L’imagerie par spectrométrie de masse haute résolution perce à jour la démarche artistique de Poussin

Résultats scientifiques Instruments et analyse

Quelle était la démarche du peintre Nicolas Poussin lorsqu’il choisissait les pigments et les liants pour fabriquer ses couleurs ? Une nouvelle approche d’imagerie par ToF-SIMS la révèle. Cette technique image simultanément les composés chimiques organiques et inorganiques dans un prélèvement de peinture, avec une résolution spatiale d’environ un demi-micromètre. Elle est le fruit d’une collaboration entre les chercheurs de l’Institut de chimie des substances naturelles (CNRS/ Université Paris-Saclay), du Laboratoire d’archéologie moléculaire et structurale (CNRS/UPMC), et de l’Hamilton Kerr Institute, le Centre de conservation du Fitzwilliam Museum à l’Université de Cambridge. Leurs résultats sont publiés dans la revue Journal of Mass Spectrometry.

Les instruments portables d’analyse non invasive permettent d’obtenir de riches informations sur les pigments et leurs produits de dégradation sous l’effet de la lumière ou à la suite d’interactions avec les autres composés des couches picturales. Il devient ainsi possible de préciser les étapes de réalisation d’œuvres anciennes, de mieux les préserver et les valoriser. Cependant, certaines pratiques artistiques et évolutions des peintures nécessitent de regarder la matière avec une résolution spatiale bien plus fine que celle apportée par les instruments mobiles.

L'imagerie par spectrométrie de masse d'ions secondaires à temps de vol (ToF-SIMS = Time-of-Flight Secondary Ion Mass Spectrometry) est un outil de choix pour cette recherche lorsqu’elle est appliquée à l’analyse de la section d’échantillons prélevés sur un tableau. Elle permet la caractérisation de la surface d'un matériau à l'état solide en conservant son intégrité. Sous l’action du bombardement d’ions (agrégats de bismuth), des atomes, des fragments moléculaires et des molécules sont directement désorbés de la surface de l’échantillon sous forme chargée avant d’être analysés par spectrométrie de masse. Il est ainsi possible d'identifier différents marqueurs biologiques, organiques et inorganiques et de réaliser simultanément l'image de leur distribution spatiale à l'échelle du micromètre. L’usage d’une nouvelle méthode d’extraction retardée des ions secondaires permet aujourd’hui une résolution spatiale de 400 nm, c’est à dire bien plus petite que l’épaisseur d’une couche de peinture (généralement de 10 à quelques dizaines de micromètres d’épaisseur), voire même plus petite que le diamètre des grains de pigment, permettant de révéler la complexité des huiles, colles, résines et pigments utilisés dans les mélanges faits par les artistes.

Les analyses menées sur la section d’un échantillon prélevé dans la représentation du ciel dans le tableau Eliézer et Rebecca au puits, peint par Nicolas Poussin vers 1660-1665 et conservé au Fitzwilliam museum (Université de Cambridge, Royaume-Uni), révèlent la complexité de ses mélanges et montrent en particulier l’ajout délibéré d’une colle à des terres colorées incorporées dans la peinture à l’huile. Il apparait aussi que de l’huile de lin a été employée pour les couches sombres sous jacentes alors que l’huile de noix a été préférée pour le ciel bleuté, très vraisemblablement parce qu’elle ne jaunit pas autant en séchant.

Partant d’échantillons et d’analyses non invasives de la matière picturale, ce travail de laboratoire vise à bien comprendre comment le peintre a réalisé son œuvre dans son ensemble, avec une précision remarquable qui l’a conduit à devenir un théoricien de la couleur et des pratiques picturales, et à inventer des œuvres d’art qui exploraient la nature de manière nouvelle. Rappelons cette réponse de Nicolas Poussin à Vigneul de Marville lorsque celui-ci lui demandait « par quelle voie il était arrivé à ce haut point de perfection qui lui donnait un rang si considérable entre les plus grands peintres de l’Italie. » Poussin lui avait répondu : « Je n’ai rien négligé ».

Les travaux des chercheurs* se poursuivent dans le cadre du projet ANR DEFIMAGE, "un grand défi pour l’imagerie par spectrométrie de masse" débuté en octobre 2015. La prochaine étape doit permettre d’augmenter la sensibilité de la méthode et de réaliser des mesures en 3 dimensions grâce à une source d’agrégats massifs d’argon qui pulvérise la surface de l’échantillon au cours de l’analyse.

 

* de l’Institut de chimie des substances naturelles (CNRS/ Université Paris-Saclay), du Laboratoire d’archéologie moléculaire et structurale (CNRS/UPMC), et de l’Hamilton Kerr Institute, Centre de conservation du Fitzwilliam museum à l’Université de Cambridge (Royaume-Uni).

 

Image retirée.

 

 

 

 

 

Référence

Manale Noun, Elsa Van Elslande, David Touboul, Helen Glanville, Spike Bucklow, Philippe Walter & Alain Brunelle

Special feature: perspective
High mass and spatial resolution mass spectrometry imaging of Nicolas Poussin painting cross section by cluster TOF-SIMS

Journal of Mass Spectrometry, Volume 51, Issue 12, December 2016, Pages 1196-1210
publié en ligne le 3 novembre 2016
DOI: 10.1002/jms.3885

Contact

Sophie Félix
Chargée de communication
Stéphanie Younès
Responsable Communication - Institut de chimie du CNRS
Christophe Cartier dit Moulin
Chercheur à l'Institut parisien de chimie moléculaire & Chargé de mission pour la communication scientifique de l'INC