Comment orchestrer la croissance ?

Résultats scientifiques

Pourquoi possédons-nous deux bras de la même longueur ? Cette question simple se rapporte à un des domaines de recherche les plus excitants de la biologie du développement qui tente de comprendre comment la croissance de chaque organe est coordonnée pour former un individu adulte aux proportions correctes. En utilisant la drosophile comme modèle, les chercheurs de l’équipe de Pierre Léopold à l’Institut de biologie Valrose, révèlent que la régulation par le co-facteur transcriptionel Yki du niveau de dilp8, une hormone de la famille des insulines/relaxines, est essentielle pour une croissance harmonieuse de l’organisme. Cette étude a été publiée le 22 novembre 2016 dans la revue Nature Communications.

Au cours du développement, les organismes croissent en suivant un programme génétique intrinsèque qu'ils adaptent aux conditions environnementales. Chaque tissu atteint une taille cible proportionnelle à la taille finale des autres organes et à celle de l’organisme. Des expériences historiques de greffe et de régénération tissulaire suggèrent néanmoins que chaque organe possède un programme autonome de croissance. Des mécanismes de contrôle sont donc nécessaires afin d’assurer une régulation fine de la taille de l’organisme et une coordination de la croissance entre les organes.

Les chercheurs de l’équipe de Pierre Léopold avaient précédemment identifié chez la drosophile le peptide Dilp8 (Drosophila Insulin-like peptide 8), une hormone de la famille des insulines/relaxines qui est produite par les tissus dont la croissance est altérée. Dilp8 agit au niveau du système nerveux central où sont produites les hormones contrôlant l’horloge développementale telle que l’hormone stéroïdienne ecdysone. Lorsqu’elle est surexprimée, Dilp8 bloque la synthèse de l’ecdysone, retardant ainsi la transition vers le stade adulte et la maturation sexuelle (l’équivalent de la puberté chez les mammifères). En plus de cette fonction, Dilp8 inhibe la croissance tissulaire, permettant ainsi de ralentir la croissance des tissus sains lors de la régénération d’un tissu lésé. De cette façon, Dilp8 participe à la synchronisation de la croissance des tissus, en même temps qu’elle retarde la maturation, permettant au tissu lésé de compléter une croissance réparatrice.

Les mutations du gène dilp8 entrainent une augmentation du bruit développemental qui se traduit par une perte de la symétrie bilatérale des organes (asymétrie fluctuante). Ceci suggèrait un rôle de Dilp8 dans la coordination de la croissance entre les organes au cours du développement. Cette nouvelle étude démontre que la voie de signalisation Hippo/Yki contrôle les niveaux transcriptionnels du gène dilp8 via un élément de réponse (Hippo Responsive Elements, HRE) présent dans le promoteur de dilp8. La voie Hippo/Yki est conservée au cours de l’évolution et joue un rôle clé dans le contrôle de la taille des organes en couplant les paramètres biomécaniques des tissus (densité cellulaire et contraintes physiques) avec la croissance et la prolifération cellulaire. En utilisant le système CRISPR/Cas9, les chercheurs ont effectué une modification génétique du HRE au locus dilp8 qui suffit à induire une asymétrie fluctuante chez les adultes, comme dans le cas des mutants dilp8. Ceci démontre qu’un couplage étroit entre la voie de signalisation Hippo/Yki et l’expression de dilp8 est requis pour le contrôle de la stabilité du développement et la détermination fine de la taille des organes.

 

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Figure : L’aile de la drosophile, un tissu facilement accessible, est utilisée pour suivre la coordination de croissance entre les organes. Cette photo des ailes superposées d’une même mouche, mutante pour le gène dilp8, illustre la perte de symétrie bilatérale entre les organes gauche et droite d’un même individu.

© Emilie Boone

 

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