Quand les souvenirs refont surface grâce à la stimulation électrique cérébrale…

Résultats scientifiques

Ils deviennent alors un outil précieux d’étude de la mémoire à long terme. Les stimulations électriques cérébrales chez certains patients épileptiques peuvent aboutir à la résurgence inattendue de souvenirs. Mais ces souvenirs induits sont rares et n’ont été que très peu étudiés. Des chercheurs ont analysé le contenu, la localisation et les paramètres de stimulation de tous les souvenirs induits publiés depuis 80 ans, pour cerner les « clés » permettant d’accéder aux réseaux de notre mémoire. Cette étude a été publiée le 23 avril 2017 dans la revue Neuroscience and Biobehavioral Reviews.

Des stimulations électriques cérébrales de faible intensité sont appliquées lors des bilans pré-chirurgicaux de patients épileptiques ou lors de chirurgies éveillées. Le but de ces stimulations de quelques secondes est de déterminer la connectivité et les limites du réseau épileptique, ou d’établir le rôle fonctionnel des structures stimulées avant d’opérer un patient. Elles sont indolores pour les patients.
De manière intrigante, ces stimulations sont parfois à l’origine de réminiscences. Mettons-nous en situation avec un exemple. Voici ce qu’a ressenti un patient épileptique de 37 ans juste au moment de la stimulation de l’amygdale cérébrale gauche :
« Le patient : Là je sens quelque chose. Quelque chose de déjà-vu. Une image d'un lieu... J'ai vu Pibrac. J'ai grandi à Pibrac… La rue principale. Le médecin : Vous avez vu la rue principale ?  Le patient : Oui. Le médecin : Vous y étiez ? Le patient : Oui… Je suis devant le bar "St Germaine", c'est comme ça qu'il s'appelle. Je marche devant entre la Catalane, le primeur, et St Germaine à Pibrac sur la rue principale. Pas loin de l'église et je marche. »


Il s’agit d’un exemple parmi d’autres : certains patients peuvent entendre la musique publicitaire de Mc Donald ou un morceau des Pink Floyd, revoir une chambre jaune qui leur est familière ou se trouver projetés dans le hall d’entrée de leur lieu de travail.


Wilbur Penfield, un neurochirurgien canadien, fut le premier à induire ce type de réminiscences dans les années 1930. Elles seront reproduites pendant les décennies suivantes par d’autres équipes. Les souvenirs induits correspondaient, selon Penfield, à l’intégralité des expériences passées des individus, les stimulations rejouant à la manière d’un magnétophone le souvenir. Cette théorie d’une mémoire hautement stable, stockant et « rejouant » tout dans les moindres détails, peut paraitre simpliste. Mais il s’agit d’une idée commune, très ancrée dans l’inconscient collectif. Pourtant aucune étude ne s’est intéressée jusqu’à maintenant au contenu réel de ces souvenirs induits, préalable nécessaire pour mieux comprendre les traces de la mémoire et les mécanismes de modulation de celle-ci par les stimulations électriques.


Les chercheurs ont donc revu 80 ans de littérature rapportant des réminiscences induites par les stimulations électriques cérébrales. Ils y ont ajouté leurs propres données. 273 souvenirs ont pu être collectés. Leur contenu a été spécifiquement étudié selon les conceptions modernes de la mémoire, ce qui n’avait jamais été fait. Si l’on suit la pensée de Penfield, une majorité de souvenirs autobiographiques, très riches en détails et correspondant à l’intégralité d’une expérience unique passée, devrait être observée.


Ce n’est pas le cas. Les chercheurs observent de manière surprenante une très large variété de souvenirs, qui couvrent tous les aspects de la mémoire à long terme, allant même jusqu’à des souvenirs de rêves. Mais la plupart d’entre eux sont très pauvres en détails, avec très peu de souvenirs vraiment autobiographiques. Ces résultats ne corroborent donc pas la théorie d’une mémoire hautement stable et suggèrent qu’il s’agit d’un neuromythe. Même si ces souvenirs restent exceptionnels, les résultats de cette étude suggèrent que le rappel de souvenirs pourrait être activé de manière prédictible par une stimulation électrique. En effet les chercheurs démontrent que le réseau de la mémoire ne peut être activé qu’à certains endroits précis. De plus, le contenu des souvenirs dépend de la localisation de la stimulation.

 

Image retirée.
Figure : La localisation de la stimulation influence le contenu des souvenirs. A - Type de souvenirs en fonction des sites de stimulation (Base de données du CERCO. http://gpe.ups-tlse.fr/memstim.phpaussi disponible àhttps://figshare.com/s/923f93555a0ce51426e4). La figure A représente les localisations des différentes stimulations à l’origine des réminiscences. Il s’agit de stimulations par électrodes intracrâniennes en stéréoélectroenchalographie, réalisées entre 2003 et 2015 au CHU de Toulouse. Sur chaque représentation cérébrale sont placés les différents sites de stimulation chez l'ensemble des patients ayant permis d’induire des réminiscences : en couleur la stimulation correspondant à un type de souvenir particulier (exemple, en bleu, stimulations ayant produit les souvenirs épisodiques, en noir l’ensemble des autres stimulations (ayant produit d’autres types de souvenirs). Les coordonnées stéréotaxiques sont disponibles dans la base de données en ligne. B – Cas particulier des souvenirs induits au niveau du lobe temporal interne. Cette figure représente le nombre de stimulations au niveau du lobe temporal interne en fonction du type de souvenirs dans cette même base de données. Les souvenirs épisodiques (riches en détails et bien contextualisés) ne sont induits que par des stimulations de l’hippocampe ou de l’amygdale, tandis que la stimulation du cortex rhinal induit préférentiellement des souvenirs peu contextualisés et pauvres en détails (souvenirs autobiographiques sémantiques, souvenirs sémantiques, éléments familiers). G = hémisphère gauche, D = hémisphère droit.

©Jonathan Curot. CerCo

 

 

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