Les P-bodies, terra incognita des cellules eucaryotes

Résultats scientifiques

Les P-bodies sont des gouttelettes d’ARN et de protéines qui condensent au sein des cytoplasmes eucaryotes. L’équipe de Dominique Weil à l’Institut de biologie Paris-Seine a réussi à purifier des P-bodies à partir de cellules humaines, et à en identifier le contenu. Ces résultats pionniers lèvent le voile sur la fonction des P-bodies dans la régulation des ARNm, et plus largement sur le contrôle fin de l’expression des protéines dans la cellule. Cette étude a été publiée le 28 septembre 2017 dans la revue Molecular Cell.

Les P-bodies (P pour « processing ») sont des gouttelettes condensées d’ARN et de protéines présentes dans le cytoplasme de toutes les cellules eucaryotes, animales et végétales, et dont le rôle au sein des cellules est resté jusqu’à présent énigmatique. Les chercheurs sont parvenus à isoler des P-bodies pour la première fois, à partir de cellules humaines, et à en identifier le contenu. Avec l’aide des plateformes de cytométrie de l’Institut de Biologie Paris-Seine et de l'Institut de Cardiométabolisme et Nutrition, ils ont mis au point une méthode de purification par FAPS (Fluorescence-Activated Particle Sorting), dans laquelle des P-bodies fluorescents sont triés avec un FACS, appareil normalement utilisé pour trier des cellules. Un véritable exploit, compte-tenu de la taille microscopique (500 nm de diamètre) et la rareté (moins d’une dizaine par cellule) de ces gouttelettes.

L’étude a d’abord révélé que les P-bodies concentrent activement plusieurs milliers d’ARNm et un peu plus d’une centaine de protéines liant ces ARNm. Leur analyse, qui a bénéficié de collaborations avec les équipes de Julien Mozziconacci au Laboratoire de Physique Théorique et de la Matière Condensée, Gérard Pierron à l’Institut Gustave Roussy et Edouard Bertrand à l’Institut de Génétique Moléculaire de Montpellier, s’est avérée extrêmement informative. Tout d’abord elle éclaire la façon dont des gouttelettes d’ARN peuvent condenser au sein d’un cytoplasme lui-même liquide. En effet, une analyse empruntant aux méthodes de la biologie des systèmes montre que les interactions multiples établies entre les protéines et les ARNm des P-bodies, fournissent les bases d’un maillage suffisamment dense pour permettre aux gouttelettes de rester condensées.

Ensuite, ces travaux font aboutir un long débat sur la fonction des P-bodies, les présentant tantôt comme des centres de dégradation des ARN, tantôt comme des sites de stockage. Par différentes approches, les chercheurs ont montré que les ARNm concentrés dans les P-bodies ne sont pas en cours de dégradation, mais bel et bien stockés, intacts, pour un usage ultérieur. A l’échelle de la cellule, même si ces ARNm sont abondants, ils sont très peu traduits en protéines. Ainsi, les P-bodies peuvent constituer un stock d’ARNm facilement mobilisable et finement contrôlable en cas de besoin.

Enfin, de façon plus large, l’identité des ARN stockés dans les P-bodies révèle un niveau supérieur de régulation de l’expression des gènes. Alors que les ARNm exclus des P-bodies codent plutôt des fonctions dites de ménage (housekeeping), c’est-à-dire des fonctions de base de la cellule, ceux concentrés dans les gouttelettes codent des fonctions régulatrices. Cette répartition dichotomique est observée pour une grande variété de fonctions cellulaires : division cellulaire, synthèse des protéines, dégradation des protéines, etc. Ceci suggère que les P-bodies constituent un réservoir d’ARNm que la cellule peut utiliser rapidement pour adapter la production de protéines à ses besoins immédiats. Une analyse plus poussée montre même que les ARN codant pour les différentes protéines d’un même complexe protéique ont tendance à être collectivement concentrés dans les P-bodies, ou collectivement exclus. Enfin, les ARNm codant les protéines des P-bodies sont eux-mêmes enrichis dans les P-bodies, évoquant l’existence d’une boucle de contrôle dans laquelle les P-bodies limiteraient la traduction de leurs propres protéines. Tous ces résultats mettent en évidence l’existence de régulons, c’est-à-dire de groupes d’ARNm codant pour des protéines impliquées dans la même fonction, ou vouées à interagir ensemble, dont la traduction peut être contrôlée de façon coordonnée.

Cette étude représente une avancée majeure dans la compréhension de la fonction des P-bodies dans la cellule, et ouvre la voie à des études plus larges grâce à la mise au point d’une technique pointue de purification. La mise en évidence de régulons d’ARNm localisés dans et hors des P-bodies suggère que leur fonction de réservoir permet à la cellule de répondre rapidement à des variations d’environnement ou des situations de stress. Ces minuscules gouttelettes pourraient donc être essentielles à l’adaptabilité et la survie cellulaire.

 

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Figure 1 : Représentation imaginaire d’un P-body, avec son entrelacs de fibres d’ARN épaissies par les protéines qui leur sont liées.

© Maïté Courel, Dominique Weil

 

 

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Figure 2 : A gauche, une image de microscopie montre une cellule humaine contenant des P-bodies rouges fluorescents. Une fois grossis (encart), les P-bodies apparaissent comme de minuscules gouttelettes rouges. A droite, une analyse de leurs ARN par PCA (Principal Component Analysis) révèle que la combinaison de protéines qui leur sont liées détermine leur localisation dans (jaune) ou hors (bleu) des P-bodies.

© Dominique Weil, Julien Mozziconacci
 

 

 

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Contact

Dominique Weil
Chercheuse CNRS au Laboratoire de biologie du développement - IBPS (CNRS / Sorbonne Université / Inserm)