Traitement des eaux usées en zones humides artificielles : vers une sélection des espèces végétales adaptées pour la métaremédiation

Résultats scientifiques

Une équipe dirigée par Abdelhak El Amrani (ECOBIO) en collaboration avec des chercheurs américains publie en octobre 2017 dans la revue Journal of Environmental Management un article fondé sur huit ans d’étude en site pilote (Temacine, Algérie). L'objectif était d’améliorer le traitement et la réutilisation des eaux usées des zones humides artificielles en utilisant les plantes et le microbiome de leur rhizosphère (définie comme la zone située à proximité des racines). Ces huit ans d’étude révèlent que les monocotylédones ont été sélectionnées au cours de l’évolution pour supporter de fortes pollutions en zone humide en comparaison aux dicotylédones. Ces résultats trouvent des applications en métaremédiation.

En raison d’une activité anthropique croissante et des mauvaises politiques de gestion des eaux usées, l'humanité est aujourd'hui confrontée dans de nombreuses régions du monde à des pénuries d'eau et/ou à des crises de la qualité de l'eau. Plusieurs études ont montré que seulement 20 % des eaux usées dans le monde recevaient un traitement adéquat (UNESCO, UN-WATER) et que la capacité de traitement est d’environ 8 % dans les pays en voie de développement. De nombreuses stratégies ont été utilisées pour tenter de résoudre cette question du traitement. A côté des procédés mécaniques, physico-chimiques, des stations de traitement « classiques », des stratégies écologiques et vertes se sont révélées des approches peu coûteuses, efficaces et socialement acceptées.

D’autre part, les récentes approches "omiques", lorsqu'elles sont combinées à d'autres méthodes, comme l’utilisation de sondes isotopiques stables (SIP) par exemple, peuvent renseigner sur les associations végétales/microbiome possibles au sein d’une communauté, associations qui permettent de métaboliser un substrat particulier dans des écosystèmes complexes : il devient donc possible de lier des groupes taxonomiques à la dégradation des polluants organiques. En clair : ces approches permettent de mettre en évidence que des polluants organiques complexes sont susceptibles d’être métabolisés par des associations microbiennes et des assemblages de plantes non-aléatoires. Ces approches novatrices apportent de nouvelles connaissances sur la façon dont les organismes peuvent agir comme une entité à part entière - une sorte de méta-organisme - pour assainir les écosystèmes pollués et, ce faisant, traiter efficacement les eaux usées humaines et industrielles, et prévenir la contamination des ressources en eau.

En effet, on sait aujourd’hui que les plantes constituent le principal « ingénieur écologique » dans les environnements pollués, car leurs racines libèrent des exsudats qui contiennent de nombreuses molécules nutritives et de signalisation qui influencent les populations bactériennes et fongiques de la rhizosphère. Dans les milieux humides, les plantes adaptées aux zones hypoxiques (manque d’oxygène) sont capables de mettre en place des tissus aérés, appelés aérenchymes, pour acheminer de l’oxygène vers les racines, créant ainsi des micro-zones où les microbes aérobies peuvent prospérer. Les interactions complexes de ces populations jouent un rôle central dans la biodégradation des xénobiotiques organiques complexes. Les études actuelles basées sur de nouvelles approches intégratives, telles que la méta-génomique, la méta-transcriptomique, la méta-métabolomique et la méta-protéomique, illustrent comment les approches "omiques" peuvent apporter de nouvelles connaissances pour décrypter les mécanismes moléculaires de dégradation des polluants, à la fois au niveau de l'espèce et au niveau de la communauté végétale.

Une approche basée sur la métaremédiation

Compte tenu du fonctionnement de l'ensemble du biome impliqué dans la décontamination, les données accumulées jusqu’à présent montrent que les plantes adaptées aux écosystèmes contaminés influencent profondément le microbiome associé à la rhizosphère et reprogramment en quelque sorte le microbiome dans cette zone. Ainsi, la métaremédiation - qui se distingue de la phytoremédiation, de la bioremédiation ou de la mycoremédiation, qui considèrent séparément les plantes, les bactéries ou les champignons – se pose aujourd’hui comme une potentielle stratégie d'assainissement des milieux pollués. Des données récentes suggèrent que l'action conjointe des associations plantes fongiques-bactéries entraîne une dégradation rapide et efficace des molécules complexes. Par conséquent, dans les écosystèmes naturels, il s’avère que l'assainissement doit être évalué au niveau méta-organisme. Pour atteindre un potentiel catabolique élevé - i.e. pour optimiser l'ensemble des réactions de dégradations moléculaires d’un organisme considéré - il est donc nécessaire de prendre en compte l'échelle globale méta-organisme/holobionte afin d’augmenter l'efficacité de l'assainissement biologique.

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Huit années de traitement des eaux usées par métaremédiation: schéma du site pilote (A), la phylogénie moléculaire de la biodiversité initiale est présentée en (B). Malgré plusieurs événements de ré-introduction d’espèces qui ont disparu du site, seules celles présentées sur le diagramme de Venn (C) ont présenté des caractères adaptatifs pour  une zone humide polluée.

Un exemple grandeur nature avec la zone humide artificielle de Temacine (Algérie)

Les zones humides artificielles sont des systèmes conçus pour exploiter les processus naturels des zones humides, qui associent l’hydrologie, les sols, les micro-organismes et les plantes, afin de traiter les eaux usées. Les études récentes ont montré que la rhizosphère dans les zones humides est particulièrement efficace pour réduire les contaminants et améliorer la qualité de l'eau.

Cette approche technologique s'est développée dans le monde entier : des milliers de zones humides artificielles sont opérationnelles dans de nombreux pays, sous des climats et des contextes écologiques variables. Plusieurs décennies d’expérimentations démontrent que cette approche permet une production d’eau de haute qualité, dans des conditions extrêmement diverses : historiquement, c’est d'abord l’Afrique du Sud qui a expérimenté cette technique, puis à la fin des années 1990, des zones humides ont été testées dans d’autres régions du monde. Toutefois, il n'existe aucune information sur la longévité du fonctionnement de ces écosystèmes de zones humides et sur l'évolution de leur biodiversité initiale. Bref, aucun suivi scientifique n’avait été jusqu’ici diligenté.

La zone humide de Temacine située à Wilaya de Ouargla (Algérie) fonctionne sur le principe des systèmes de traitement et de recyclage des eaux usées des zones humides à haute biodiversité. Ces systèmes sont fondés sur l’écoulement souterrain des eaux usées : ils ont été développés par la NASA et ont ensuite évolué en "Jardins d'eaux usées" (projet Biosphère 2). Le système étudié a été mis en œuvre par Mark Nelson et Florence Cattin du Wastewater Gardens International. Le projet a été financé par le Ministère des Ressources en Eau du Gouvernement algérien, la Direction de l'Assainissement et de la Protection de l'Environnement (DAPE/MRE) et la ville de Temacine avec le soutien de la Coopération Technique Belge pour la partie étude et formation du projet. D'une superficie de 400 m2 et en forme de croissant de lune, le système Wastewater Gardens a été conçu pour traiter 15 m3 d'effluents d'eaux usées quotidiens de 100 à 150 personnes.

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Photo satellite montrant  la situation du site pilote (A).  La zone humide sous forme de croissant de lune (B) a servi comme bassin d’épuration des eaux usées par approche de métaremediation pendant plus de huit ans. © 2017 Google

L’étude associant entre autres Mohamed Mounir Saggaï, Abdelkader Ainouche et Abdelhak El Amrani (tous membres de l’OSUR) s’appuie sur des données recueillies entre 2008 et 2015 dans une station pilote d'un programme national algérien visant à utiliser le traitement biologique des eaux usées pour des petites communautés agricoles et de petites villes. Les résultats obtenus à Temacine montrent que le traitement des eaux usées de la station a permis d'obtenir une réduction significative de la charge organique dans un climat aride : elle a produit un effluent d'eau de haute qualité, qui répond aux exigences sanitaires pour une utilisation dans l'irrigation agricole et horticole.

Cette étude montre qu’a partir d’une biodiversité très élevée de plantes initialement utilisées dans le projet, certaines espèces se sont révélées intolérantes à des milieux humides et pollués : malgré leur réintroduction dans le système à plusieurs reprises, elles ont été "désélectionnées" naturellement. De manière surprenante, seules les espèces appartenant au grand groupe des monocotylédones se sont maintenues. Ainsi, l’étude propose un ensemble complet d'espèces végétales qui pourraient être utilisées pour un programme de traitement à long terme et à grande échelle des eaux usées dans les zones humides. Ces données serviront pour l’amélioration de la métaremédiation en zone humide.

Référence
Saggaï M.M., Ainouche A., Nelson M., Cattin F., El Amrani A. Long-term investigation of constructed wetland wastewater treatment and reuse: Selection of adapted plant species for metaremediationJournal of Environmenal Management. 2017 oct 1;201:101-128
doi.org/10.1016/j.jenvman.2017.06.040

Contact chercheur

Abdelhak El Amrani
Écosystèmes, Biodiversité, Évolution – ECOBIO (CNRS  / Université de Rennes 1)
abdelhak.el-amrani@univ-rennes1.fr

Contact communication

Alain-Hervé Le Gall
MultiCOM Observatoire des Sciences de l'Univers de Rennes - OSUR (CNRS / Université de Rennes 1)
ahlegall@univ-rennes1.fr