Le voile se lève sur les mécanismes de la perception visuelle de la vitesse

Résultats scientifiques

Pour survivre, il est crucial de mesurer la vitesse d’objets, de proies ou de prédateurs en mouvement. Or, comment le cerveau réalise cette tâche avec précision reste largement mystérieux. L’équipe de Pascal Mamassian du Laboratoire des systèmes perceptifs à l’Ecole Normale Supérieure et de Guillaume Masson à l’Institut de neurosciences de la Timone, ont identifié un nouveau mécanisme basé sur la cohésion perceptive de mouvements complexes, comme le déplacement de nuages ou de nuées d’oiseaux. L’estimation perceptive dépend ainsi des interactions entre canaux de vitesse et échelle spatiotemporelle. Ces résultats ont été publiés le 4 mai 2017 dans la revue Current Biology.

L’interaction avec le monde naturel engendre des stimulations complexes de nos sens. Par exemple, le flux optique généré par les nuages ou encore une nuée d’oiseaux, comprend des informations visuelles à différentes échelles spatio-temporelles sur la vitesse ou la direction de ces composantes.


Nikos Gekas et ses collaborateurs se sont concentrés sur l’estimation de la vitesse visuelle, une source critique d’information pour la survie de beaucoup d’espèces animales alors qu’elles surveillent des proies en mouvement ou un danger qui se rapproche. Chez le mammifère, et en particulier chez le primate, l’information de vitesse est conceptualisée comme étant représentée par un ensemble de canaux sensibles à différentes caractéristiques spatiales et temporelles. Cependant, on connaît encore très mal comment le cerveau arrive à inférer précisément la vitesse de scènes naturelles complexes à partir de cet ensemble de canaux spatio-temporels.


Plutôt que d’utiliser des stimuli classiques simples comme des points ou des barres en mouvement, les chercheurs ont choisi un ensemble bien contrôlé de textures en mouvement à l’apparence naturelle appelées « composés de nuages en mouvement » (CNMs) qui activent simultanément plusieurs canaux spatio-temporels. En utilisant des méthodes psychophysiques chez l’homme, ils ont trouvé que les stimuli CNMs ayant la même vitesse physique sont perçus comme se déplaçant à différentes vitesses en fonction des combinaisons de canaux activées. Ils ont ensuite développé un modèle computationnel démontrant que l’activité dans un canal donné est modulée par l’activité d’autres canaux spatio-temporels. Cette modulation forme un pattern systématique d’augmentation et d’atténuation d’un canal par d’autres canaux qui ont des propriétés spatiales et/ou temporelles un peu différentes. Ce pattern d’interactions peut être compris comme la combinaison de deux composantes orientées selon un axe de vitesse (compatible avec un à priori que la vitesse est faible) et un axe d’échelle (affinement des traits similaires). De manière intéressante, cette interaction en échelle implémente un mécanisme d’inhibition latérale, un principe canonique qui jusqu’à présent était surtout reconnu comme opérant sur des traitements de bas niveaux.


Au final, le mécanisme de normalisation en vitesse-échelle pourrait bien refléter une tendance naturelle du système visuel à intégrer des signaux complexes en un percept cohérent. Ceci permettrait de mesurer le mouvement global d’une nuée d’oiseaux en ignorant les mouvements stochastiques de chaque élément ou bien, au contraire de suivre le mouvement de quelques oiseaux sans être perturbé par les changements incessants de direction de la nuée.


L’approche développée par les équipes de Pascal Mamassian et Guillaume Masson peut être facilement adaptée chez différentes espèces, de la mouche aux mammifères supérieurs, pour étudier comment un tel mécanisme simple, automatique et adaptatif, a pu être conservé lors de l’évolution et en identifier les bases neuronales.

 

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Figure : Des stimuli visuels de mouvement ont été créés pour comprendre comment la vitesse est inférée à partir de ses différentes composantes spatiales et temporelles. Dans le domaine fréquentiel, ces stimuli composés comprennent trois parties qui ont des vitesses légèrement différentes. L’étude de Nikos Gekas et ses collaborateurs montre des interactions systématiques entre ces différentes composantes, révélant ainsi un pattern d’interactions entre canaux de vitesse. Ce pattern correspond à la combinaison d’un biais pour des vitesses faibles et d’un affinement de l’échelle du stimulus en mouvement.

© Nikos Gekas. Current Biology.
 

 

 

En savoir plus

  • A Normalization Mechanism for Estimating Visual Motion across Speeds and Scales.
    Nikos Gekas, Andrew I. Meso, Guillaume S. Masson & Pascal Mamassian . 
    Current Biology. Published: May 4, 2017. http://dx.doi.org/10.1016/j.cub.2017.04.022.

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Pascal Mamassian