Comment les cellules embryonnaires se déforment sans trop se forcer

Résultats scientifiques

Lors de la formation dun embryonles cellules exercent des forces d’une durée daction dune ouquelques minutes sur leurs voisines en contractant leur squelette interneou cytosqueletteComment les déformations cellulaires sont-elles maintenuesbien après la disparition des forcescontractiles ? Pourquoi les cellules ne reviennent-elles pas vers leur état initialcomme le ferait unmatériau élastiqueDes chercheurs de l'Institut de Biologie du développement de Marseille montrentque les cellules de lembryon de drosophile « oublient » graduellement leur état de référence en uneminute environCe processus dit de « dissipation » repose sur le renouvellement continu ducytosqueletteet permet infine à des forces transitoires de générer des déformations permanenteslors de la morphogenèse embryonnaire. Cette étude a été publiée le 5 octobre 2017 dans la revue Current Biology.

La morphogenèse repose sur un panel de comportements cellulaires, tels que la division, l’apoptose, ou la capacité des cellules à exercer des forces sur leurs voisines. Ces forces sont générées par des contractions du squelette cellulaire, le cytosquelette, grâce à l’activité de moteurs moléculaires de Myosine tirant directement sur l’ossature principale du squelette, les filaments d’Actine. Ces forces cellulaires, temporellement ou spatialement coordonnées, peuvent remodeler des tissus entiers. Dans ce contexte, la formation d’un embryon est un phénomène éminemment physique, puisque la déformation des cellules et tissus requiert la génération de forces en adéquation avec les propriétés mécaniques des cellules.

 

Une question fondamentale est celle de la réversibilité des déformations lors de la morphogenèse : Pourquoi, après que les forces contractiles générées par l’activité de la Myosine ont disparu, les cellules ne reviennent-elles pas « en arrière », vers un état de référence, comme le ferait un matériau élastique ?

Les chercheurs ont utilisé l’embryon de drosophile comme système modèle pour explorer cette question. Pendant l’embryogenèse de la drosophile, les contacts cellulaires alignés avec l’axe dorso-ventral activent la Myosine de façon pulsatile, permettant leur contraction par paliers, ce qui a pour effet d’allonger le tissu dans l’autre direction (antéro-postérieure). En analysant conjointement l’activité de la Myosine, responsable de la force contractile, et la dynamique de contraction des contacts cellulaires, ils ont mis en évidence que les impulsions les plus courtes génèrent des déformations plus réversibles que les impulsions les plus longues. Ils ont par ailleurs analysé la réponse des contacts cellulaires à des forces extrinsèques exercées plus ou moins longtemps par l’application de « pinces optiques » utilisant des lasers focalisés à proximité des contacts, et observé le même comportement.

 

Ces résultats suggèrent un mécanisme de dissipation, c’est-à-dire d’oubli graduel de l’état de référence, sur un temps caractéristique d’environ une minute. En d’autres termes, pour des sollicitations mécaniques de petite durée, inférieures à la minute, les contacts cellulaires se comportent comme un matériau élastique, et les déformations sont essentiellement réversibles, conférant aux cellules une certaine robustesse face aux possibles perturbations mécaniques ambiantes. A contrario, pour des sollicitations de durée supérieure à la minute, ceux-ci se comportent comme un liquide, et les déformations sont essentiellement irréversibles, ce qui permet à plus long terme aux contacts cellulaires de se déformer sans revenir systématiquement en arrière lorsque les forces contractiles disparaissent.

 

Des expériences complémentaires suggèrent finalement que le renouvellement continu des filaments d’Actine qui constituent le cytosquelette et sont en permanence assemblés et désassemblés, contribue largement à la dissipation. En effet, le renouvellement de la structure mécanique du cytosquelette permet son adaptation active aux changements de forme cellulaire survenant pendant le développement.

Ce travail porte un éclairage nouveau sur les mécanismes de stabilisation des déformations lors de la formation des embryons, en soulignant le rôle crucial de la dissipation par renouvellement du cytosquelette.

 

Image retirée.
Figure : Déformation viscoélastique des contacts cellulaires. (A) Les contacts cellulaires se contractent par paliers sous l’effet du recrutement cyclique de Myosine, qui tire sur le squelette d’Actine. (B) Déformations théoriques d’un matériau élastique (rouge), fluide (jaune), ou viscoélastique (orange) en réponse à une force contractile cyclique (cyan). Les déformations sont complètement réversibles pour un matériau élastique, et complètement irréversibles pour un matériau fluide. (C) Déformation observée (noir) et déformation théorique viscoélastique (orange) en réponse au recrutement cyclique de Myosine (cyan). (D) Irréversibilité des déformations pour des embryons contrôles (bleu) et dans des embryons traités à la Cytochalasine D (rose), qui ralentit le renouvellement du cytosquelette d’Actine. Les déformations sont plus réversibles dans les embryons traités, ce qui suggère que le renouvellement de l’Actine contribue à la dissipation.

© R. Clément, B. Dehapiot, C. Collinet, T. Lecuit, P.-F Lenne

 

 

En savoir plus

  • Viscoelastic dissipation stabilizes cell shape changes during tissue morphogenesis.
    Raphaël Clément, Benoît Dehapiot, Claudio Collinet, Thomas Lecuit, Pierre-François Lenne
    Current Biology. Published: October 5, 2017. DOI: http://dx.doi.org/10.1016/j.cub.2017.09.005

     

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