Des défauts d’organisation au sein des tissus épithéliaux : une question de vie ou de mort

Résultats scientifiques

Le mécanisme d’homéostasie, qui influe sur de nombreux processus cellulaires tels que la morphogénèse ou la progression tumorale, entraîne l’élimination de certaines cellules des tissus. Les mécanismes qui le régulent restent pourtant mal connus. En étudiant la dynamique de monocouches épithéliales dans des environnements microfabriqués, des chercheurs de l’Institut Jacques Monod, du « Mechanobiology Institute » (Singapour), de l’Université d’Oxford (Grande-Bretagne) et de l’Institut Curie, prouvent que l’un des facteurs cruciaux de la mort cellulaire au sein des tissus et l’élimination résultante des cellules, provient de défauts d’alignement dans l’organisation des cellules épithéliales. Ces résultats ont été publiés le 13 avril 2017 dans la revue Nature.

Les tissus épithéliaux qui tapissent la plupart des organes ont une forte capacité à se régénérer. Cette capacité requiert une adaptation à différentes échelles au niveau cellulaire mais aussi au niveau du tissu dans son entier pour notamment réguler sa taille. Cette homéostasie cellulaire est maintenue par un équilibre entre les divisions cellulaires et la mort cellulaire. L’élimination des cellules mortes est donc un processus fondamental qui intervient dans le maintien, la croissance et même l’hyper-croissance des tissus. Il permet non seulement d’exclure les cellules endommagées ou mortes mais aussi d’éviter une surpopulation. La morphogénèse, mais aussi le cancer, sont donc intimement liés à la façon dont les tissus sont capables d’expulser certaines cellules.

 

Dans cette étude, les chercheurs ont pu montrer que ces mécanismes d’extrusion cellulaire au sein des tissus épithéliaux étaient liés à des défauts d’alignement des cellules et au stress mécanique exercé par les voisines. Cette découverte au sein de systèmes vivants résulte d’une analogie avec les cristaux liquides, systèmes physiques bien connus. Les cristaux liquides font référence à des états de la matière à mi-chemin entre liquide et solide. Les molécules composant les cristaux liquides nématiques ont une forme cylindrique allongée. Dans un tel système, l’ordre nait de l’orientation à longue portée des molécules dans une direction privilégiée. Cependant, dans certaines situations, des défauts d’alignement apparaissent et génèrent des inhomogénéités.

 

Les résultats de cette étude montrent que le comportement des cellules épithéliales est très proche de celui des cristaux liquides. Comme ceux-ci, les cellules ont une forme anisotrope et s’organisent parallèlement les unes aux autres - leur axe principal étant orienté dans la même direction. Le mouvement spontané des cellules peut alors introduire des défauts d’organisation dans les monocouches, induisant un alignement local des cellules en forme de comète. Dans les cristaux liquides, de telles réorganisations altèrent les propriétés optiques des matériaux. Dans les cellules épithéliales, c’est une question de vie ou de mort. Les cellules localisées au cœur de ces défauts topologiques meurent et sont éliminées des tissus. En utilisant ces approches, les chercheurs ont également mis en évidence que des forces de compression importantes étaient générées par les cellules au niveau de ces singularités induisant la mort et l’expulsion des cellules.

 

Cette étude pluridisciplinaire devrait non seulement permettre de mieux comprendre les mécanismes de régulation de la croissance des tissus mais aussi les processus d’évasion de cellules cancéreuses des tissus épithéliaux.

 

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Figure. L’apparition de défauts topologiques au sein des tissus épithéliaux entraîne l’extrusion et la mort des cellules.

© Chun Xi Wong & Steven Wolf, Mechanobiology Institute (National University of Singapore).

 

 

En savoir plus

  • Topological defects in epithelia govern cell death and extrusion.
    Thuan Beng Saw, Amin Doostmohammadi, Vincent Nier, Leyla Kocgozlu, Sumesh Thampi, Yusuke Toyama, Philippe Marcq, Chwee Teck Lim, Julia M Yeomans, Benoit Ladoux.
    Nature. 544, 212–216. (13 April 2017). doi:10.1038/nature21718

     

Contact

Benoit Ladoux
Chercheur CNRS à l'Institut Jacques Monod (CNRS / Université de Paris)