A Mayotte, une nouvelle espèce de drosophile est en train de voir le jour

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

L’apparition d’une espèce est un évènement rare survenant à la faveur d’une spécialisation écologique ou bien d’un isolement géographique. Sur l’île de Mayotte, où ces deux mécanismes semblent avoir agi de concert sur l’espèce de drosophile D. yakuba, une équipe internationale réunissant des chercheurs du laboratoire Evolution, Génomes, Comportement, Ecologie de Gif-sur-Yvette1, de l’Institut de Systématique, Evolution, Biodiversité de Paris ainsi que deux post-doctorants français travaillant à l’Université de Madison (Wisconsin, Etats-Unis) vient de montrer, dans PNAS, que ces diptères constituent une population atypique. Celle-ci se nourrit en effet exclusivement du fruit d’un arbre tropical très toxique pour les populations de la même espèce vivant en Afrique continentale. En comparant les génomes de mouches provenant de Mayotte avec ceux de spécimens du continent, les scientifiques ont constaté que la population insulaire pouvait être considérée comme une  première étape d’une spéciation en marche.

Parmi les nombreuses espèces de drosophiles recensées à travers le monde, certaines ont développé des adaptations pour le moins singulières. L’un des cas les plus remarquables est sans doute celui de D. sechellia. Cette espèce, qui ne vit que dans l’archipel des Seychelles, se nourrit exclusivement du fruit de Morinda citrifolia bien que ce dernier soit très toxique pour les insectes. Lors d’une campagne d’exploration menée en 2013 sur l’île de Mayotte et financée par le CNRS et les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), une équipe française a découvert une population de drosophiles de l’espèce D. yakubaayant développé des adaptations similaires à celles de D. sechellia.A l’instar de leurs cousines des Seychelles, ces mouches ne se nourrissent que du fruit du morinda. « Sur le continent africain, où l’espèce est très répandue, ces diptères ont un régime alimentaire très diversifié ce qui tend à prouver que la population découverte sur l’île de Mayotte a développé cette spécialisation écologique à la suite de son isolement insulaire », précise Jean David, chercheur CNRS émérite et coauteur de l’étude.  

A l’aide d’expériences en laboratoire, les biologistes ont pu démontrer que la population de Mayotte est non seulement très attirée par l’odeur du fruit du morinda mais qu’elle est aussi relativement résistante aux toxines qu’il diffuse. En procédant à une analyse génomique comparée des populations continentales et insulaires de D. yakuba, les chercheurs ont estimé que l’espèce avait colonisé cette île de l’Océan Indien il y a environ 29 000 ans. Ils ont également découvert que la spécialisation écologique desdrosophilesde l’île de Mayotte met en jeu des gènes de résistance analogues à ceux connus chez D. sechellia. En revanche, les gènes impliqués dans l’attraction des mouches vis-à-vis du morinda diffèrent d’une espèce à l’autre. Bien que l’interfécondité reste par ailleurs possible entre les mouches du continent et celles qui vivent sur l’île de Mayotte, les femelles de la population insulaire préfèrent très nettement les mâles issus de cette même population. Sachant qu’il faut, en général, 200 000 ans d’isolement à un groupe de drosophiles pour qu’une nouvelle espèce voie le jour, la communauté mahoraise de D.yakuba ne peut donc être considérée comme une espèce à part entière. « Celle-ci doit plutôt être perçue comme le premier stade d’une spéciation en cours dont l’étude plus approfondie pourra bénéficier de tous les avantages techniques et conceptuels du modèle Drosophila melanogaster pour en comprendre l’ensemble des mécanismes génétiques », conclut Jean David.

Notes
1.EGCE, CNRS/Université Paris-Sud/IRD/Université Paris-Saclay
2.ISYEB, CNRS/MNHN/Université Pierre et Marie Curie/EPHE

Référence
Recurrent Specialization on a Toxic Fruit in an Island Drosophila Population Amir Yassin, Vincent Debat, Héloïse Bastide, Nelly Gidaszewski, Jean R. David et John E. Pool, publié dans PNAS le 4 avril 2016. 
DOI: 10.1073/pnas.1522559113

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Jean David
Evolution, Génomes, Comportement, Ecologie (EGCE - CNRS/Univ. Paris Sud/IRD)
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Evolution, Génomes, Comportement, Ecologie (EGCE - CNRS/Univ. Paris Sud/IRD)
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