Mouvement brownien : l’exception qui confirme la règle

Résultats scientifiques Matériaux

Conséquence de l’agitation thermique des molécules d’un fluide, le mouvement brownien se traduit par un déplacement d’autant plus rapide que les particules en présence sont petites. En reproduisant un fluide complexe structurellement comparable aux membranes biologiques, des chercheurs du Centre de recherche Paul Pascal (CNRS/Université de Bordeaux) et de l’université de Louvain en Belgique obtiennent un résultat contre-intuitif : les particules plus grosses se déplacent plus vite. Très fondamental mais potentiellement précurseur de nouvelles stratégies pour délivrer les médicaments, ce résultat est publié dans la revue Physical Review Letters.

Le mouvement brownien désigne le déplacement aléatoire d'une grosse particule lorsqu’elle est immergée dans un fluide, comme de l’eau, et se retrouve soumise aux chocs avec les molécules du fluide. Ce phénomène de diffusion des particules décrit par Jean Perrin et Albert Einstein résulte de l’agitation thermique des molécules. Grâce au coefficient de diffusion établi par Einstein, il est admis que le mouvement brownien des petites particules est plus rapide que celui des grosses particules, car celles-ci sont ralenties par leur friction plus importante avec le fluide. Mais qu'en est-il dans des fluides plus complexes que l’eau, tels que les gels, les cristaux liquides ou les milieux vitreux, ces environnements denses où les possibilités de déplacement sont limitées ?

C’est ce que des spécialistes de la matière molle du Centre de recherche Paul Pascal de Bordeaux et de l’université de Louvain en Belgique ont voulu déterminer. Par une approche originale utilisant des virus dont la taille peut être fixée par manipulation génétique, ils ont reproduit un environnement complexe organisé en couches composées d’un assemblage de particules en forme de bâtonnets (les virus). Après avoir inséré dans ce système lamellaire des bâtonnets plus longs, ils ont étudié individuellement leur mouvement par microscopie optique de fluorescence. Résultat : dans ce milieu, les longs bâtonnets peuvent se déplacer plus rapidement que ceux qui les entourent, pourtant plus courts… La raison ? La taille choisie pour les longues particules : 1,3 fois supérieure aux autres. Grâce à cette taille dite non-commensurable, c’est-à-dire qui ne correspond ni à la taille caractéristique des particules environnantes ni à ses multiples, les grandes particules doivent s’insérer dans plusieurs couches et sont ainsi moins contraintes. En disposant d’un plus grand volume libre, elles peuvent alors se déplacer plus vite.

Et ce n’est pas par hasard si les chercheurs se sont intéressés à cette organisation lamellaire ; elle modélise en effet une structure très répandue dans le monde vivant : les membranes biologiques, elles-mêmes formées d’une double couche de molécules lipidiques. Pour l’heure très fondamentaux, ces travaux pourraient bien stimuler les recherches pour élaborer des particules capables de se déplacer très rapidement dans les membranes cellulaires et ainsi permettre d’envisager des modes d’administration de médicaments plus rapides et donc plus efficaces…

 

Image retirée.
Représentation de la structure lamellaire formée par l’assemblage de particules en forme de bâtonnets (virus), dans laquelle des bâtonnets plus longs (marqués par fluorescence en rouge) sont immergés. Dans ce milieu, les bâtonnets longs disposent d’un plus grand espace disponible, et donc d’une plus grande capacité de mouvement, que les bâtonnets courts environnants (dont certains sont marqués en vert).

 

 

Référence

Laura Alvarez, M. Paul Lettinga & Eric Grelet

Fast diffusion of long guest rods in a lamellar phase of short host particles

Physical Review Letters 25 avril 2017
DOI:https://doi.org/10.1103/PhysRevLett.118.178002

Contact

Sophie Félix
Chargée de communication
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC