« Utiliser toutes les possibilités qu’offre la recherche française » pour sauver l’Océan

CNRS

Piloté par le CNRS et l’Ifremer, un nouveau Programme Prioritaire de Recherche (PPR) vise à élargir et transformer le questionnement scientifique et l’organisation de la communauté scientifique marine au travers de projets interdisciplinaires centrés sur des enjeux sociétaux liés à la protection de l’Océan.

« Il y a une prise de conscience inédite de l’importance des défis auxquels fait face l’Océan et des enjeux qui en découlent », annonce François Houllier, président-directeur général de l’Ifremer1 . « L’Océan est un bien commun et la société veut – et doit – en savoir plus ». Et il y a urgence : super régulateur du climat et réservoir de ressources, l’Océan, qui couvre 71 % de la surface de la Terre, est mis à mal par le réchauffement climatique, la pollution, la surexploitation de ses ressources et la dégradation et destruction de ses habitats. 

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Mise à l'eau du robot téléopéré Victor de l'Ifremer pour effectuer des opérations sous-marines par 2 500 mètres de profondeur sur le télescope sous-marin à neutrinos ANTARES installé en Méditerranée, au large de l'île de Porquerolles. © Jean-François DARS/CPPM/CNRS Photothèque

Le nouveau Programme Prioritaire de Recherche (PPR)2 Océan – Climat, piloté par le CNRS et l’Ifremer et lancé ce 8 juin à l’occasion de la journée mondiale de l’Océan, arrive donc à point nommé. Il vient positionner la France au sein de nombreux programmes internationaux sur l’Océan tel que la mission Starfish 2030 de la Commission Européenne ou encore la Décennie des Nations Unies pour les sciences océaniques au service du développement durable (2021-2030).

« L’Océan est le point de rencontre de nombreux défis stratégiques. Aujourd’hui, la recherche sur l’Océan s’impose au niveau mondial comme une nécessité pour la Terre et la société », souligne Alain Schuhl, directeur général délégué à la science du CNRS.

Structurer les forces de recherche françaises des sciences de l’Océan

Annoncé en décembre 2019 par le président de la République Emmanuel Macron, le PPR Océan s’étendra sur une période de 6 ans avec un budget de 40 millions d’euros. Comme tout programme de recherche intégré, il est structuré autour de grandes priorités sur des zones géographiques définies, accompagnées par des défis concrets. Les trois grandes priorités sont : la prévision de la réponse de l’Océan au changement climatique et les scénarios d’adaptation ; l’exploitation durable de l’Océan et la préservation de sa biodiversité et de ses services écosystémiques ; et la réduction de la pollution océanique. « Trois objectifs qui abordent de front les dangers auxquels fait face l’Océan pour apporter des réponses concrètes », explique Yunne Shin, présidente du conseil scientifique du PPR Océan et chercheuse en biologie marine à l’IRD3 .

Et il rejoint un paysage international favorable. « Certains défis identifiés dans le PPR Océan sont des défis que l’on retrouve au sein de la mission Starfish 2030 ou de la Décennie des Nations-Unies pour les sciences océaniques, et c’est normal : les défis scientifiques sont partagés par toute la communauté », indique François Houllier. Pour autant, ce PPR a misé sur des domaines souffrant de déficit de recherche comme par exemple l’outre-mer et les grands fonds marins. « C’est un instrument qui nous permet de mettre l’accent sur des territoires et des domaines particuliers où la France a une responsabilité ou un leadership », explique le PDG de l’Ifremer. « En concentrant des moyens sur quelques défis, il y a une volonté d’apporter des avancées significatives », indique Alain Schuhl. Il s’agit donc de lancer des grands projets de recherche en rassemblant une communauté autour de chaque défi. « La pluridisciplinarité est au cœur du sujet. Nous allons faire appel aussi bien aux sciences de l’environnement qu’à la physique, la sociologie ou encore à la modélisation. »

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Vue en ULM de la mangrove de la baie de Bouéni à Mayotte. Entre le lagon et le littoral urbanisé et cultivé, la mangrove est soumise à une forte pression anthropique. © François FROMARD/ECOLAB/CNRS Photothèque

Et la France a des forces de recherche puissantes sur l’Océan. Avec ses 11 millions de km2 (dont 97 % situés en outre-mer), le pays est présent dans la plupart des mers du globe4 et est le 2e État en termes de zone économique exclusive marine, juste derrière les États-Unis. Avec ses organismes de recherche et ses universités, il fait notamment partie des cinq premiers pays à produire des connaissances scientifiques sur la thématique. « La France est très forte sur les questions d’observation de l’Océan avec par exemple le programme international Argo5 dont elle est le premier contributeur européen et le 2nd mondial après les États-Unis. Nous avons également développé une compétence particulière sur la biologie des grands fonds », explique François Houllier, dont l’organisme Ifremer opère l’une des trois plus grandes flottes océanographiques européennes. « La France est un moteur au niveau mondial », ajoute Alain Schuhl, rappelant que ce PPR a aussi pour vocation de « la mettre en valeur et de montrer toute sa puissance ». Les candidats porteurs de projets du PPR doivent d’ailleurs monter une équipe « qui fait appel à toutes les possibilités qu’offre la recherche française. », ajoute-t-il.

De l’outre-mer, aux grands fonds en passant par le polaire et le côtier

Pour rendre opérationnel ce PPR, quatre zones géographiques prioritaires ont été choisies : les territoires d’outre-mer ; l’Océan profond ; les océans polaires ; et les écosystèmes côtiers sensibles métropolitains. « Le fil rouge de ces zones est leur forte vulnérabilité aux activités humaines et au changement climatique », explique Yunne Shin. Ce sont des zones à forts enjeux géostratégiques, sociaux et environnementaux : il y a notamment la question très actuelle des nouvelles routes maritimes dans l’océan Arctique, mais aussi l’outre-mer, véritable sentinelle du changement global où les populations sont extrêmement dépendantes de l’Océan et doivent s’adapter rapidement face à ses évolutions. Quant à l’Océan profond, il intrigue par l’inconnu qu’il représente, il attire par ses ressources potentielles, mais on en pressent la grande sensibilité à toute forme de perturbation. Concernant les écosystèmes côtiers – lieux de rencontre entre l’Océan et l’Homme – il faut mieux les comprendre et mieux les protéger pour la durabilité de leur exploitation.

Sept défis pour l’Océan

« Des résultats tangibles sont attendus à la fin de ce PPR, et il doit être transformant sur le plan scientifique mais aussi sociétal », indique Alain Schuhl. C’est pourquoi les trois grandes priorités de recherche se retrouvent dans sept défis plus concrets. Le premier vise particulièrement l’outre-mer qui subit ouragans et autres tempêtes qui s’accentuent avec le changement climatique. « La bande intertropicale6 est une zone où l’on constate les plus grandes incertitudes lorsque l’on réalise des simulations sur le changement climatique. Comment l’augmentation de la fréquence des tempêtes et des vagues de chaleur marine va-t-elle impacter les territoires et les écosystèmes marins, comme par exemple les coraux, véritable refuge pour la biodiversité ? Ou comment l’élévation du niveau de la mer va-t-elle impacter les populations ? », s’interroge Cyril Moulin, directeur adjoint de l’Institut national des sciences de l’univers du CNRS.

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Des scientifiques récupérant les prélèvements récoltés durant 24h, dans des pièges à particules installés sur des lignes de mouillage verticales, lors de la 1ère mission Ecotab, dans le fjord Kongsfjorden, non loin de Ny-Ålesund (Norvège). © Erwan AMICE/CNRS Photothèque

Pour son deuxième défi, le PPR Océan met la lumière sur le polaire qui subit de plein fouet le réchauffement climatique alors que l’Arctique se réchauffe trois fois plus vite qu’ailleurs avec une banquise qui disparaît. C’est la biologie de cet océan qui change avec un écosystème extrêmement perturbé. Et les océans polaires sont au carrefour d’enjeux géostratégiques car ils abritent des ressources. Comment tous ces aspects vont-ils impacter les populations autochtones ? Une des nombreuses questions qui sera abordée.

Quelles conséquences après avoir perturbé l’Océan profond ?

Un troisième défi s’intéresse notamment aux zones étendues de la France qui restent à étudier et à cartographier, « comme par exemple au sud de la Réunion ou à Saint Pierre et Miquelon », précise Anne Renault, directrice scientifique de l’Ifremer. Ce défi se rapproche évidemment de la question des Aires Marines Protégées (AMP) dont la plupart se trouve en outre-mer. « Il faut que la science soit un support à la prise de décision en aidant à quantifier les conséquences à la fois écologiques, économiques et sociales de la mise en place d’AMP », souligne Yunne Shin, ajoutant que la France peut être beaucoup plus ambitieuse en la matière, notamment en métropole. « Celles-ci peuvent avoir de vrais bénéfices pour la population. Il faut mieux les étudier et savoir comment en tirer tous les avantages », ajoute Cyril Moulin. 

L’exploitation durable des ressources de l’Océan est au cœur du quatrième défi. Il s’agit notamment de l’exploitation des grands fonds – très peu connus – et de leurs réserves en ressources minérales. « Comment, en exploitant des grandes mines au fond de l’Océan, impacte-t-on les écosystèmes qui y vivent ? » s’interroge Cyril Moulin. Plus largement, ce défi porte évidemment sur l’exploitation des ressources vivantes : la pêche. « Si en métropole, 60 % des captures de pêche proviennent de stocks en bon état écologique ou en voie de reconstitution, en outre-mer la surexploitation des stocks ne s’est pas significativement réduite et les évaluations sont beaucoup moins développées, tandis que dans l’ensemble du bassin méditerranéen, c’est une catastrophe avec 75 % de ses ressources surexploitées », indique Yunne Shin.

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Cette bouée délimite la zone de protection intégrale au sein de l'aire marine protégée de Porto Fino (Italie). Une étude a montré que 95 % de la surface des aires marines protégées de la mer Méditerranée est dépourvue de réglementations suffisantes permettant de réduire les impacts humains sur la biodiversité. © Joachim CLAUDET / CRIOBE / CNRS Photothèque

L’océan à l’ère du numérique : observation, données et modélisation

Le cinquième défi fait notamment écho à l’un des axes de la mission Starfish 2030, et vise à « caractériser l’exposome7 océanique » – une vision globale de tous les polluants – pour protéger les écosystèmes marins. « Il s'agit de mieux comprendre cet exposome et son impact », explique Cyril Moulin. Le sixième défi porte sur l’observation et la modélisation, un défi transverse pour répondre au déficit de connaissances sur l’Océan.  Car avec un volume de 1370 millions de km3 et une surface de 360 millions de km2, seule une partie infime de l’Océan a été cartographiée avec précision et seules 270 000 espèces marines ont été identifiées sur un total de plusieurs millions.

Faire science en société

Mais toutes ces recherches auront peu d’incidence si la société n’est pas partie prenante. « Il faut faire la science différemment, c’est-à-dire en lien avec la société alors que nous sommes face à des changements globaux inédits, et développer l’esprit critique des citoyens », souligne Anne Renault. Le PPR Océan souhaite impliquer fortement la société dans la protection et la valorisation de l’Océan, lui dédiant son septième et dernier défi, également transverse. Il est question au sein de cet axe aussi bien d’aide à la décision au niveau des politiques, des territoires et des partenaires, que de médiation scientifique vers le grand public. « Il est important de faire connaître au plus grand nombre l’état de l’Océan, mais également les réponses que la recherche propose. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons faire avancer les choses. Et pour l’Océan, le temps est compté », insiste Alain Schuhl.

  • 1L'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) est spécialisé en sciences et technologies marines et s’inscrit dans une double perspective de développement durable et de science ouverte. Il mène des recherches, produit des expertises et crée des innovations pour protéger et restaurer l’océan, exploiter ses ressources de manière responsable, partager les données marines et proposer de nouveaux services à toutes les parties prenantes.
  • 2Les programmes prioritaires de recherche s’inscrivent dans le cadre du programme d’investissement d’avenir (PIA) du gouvernement. L’objectif ? Consacrer des budgets importants du ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation sur des thématiques prioritaires.
  • 3Institut de recherche pour le développement. La mission première de l’IRD est de conduire des recherches sur la zone intertropicale et méditerranéenne, fondées sur un partenariat scientifique équitable avec les communautés d’enseignement supérieur et de recherche (ESR) des pays et régions concernés.
  • 4Atlantique, Manche, Mer du Nord, Méditerranée, Océan Pacifique, Océan Indien, Caraïbes, Antarctique.
  • 5Système global d’observation des océans (par flotteurs profilants autonomes) mis en place pour suivre, comprendre et prévoir le rôle de l’océan sur le climat de la planète. La France coordonne les réseaux européens du programme, Euro-Argo.
  • 6Zone située entre les tropiques du Cancer et du Capricorne.
  • 7Concept correspondant à la totalité des expositions à des facteurs extérieurs et environnementaux que subit un organisme vivant de sa conception à sa fin de vie.

PPR Océan

Trois grands objectifs :

  • La prévision de la réponse de l’océan au changement climatique et les scénarios d’adaptation ;
  • L’exploitation durable de l’océan et la préservation de sa biodiversité et de ses services écosystémiques;
  • La réduction de la pollution océanique.

Quatre zones prioritaires :

  • Les territoires d’Outre-mer ;
  • L’océan profond ;
  • Les océans polaires ;
  • Les écosystèmes littoraux et côtiers sensibles métropolitains.

Sept défis :

  • Prévoir les impacts des phénomènes extrêmes liés au changement climatique en Outre-mer pour guider les politiques territoriales
  • Intensifier les recherches dans des océans polaires en pleine mutation et aux enjeux géostratégiques majeurs
  • Améliorer la protection et la résilience des milieux marins par le développement de nouvelles approches intégratives de gestion
  • Exploiter durablement les ressources de l’océan en s’appuyant sur la science de la durabilité
  • Caractériser l’exposome océanique pour protéger les écosystèmes marins
  • Développer des programmes d’observation et de modélisation innovants
  • Partager avec le grand public la découverte de l’Océan et les enjeux sociétaux associés de l’océan