L'origine d'un ancien peuple nomade d'Eurasie révélée par la génétique

Résultats scientifiques Interaction Homme-Milieux

Au premier millénaire avant J.-C., les Scythes régnaient sur un vaste territoire qui s'étendait de l'Ukraine aux montagnes de l'Altaï, dans le sud-est de la Russie. Alors que les fouilles archéologiques effectuées tout au long du XXe siècle ont permis de révéler la richesse culturelle de ce peuple nomade, son origine restait en revanche relativement mystérieuse. Une étude menée par une équipe de l'Institut de biologie évolutive de l'Université Johannes Gutenberg de Mayence, en Allemagne, à laquelle se sont associés des chercheurs du laboratoire Eco-anthropologie et Ethnobiologie ( CNRS / MNHN / Université Paris Diderot ), apporte à ce sujet de nouveaux éléments. Grâce à l'analyse génétique de restes humains provenant de sites funéraires disséminés à travers toute la steppe eurasienne, les scientifiques ont pu démonter que la culture Scythe est issue de la fusion, au cours de l'âge du Fer, de deux foyers de peuplement indépendants et distants de plus de 3000 kilomètres. Ces résultats ont été publiés en mars dernier dans la revue Nature Communications.

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Tumulus caractéristique de la culture scythe de la vallée de Pazyryk, dans le sud des montagnes de 'Altaï. 
© Vyacheslav Molodin

La culture scythe a été décrite dès l'Antiquité par des historiens grecs et persans ayant séjourné parmi les représentants de ce peuple nomade installés au nord de la mer Noire. Longtemps considéré comme strictement européen, le phénomène Scythe prend une nouvelle dimension vers le milieu du XXe siècle lorsque des vestiges associés à ce peuple commencent à être mis au jour dans toute la steppe eurasienne. Contre toute attente, les plus anciens vestiges archéologiques de la culture scythe vont être découverts dans la partie la plus orientale de leur aire de répartition, à plus de 3000 kilomètres des rivages de la mer Noire. Mais alors que l’accumulation progressive des données archéologiques témoigne aujoud'hui de fortes similitudes entre les rites funéraires, les objets d'art et l'armement des différents groupes nomades qui peuplaient la région il y a 2500 ans de cela, leur origine génétique restait pour sa part très peu documentée.

Les travaux publiés récemment par une équipe internationale réunissant des chercheurs allemands, russes et français apportent dans ce domaine des informations inédites. A partir d'une centaine de restes humains provenant de sépultures scythes de la fin de l'âge du Bronze (autour de l'an mille avant J.-C.) et de l’âge du Fer (à partir de - 700 ans avant J.-C.) localisées à la fois dans l'ouest et l'est de la steppe eurasiatique, les chercheurs ont pu extraire l'ADN mitochondrial afin de comparer cette population sur le plan génétique. « Nous avons ainsi constaté que les groupes nomades des extrêmes orientale et occidentale avaient de fortes similitudes génétiques durant l’âge du Fer en dépit des 3 000 kilomètres qui les séparaient » , précise Friso Palstra, ancien post-doctorant au laboratoire Eco-anthropologie et Ethnobiologie actuellement en poste à l'IRD et cosignataire de l'étude.

Dans un second temps, les scientifiques ont procédé à l'analyse de l'ADN nucléaire de deux individus scythes originaires de l'ouest de la steppe eurasienne et de six autres provenant de l'est de ce territoire. A l'aide de simulations informatiques, ils ont alors pu examiner de plus près l'histoire démographique de ces deux foyers de population. Ce travail d'analyse révèle qu'avant la période de l'âge du Fer, les peuples scythes originaires de l'est de la steppe ont évolué indépendamment de ceux implantés à l'ouest. Ce n'est finalement que vers le milieu du premier millénaire avant J.-C. que ces deux populations auraient commencé à se mêler les unes aux autres comme l'atteste par ailleurs la relative homogénéité des vestiges archéologiques scythes à compter de cette période.  « La très grande mobilité de ces cavaliers nomades a non seulement facilité la diffusion de leur culture à l'échelle de l'immense steppe eurasienne mais elle semble aussi être à l'origine d'un intense échange de gènes au sein de ce peuple, expliqueFriso Palstra. La comparaison de ces données génétiques anciennes avec celles issues de populations de langue Turc vivant actuellement en Asie Centrale tend en outre à démontrer leur filiation avec les Scythes orientaux. »

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Reconstitution d'un cavalier Scythe à partir des restes textiles provenant de sépultures du plateau de l'Oukok, 
dans le massif de l'Altaï. © D.V. Pozdnyakov
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Découpe d'un fragment de fémur humain à partir  duquel sera ensuite extrait l'ADN mitochondrial. 
© Joachim Burger, Mainz University

 

Référence
Ancestry and demography and descendants of Iron Age nomads of the Eurasian Steppe, par Martina Unterländer, Friso Palstra, Iosif Lazaridis, Aleksandr Pilipenko, Zuzana Hofmanova, Melanie Groß , Christian Sell, Jens Blöcher, Karola Kirsanow, Nadin Rohland, Benjamin Rieger, Elke Kaiser, Wolfram Schier, Dimitri Pozdniakov, Aleksandr Khokhlov, Myriam Georges, Sandra Wilde, Adam Powell, Evelyne Heyer, Mathias Currat, David Reich, Zainolla Samashev, Hermann Parzinger, Vyacheslav I. Molodin et Joachim Burger, publié dans Nature Communciations, le 3 mars 2017.
DOI: 10.1038 / ncomms14615

Contacts chercheurs

Friso Palstra, IRD
f_palstra@yahoo.com

Evelyne Heyer
Eco-anthropologie et Ethnobiologie (EAE - CNRS/MNHN)
heyer@mnhn.fr