Interdisciplinarité : « Travailler ensemble pour faire face au changement climatique »

CNRS

Le CNRS, à travers la Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires (MITI), lance un appel à projets sur la thématique du changement climatique. Toutes les disciplines scientifiques sont concernées, nous rappellent les deux coordinatrices de cet appel Maryvonne Gerin et Stéphanie Vermeersch, directrices adjointes scientifiques respectivement au sein de l’Institut national des sciences de l’univers et de l’Institut des sciences humaines et sociales du CNRS.

Quel est l’objectif de ce nouvel appel à projet du CNRS autour du changement climatique, et quel en est le périmètre ?

Maryvonne Gerin1 et Stéphanie Vermeersch2 : Le changement climatique touche tous les pans de notre société et représente un tel défi scientifique qu’il est nécessaire de croiser les regards des différentes disciplines —et c’est tout l’objectif de la Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires (MITI) du CNRS qui a lancé cet appel. Le but de celui-ci, qui court jusqu’au 30 septembre, est de soutenir des recherches interdisciplinaires et innovantes sur des sujets très variés, mais au cœur des problématiques du changement climatique. Par exemple, les études portant sur la compréhension des trajectoires climatiques, la dynamique des socio-écosystèmes et des sociétés humaines, mais aussi les mécanismes d’atténuation, voire de résilience vis à vis des impacts du changement climatique. Les axes prioritaires sont détaillés sur une page dédiée. Dans le cadre de cet appel à projet, la MITI a mis en place un forum à disposition des chercheurs pour encourager les échanges et faciliter les collaborations. 

Cet appel s’inscrit pleinement dans le COP du CNRS 2019-2023, qui identifie le changement climatique parmi ses six grands défis. Quelles sont les principales forces de l’organisme pour éclairer ce sujet ?

M. G. : Au sein de l’Institut national des sciences de l’univers (INSU) du CNRS, nous travaillons déjà beaucoup sur cette thématique, et cela sous de nombreux angles.  Un des principaux concerne évidemment les mécanismes du climat—et en particulier l’articulation entre les différents éléments du système Terre que sont l’atmosphère, l’océan, la cryosphère, et la zone critique (interface sol-eau-biodiversité). Par le passé, ces éléments étaient étudiés de manière indépendante, mais dorénavant l’accent est mis sur les échanges entre compartiments. Il faut aussi considérer que de nombreuses interrogations plus ciblées se posent, qui nécessitent les expertises des différents instituts du CNRS : par exemple les chimistes peuvent s’intéresser à la question des comportements détaillés des composants de l’atmosphère, alors que le problème de la non linéarité des systèmes notamment dans le cadre des fluides en rotation intéresse les physiciens ou les spécialistes en ingénierie.

Il existe tout un historique en ce qui concerne le changement climatique. On en parle souvent à une échelle de temps relativement courte, mais ces questions doivent être considérées sur des temps géologiques. En effet, la recherche prend en compte l’ensemble des échelles de temps des processus physiques, chimiques (temps court), et les temps d’évolution de la planète et des océans (temps longs). Cette temporalité est absolument nécessaire pour comprendre les phénomènes.

S. V. : Au sein du CNRS, il existe  notamment deux groupes de travail inter-instituts : la Task force Ocean et le Groupe de Travail sur les régions polaires et subpolaires. Ce n’est pas un hasard si un accent a été mis sur ces deux thématiques avec une volonté de croiser tous les efforts des instituts. En effet, les conséquences immédiates du changement climatique se font largement ressentir au sein des océans et des milieux polaires. Ces groupes de travail incarnent l’investissement du CNRS pour faire face à ce défi sociétal.

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Creusage de la glace à proximité de la base Dumont d'Urville en Terre-Adélie, Antarctique, dans le cadre du programme Polaris. Les chercheurs tentent d'anticiper les effets du changement climatique sur les vers annélides marins. © Thibaut VERGOZ/IPEV/AD2MCNRS Photothèque

M. G. : N’oublions pas que le CNRS est un acteur national et peut travailler avec ses partenaires à ce niveau. Par exemple, l’organisme pilote CLIMERI-France avec le CEA et Météo France,  une infrastructure nationale de recherche en charge de la modélisation du système climatique de la Terre, et d’établir les modèles de référence utilisés pour les travaux du GIEC3 . L’objectif de cette infrastructure est de définir des scénarios et d’en réaliser les simulations numériques grâce aux moyens des grands centres de calcul nationaux.

Comme vous l’avez mentionné, l’interdisciplinarité est nécessaire pour aborder cette thématique…

S. V. : En effet, le changement climatique implique une très large multi-causalité : il y a des causes, des manifestations et des conséquences qui sont observables par toutes les disciplines. Nous sommes donc face à quelque chose qui appelle à une collaboration élargie et l’interdisciplinarité, que le CNRS connaît bien et qui constitue l’une de ses spécificités, prend tout son sens. Chaque institut peut l’intégrer par sa discipline, et en cumulant et croisant les perspectives et le produit de ces recherches, être capable de reconstruire la grande histoire du changement climatique.

M. G. : Cette interaction étroite entre les différents domaines scientifiques est essentielles pour connaître le détail des impacts et savoir comment les atténuer. Si nous observions le changement climatique uniquement avec le faisceau de compétences et de connaissance d’une seule discipline, cela ne suffirait pas.

Les sciences humaines et sociales (SHS) ont-elles un rôle particulier à jouer?

S. V. : L’activité humaine a un impact sur le climat, et le changement climatique va avoir—et a déjà­—un impact sur l’activité humaine. C’est pour cela qu’il y a une forte demande en SHS pour des projets de recherche sur le changement climatique. Pour l’instant les chercheurs en sciences sociales s’emparent du sujet essentiellement par le prisme des conséquences : Quelles sont-elles ? Quelles sont les nouvelles formes d’organisation par exemple en terme d’agriculture ou de production ? Comment le changement climatique impacte la mobilité ou encore la santé ? Ces questionnements sont vastes et impactent tellement la société que de nombreux chercheurs y sont confrontés. Il existe une vraie volonté de travailler ensemble afin de trouver des solutions.

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Champs de choux à Monjo, dans le Khumbu, au Népal. Le programme PRESHINE (Pressions sur la ressource en eau et en sol dans l’Himalaya népalais) étudie la disponibilité en eau dans les villages de haute et de moyenne montagne dans le contexte du changement climatique, ainsi que les modes de gestion par les populations locales d’une ressource devenue indispensable au développement de cette région. © Thibaut VERGOZ / PRESHINE / PASSAGES / IRD / CNRS Photothèque

Le Green Deal de la Commission européenne vise à lever 1000 milliards d’euros sur 10 ans—et de nombreux appels à projets du nouveau programme cadre Horizon Europe (2021-2027) porteront sur la question du climat, notamment à travers des « missions » comme celle dédiée aux océans. Comment le CNRS se prépare à répondre à ces grands appels à projet, et comment l’appel récent s’inscrit-il dans cette stratégie ?

S. V. : Nous avons réalisé un travail en amont pour essayer d’influer sur les thématiques du Green Deal et la façon dont ces dernières seront construites en proposant notamment des mots clés tels que « durabilité » ou « smart cities » ou encore « justice environnementale » pour que la communauté des SHS françaises puissent s’en emparer. L’INSHS encourage aussi ses communautés à se familiariser avec ces nouvelles thématiques—et à participer aux nombreux webinaires organisés par la Commission européenne. Dès que possible nous tentons de relayer les informations en provenance de l’Europe vers les communautés potentiellement concernées.

M. G. : Il en est de même pour l’INSU. Notre travail a en effet été d’essayer de contribuer aux thématiques par des mots clés pour que la communauté puisse s’emparer des appels. L’appel d’offre sur le changement climatique doit permettre d’élargir la communauté travaillant sur les différentes dimensions de cette question et ainsi de faciliter la constitution de consortiums pouvant participer aux appels à projets.

Il faut souligner, lorsque l’on parle d’Europe, que la France fait ses propositions qui sont coordonnée au niveau du ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation (MESRI), et nous essayons de faire en sorte que les priorités de la recherche et du CNRS soient bien comprises. Nous avons en France un poids non négligeable en ce qui concerne la recherche sur le changement climatique au sens large. Le projet d’infrastructure du domaine côtier littoral ILICO4   coordonnée par l’Ifremer et CNRS, en est un exemple. L’océan côtier et le littoral sont des éléments très impactés par le changement climatique, que ce soit par la montée des eaux, les altérations en milieu côtier, les effets du réchauffement sur la biodiversité, … Ce sont des questions sur lesquelles la recherche française a des forces et des réponses à apporter.

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Mésocosme, sorte de tube à essai flottant, déployé pour une expérience test dans la rade de Villefranche-sur-Mer, près de Nice.Il permet d'étudier l'effet de l'acidification des océans sur la communauté pélagique, dans le cadre du projet MedSeA (Mediterranean sea acidification in a changing climate). L'objectif est de définir si l'acidification de l'eau de mer aura des effets sur le fonctionnement et la structure des communautés planctoniques côtières. © Samir ALLIOUANE/LOV/UPMC/CNRS Photothèque

 

  • 1Directrice adjointe scientifique en charge des infrastructures de recherche à l’INSU et directrice de recherche au Laboratoire d'études du rayonnement et de la matière en astrophysique, spécialiste du milieu interstellaire.
  • 2Directrice adjointe scientifique à l’INSHS et chercheuse au sein du laboratoire LAVUE, spécialisée en sociologie urbaine.
  • 3Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat. Créé en 1988, il a pour objectif de fournir des évaluations détaillées de l’état des connaissances scientifiques, techniques et socio-économiques sur les changements climatiques.
  • 4ILICO fait partie du projet européen JERICO qui mène des recherches sur le domaine côtier littoral : https://www.jerico-ri.eu/