Erosion de la diversité d’insectes : conséquence de l’élévation du niveau de la Méditerranée depuis 7000 ans

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

La menace que représente la remontée du niveau marin dans les décennies à venir est connue depuis longtemps. Pour en évaluer les possibles impacts sur la biodiversité des écosystèmes littoraux, des chercheurs de l’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale (IMBE - CNRS/AMU/Université d'Avignon/IRD) ont analysé les changements de communautés d’insectes fossiles en réponse aux fluctuations du niveau marin depuis 7000 ans. Ces travaux, publiés dans la revue Biodiversity and Conservation, suggèrent que 60% de la faune de coléoptères de la zone humide étudiée a localement disparu à cause de l’augmentation de la salinité.

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Parmi les 133 taxons de coléoptères identifiés dans les sédiments, Canthydrus diophtalmus (spécimens actuels à gauche, fragments fossiles à droite) fait partie des 70 taxons aquatiques ou hygrophiles ayant disparu localement de l’île Cavallo. - © Yoann Poher

L’élévation du niveau marin est une importante composante du changement climatique et une hausse est attendue dans les décennies à venir, laquelle menace de nombreux écosystèmes côtiers et petites îles de Méditerranée 1. Mais quelles seront les conséquences d’une telle montée sur la diversité des zones humides littorales ?
Afin de répondre à cette question, une équipe de paléoentomologues, palynologues et biogéographes s’est tournée vers le passé. En effet, la mer Méditerranée a déjà connu une remontée d’environ 135 mètres depuis le dernier maximum glaciaire 2. Ainsi, comprendre comment les écosystèmes littoraux ont répondu aux fluctuations passées du niveau marin peut fournir des informations sur ce qui pourrait se produire le long des côtes dans le futur.
Pour ce faire, les chercheurs ont examiné les sédiments accumulés dans un marais littoral sur l’île Cavallo (archipel des Lavezzi, Corse-du-Sud). Plus particulièrement, c’est en étudiant l’évolution des assemblages de coléoptères fossiles au cours du temps, alliée à celle des assemblages polliniques que les chercheurs ont pu reconstruire l’histoire du littoral de cette île depuis 7000 ans et démontrer que d’importants changements de diversité ont eu lieu 3.
Notamment, en comparant l’entomofaune présente actuellement sur l’île avec celle retrouvée à l’état fossile (133 taxons), ils ont démontré que 70 taxons de coléoptères aquatiques et hygrophiles avaient localement disparu en réponse à une augmentation de la salinité dans l’étang d’eau douce. La majeure partie de ces disparitions d’espèces s’est produite il y a 3700 ans, lorsque le niveau relatif de la mer Méditerranée était à 1,5±0,3 mètres en-dessous de son niveau actuel. Ainsi, les intrusions marines et les nouvelles conditions de salinité dans l’étang littoral se sont révélées délétères à de nombreuses espèces de coléoptères dulçaquicoles ou ne supportant pas de fortes élévations de la salinité. De plus, ces changements ont été aggravés par la récente pression anthropique sur l’île (assèchement artificiel d’une partie de la zone humide).
Une telle approche rétrospective, originale en France et dans le Bassin méditerranéen, offre une nouvelle perspective de recherche et apporte de nouvelles clés de compréhension sur ce qui pourrait se produire le long des côtes dans le futur. De plus, cette étude démontre que les effets de l’élévation du niveau marin sur la biodiversité des environnements côtiers pourraient être plus sévères dans les zones perturbées par l’homme (liés à l’urbanisation, à la sur-fréquentation du littoral ou à la pollution). La capacité de résilience de ces écosystèmes face à l’élévation du niveau marin dépendra donc de la persistance d’habitats naturels au-delà des côtes. Ceci rappelle le caractère impératif de la conservation des zones humides intra-littorales, lesquelles pourront ultimement jouer le rôle de refuge pour la diversité des insectes dulçaquicoles menacés par la salinisation des étangs littoraux. Enfin, ce type d'étude est susceptible de renseigner sur l'état de la biodiversité passée, avant les récentes perturbations humaines et s’avérer utile pour d’éventuelles mesures de restauration.

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© Yoann Poher

Notes
1. Le Bassin Méditerranée comprend environ 12 500 îles et îlots, la plupart considérés comme des « hotspots » de la biodiversité
2. Période comprise entre 24 000 et 15 000 ans avant l’actuel en Europe
3. Une partie de ces résultats ont précédemment été publiés dans la revue Palaeogeography, Palaeoclimatology, Palaeoecology, le 1 Janvier 2017

Référence
Erosion of insect diversity in response to 7000 years of relative sea-level rise on a small Mediterranean island
, par Yoann Poher, Philippe Ponel, Frédéric Guiter, Valérie Andrieu-Ponel, Frédéric Médail, publié dans Biodiversity and Conservationle 15 février 2017.
DOI: 10.1007/s10531-017-1322-z

Cette étude a été soutenue par le Laboratoire d'Excellence Objectif-Terre Bassin méditerranéen (Labex OT-Med : http://www.otmed.fr/) et l'Office de l'environnement de la Corse (OEC : http://www.oec.corsica/)/Conservatoire botanique national de Corse (http://cbnc.oec.fr/).

Contact chercheur

Yoann Poher
Institut méditerranéen de biodiversité et d'écologie marine et continentale (IMBE - CNRS/Université Aix-Marseille /Univ d’Avignon Pays de Vaucluse/IRD)
04 42 90 84 79 | yoann.poher@imbe.fr

Contact communication

Vanina Beauchamps-Assali
Institut méditerranéen de biodiversité et d'écologie marine et continentale (IMBE - CNRS/Université Aix-Marseille /Univ d’Avignon Pays de Vaucluse/IRD)
04 91 28 85 15 | vanina.beauchamps-assali@imbe.fr