Les oiseaux à guano du Pérou sensibles à l’accessibilité de leurs proies et à la pêche industrielle à l’anchois

Résultats scientifiques écologie évolutive & Biodiversité

Les populations d’oiseaux marins au Pérou sont en partie régulées par l’accessibilité à leur proie principale, l’anchois péruvien, et par les prélèvements d’anchois effectués par la pêche industrielle. C’est ce que révèle une étude à long terme (près de 50 ans) dirigée par des laboratoires de l’Institut de Recherche pour le Développement, du CNRS, de l’Instituto del Mar del Perú et de l’Universidad Nacional Federico Villarreal, et publiée dans Ecography. Ces résultats pourraient contribuer à mieux gérer la pêche dans l’écosystème marin de Humboldt en tenant compte des besoins des oiseaux et de la variabilité climatique.

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Le pélican thage est le moins abondant des oiseaux à guano, comptant environ 100 000 individus. Des études récentes en télémétrie montrent qu’ils se nourrissent en mer la nuit, possiblement pour réduire la compétition avec les cormorans et les fous. © Henri Weimerskirch.

Dans les écosystèmes marins, les populations de prédateurs supérieurs sont en partie façonnées par des facteurs environnementaux affectant l'abondance de leurs proies. Cependant, les proies peuvent être abondantes mais inaccessibles à leurs prédateurs et un défi majeur consiste à déterminer l'importance relative de l'accessibilité des proies sur la dynamique des populations d'oiseaux marins.

Afin de démêler les effets de l'abondance et de l'accessibilité des proies des effets des prélèvements des proies par les pêcheries, tout en tenant compte de la densité-dépendance, un réseau de collaborateurs internationaux travaillant dans des laboratoires de l’Institut de Recherche pour le Développement, du Centre National de la Recherche Scientifique, de l’Instituto del Mar del Perú et de l’Universidad Nacional Federico Villarreal, a conduit une étude sur la dynamique de population de la plus grande communauté d'oiseaux marins de l’écosystème de Humboldt situé au nord du Pérou, de 1961 à 2008. Cet écosystème héberge d'énormes populations d'oiseaux marins (» 4 millions d'individus), notamment le cormoran des Bougainville Phalacrocorax bougainvillii le fou varié Sula variegata et le pélican thage Pelecanus thagus. Ces espèces se nourrissent presque exclusivement d’anchois péruviens Engraulis ringens. L’écosystème de Humboldt abrite également l'une des plus grandes populations de poissons fourrage, l'anchois péruvien, et la première pêcherie monospécifique mondiale en termes de débarquements (plus de 5 millions de tonnes par an depuis le début des années 1990 et jusqu'à 16 millions de tonnes dans les années 1970).

Les résultats montrent tout d’abord que ces populations sont en partie régulées par densité-dépendance. Ensuite, en couplant les séries d’abondance des oiseaux marins avec d’autres données à long terme concernant les anchois, le prélèvement effectué par les pêcheries et plusieurs variables physiques, l'accessibilité des proies (définie par la profondeur de la zone de concentration minimale d’oxygène ou ZMO) et le prélèvement des proies par les pêcheries ont été retenues comme les meilleurs prédicteurs de la taille de la population annuelle des oiseaux à guano. L'abondance des oiseaux diminue lorsque la profondeur de la ZMO augmente, ce qui suggère que le mécanisme écologique sous-jacent est lié à l'accessibilité des proies. En effet, dans cet écosystème, une ZMO plus profonde offre un plus grand habitat vertical pour les anchois qui peuvent plus facilement éviter la prédation par les oiseaux de mer plongeurs. En outre, la ZMO devient extrêmement profonde lors de forts épisodes El Niño (par exemple, 1982-1983 et 1997-1998), au cours desquels l'anchois est rare et peu accessible, ce qui entraîne des diminutions majeures des populations d'oiseaux de mer. Un autre résultat important est que l'abondance des cormorans et de fous diminue également lorsque la proportion de biomasse d'anchois prélevée par les pêcheries augmente. Cela suggère que les captures d'anchois dans les pêcheries limitent la quantité de ressources disponibles pour les oiseaux de mer, ce qui entraine des impacts démographiques importants.

Ces résultats mettent en évidence les effets de l'accessibilité des proies et des prélèvements effectués par les pêcheries industrielles sur les populations d'oiseaux de mer de l’écosystème de Humboldt. Cela peut permettre d'affiner les objectifs et méthodes de gestion de cet écosystème exceptionnel afin d'assurer une biomasse suffisante de poissons fourrages permettant d’éviter d’impacter les populations d'oiseaux de mer, tout en tenant compte des effets de la variabilité environnementale.

Les résultats de cette étude reposent sur une base de données à long terme exceptionnelle, comprenant des données d’abondance des oiseaux de mer recueillies par les gardiens d’AGRORURAL (Ministère de l’Agriculture Péruvien). De même, les données exceptionnelles à long terme sur la température de surface, la profondeur de la ZMO, la biomasse d'anchois et les débarquements d'anchois ont été acquises in situ par l'IMARPE (Instituto del Mar del Perú). Ceci souligne le rôle crucial de combiner des études à long terme sur les populations animales et les paramètres environnementaux pour fournir des preuves des effets des changements globaux sur la biodiversité, ainsi que la nécessité de maintenir la surveillance à long terme des écosystèmes majeurs tels que l’écosystème de Humboldt.

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La flotte industrielle péruvienne de pêche à l’anchois dans l’écosystème de Humboldt est principalement composée de gros senneurs à coque acier. Il s’agit de la plus grosse pêcherie monospécifique industrielle mondiale, avec plus de 7 millions de tonnes d’anchois pêchés en 2011. © Christophe Barbraud.

 

Référence : 
Density dependence, prey accessibility and prey depletion by fisheries drive Peruvian seabird population dynamics, Christophe Barbraud, Arnaud Bertrand, Marilú Bouchón, Alexis Chaigneau, Karine Delord, Hervé Demarcq, Olivier Gimenez, Mariano Gutiérrez Torero, Dimitri Gutiérrez, Ricardo Oliveros-Ramos, Giannina Passuni, Yann Tremblay, Sophie Bertrand publié dans Ecography. Doi: 10.1111/ecog.02485.

Contacts chercheurs

Christophe Barbraud
Centre d’Etudes Biologiques de Chizé – CEBC (CNRS/Université de la Rochelle)
05 49 09 96 14 | christophe.barbraud@cebc.cnrs.fr

Sophie Bertrand
Centre pour la biodiversité marine, l'exploitation et la conservation – MARBEC (IRD/CNRS/IFREMER/UM)
sophie.bertrand@ird.fr

Contact communication

Bruno Michaud
Centre d’Etudes Biologiques de Chizé – CEBC (CNRS/Université de la Rochelle)
05 49 09 67 43 | bruno.michaud@cebc.cnrs.fr