentaires de Bouvard et Pécuchet qui rassemble virtuellement les pages, aujourd’hui dispersées, préparées par Flaubert en vue de son dernier roman. Outre leur édition structurée, le site propose un outil de production de « seconds volumes » possibles pour cette « encyclopédie critique en farce » à la fois posthume et inachevée.