Les surprenantes capacités auditives d’un lépidoptère révélées

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

La plupart des papillons de nuit disposent d'organes auditifs capables de repérer les ultrasons lancés par les chauves-souris, leurs principaux prédateurs. Ce système de détection qui s’apparente à un récepteur auditif relativement simple se révèle étonnement sophistiqué chez la petite fausse teigne (Achroia grisella). C’est ce que sont parvenus à démontrer des scientifiques de l’Institut de Recherche sur la Biologie de l’Insecte (IRBI, CNRS / Université François Rabelais de Tours) et du Centre pour l’Ingénierie Ultrasonique de l’Université de Glasgow (Royaume-Uni) dans une étude publiée récemment dans PNAS. S’appuyant sur des expériences en laboratoire visant à comprendre la physiologie du système auditif de l’insecte, ces travaux révèlent la capacité de ce dernier repérer les sons à haute fréquence selon une direction précise. Une adaptation qui permet aussi aux femelles de détecter plus facilement le chant nuptial des mâles.

Nombre de lépidoptères nocturnes ont acquis des organes tympaniques leur permettant de détecter les ultrasons. Ces ondes sonores à hautes fréquences sont notamment émises par les chauves-souris insectivores pour repérer leurs proies dont font justement partie les papillons nocturnes. Bien que le récepteur auditif rudimentaire de ces insectes ne permette pas, en théorie, d’identifier l’origine précise d’un son, on suppose que de telles aptitudes auraient néanmoins pu émerger au fil de l’évolution. Ce pourrait notamment être le cas chez les espèces de lépidoptères où le mâle diffuse un chant nuptial ultrasonique pour attirer les femelles. C’est ce qu’a voulu vérifier une équipe de chercheurs franco-britannique chez l’une d’entre elles, la petite fausse teigne (Achroia grisella) en l’occurrence.  
Dans un premier temps, les scientifiques ont employé un dispositif expérimental permettant d’enregistrer les mouvements d’une femelle d’Achroia grisella en réponse à un stimulus auditif reproduisant le chant à haute fréquence du mâle de cette espèce. « En plaçant une femelle sur une sphère de compensation de la locomotion, nous avons pu constater qu’elle se dirigeait vers la source du stimulus sonore en déviant de 20  à 40 degrés par apport une trajectoire en ligne droite. Or un tel comportement accrédite fortement l’existence chez cette espèce d’un mécanisme de la perception auditive où chacun des deux organes capte l’information de manière indépendante », explique Michael Greenfield, enseignant-chercheur en neuroscience à l’IRBI et cosignataire de l’article. 
Afin d’en avoir le cœur net, l’équipe a ensuite utilisé un vibromètre laser 3D pour pouvoir mesurer les infimes vibrations du tympan d’une petite fausse teigne femelle. L’objectif de cette analyse: comprendre comment ce petit insecte qui ne dispose pas de système auditif directionnel typique des animaux parvient malgré tout à localiser le son émis par un individu mâle. Pour cela, les chercheurs ont observé par vibrométrie laser 3D le mouvement de la membrane tympanique de l’insecte en fonction de l’angle d’émission d’un signal sonore de 100 kilohertz, soit la fréquence moyenne du chant nuptial des mâles chez cette espèce. Ils ont alors constaté que la réponse vibratoire du tympan droit était maximale lorsque la source d’émission formait un angle de 30° négatif avec la ligne médiane de l’animal. Pour le tympan gauche la réponse était maximale pour un angle d’émission strictement opposé, soit 30° positif.

«Ces résultats témoignent de la capacité de chaque organe auditif à identifier de manière indépendante la direction d’un stimulus sonore », souligne Michael Greenfield. En scannant aux rayons X le corps d’un papillon femelle, les chercheurs ont ensuite pu observer qu’il n’existait pas de connexion physiologique entre ces deux structures auditives, confirmant ainsi que chacune d’elle fonctionnait de manière indépendante. L’ensemble de ces travaux révèle l’existence, chez la petite fausse teigne, d’un mécanisme de détection acoustique où la géométrie et la structure de la membrane tympanique offrent une sensibilité forte aux sons arrivant d’un angle précis. L’étude montre par ailleurs, que ce papillon est parvenu, au fil de l’évolution, à adapter un système ancien de perception dédié à la détection des chauves-souris pour qu’il contribue à la communication sexuelle de l’espèce en facilitant le repérage du chant des mâles.

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Référence
Evolution of directional hearing in moths via conversion of bat detection devices to asymmetric pressure gradient receivers
par Andrew Reid, Thibaut Marin-Cudraz, James F. C. Windmill et Michael D. Greenfield, publié dans PNAS le 14 novembre 2016.
DOI: 10.1073/pnas.1615691113

Contact chercheur

Michael Greenfield
Institut de recherche sur la biologie de l'insecte (IRBI - CNRS / Université François Rabelais de Tours)
michael.greenfield@univ-tours.fr