La réponse du cerveau face aux individus dominants prédit le rapport aux inégalités sociales

Résultats scientifiques

Les êtres humains se divisent régulièrement à propos du maintien ou de l’accentuation des inégalités d’accès aux ressources élémentaires. Une équipe de l’Institut des sciences cognitives Marc Jeannerod, montre par IRM fonctionnelle que la réponse du cortex préfrontal antérieur droit des individus les plus enclins à légitimer ces hiérarchies de dominance sociale est exacerbée lorsque ces derniers sont exposés à des joueurs les ayant préalablement dominés au cours d’une tâche compétitive. Cette étude a été publiée le 5 avril 2017 dans la revue Scientific Reports.

Comme la plupart des espèces animales, les sociétés humaines se structurent suivant les mécanismes complexes de la dominance, par lesquels apparaissent au cours des interactions sociales des asymétries de contrôle sur les ressources énergétiques et reproductives. Cependant, l’homme est la seule espèce chez qui le développement de normes culturelles et morales questionne le bien-fondé de cet “état de nature”. Si les divisions idéologiques qui animent ce questionnement, reposent en partie sur des facteurs démographiques ou économiques comme l’âge, l’éducation, le sexe ou l’appartenance ethnique, les nombreuses recherches utilisant un questionnaire d’orientation à la dominance sociale (SDO en anglais) montrent que la propension à légitimer ou à condamner l’existence des hiérarchies humaines reste en réalité très variable, même au sein de groupes homogènes au regard de ces facteurs.

 

L’hypothèse testée par Romain Ligneul, Romuald Girard et Jean-Claude Dreher est que cette variabilité comportementale inexpliquée pourrait reposer sur une sensibilité cérébrale elle aussi variable vis-à-vis des situations de dominance ou de subordination sociale. Ils ont donc invité 28 hommes (jeunes, étudiants, d’origine caucasienne) à effectuer une tâche de compétition contre 3 autres individus dont les performances étaient en réalité contrôlées par un algorithme informatique de manière à induire progressivement une hiérarchie sociale composée d’un individu supérieur (66% de victoires), d’un individu moyen (50% de victoires) et d’un individu inférieur (33% de victoires). Dans un second temps, le visage de ces différents individus était présenté en dehors de tout contexte compétitif, de manière à mesurer les réponses cérébrales associées à la dominance sociale à l’aide de la neuroimagerie fonctionnelle (IRMf).

 

Les analyses ont montré que deux aires cérébrales, la partie postérieure du sulcus temporal supérieur (pSTS) et la partie antérieure du cortex préfrontal dorsolatéral (aDLPFC), étaient significativement plus activées par la présentation d’un individu supérieur que par celle d’un individu inférieur. Pour tester l’hypothèse centrale de l’étude, les chercheurs ont alors évalué la relation entre ce contraste d’activité et la tendance des participants à légitimer voire à renforcer les inégalités sociales existantes. Indexée par des scores hauts sur le questionnaire SDO, cette tendance était effectivement corrélée de façon positive, robuste et significative avec la sensibilité du cortex préfrontal dorsolatéral antérieur droit aux asymétries de dominance, telles qu’induites à travers la tâche compétitive. Des analyses supplémentaires excluant plusieurs facteurs confondants (âge, niveau d’étude, symptômes dépressifs, autres traits de personnalité liée à la dominance sociale, etc.) ont montré que l’association était principalement causée par les réponses exacerbées de cette zone face aux individus supérieurs chez les participants ayant un haut SDO.

 

Expliquant près de 30% de la variance constatée dans les réponses au questionnaire, ce phénomène joue probablement un rôle dans la prédisposition aux comportements antisociaux ou discriminatoires, parfois violents, des individus ayant un SDO élevé. Les recherches futures permettront de déterminer si il existe un lien entre cette découverte et la représentation de la confiance dans nos décisions et jugements, qui dépend également de l’activité du DLPFC antérieur. A terme, ces travaux pourraient permettre de mieux comprendre les facteurs neurobiologiques sous-tendant la renaissance de l'extrémisme politique ou religieux, puisque ce dernier repose le plus souvent sur la volonté de renforcer la dominance de certains groupes sociaux sur d’autres et que celle-ci entretient un rapport bien établi avec la perception de la dominance à l’échelle des interactions interindividuelles.

 

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Figure 1: En haut, représentation du protocole au cours duquel les participants étaient invités à concourir face à trois individus dont les performances étaient manipulées de manière à induire une hiérarchie de dominance. Par la suite, les participants étaient exposés répétitivement aux visages de ces trois individus pendant que leur activité cérébrale était enregistrée. En bas à gauche, l’aire du DLPFC antérieur droit (en rouge) dont la réponse était significativement plus importante face aux individus supérieurs que face aux individus inférieurs. En bas à droite, amplitude de cette différence en fonction du score obtenu au questionnaire SDO qui mesure la propension à légitimer et à renforcer les hiérarchies de dominance sociale.

© R. Ligneul. J-C Dreher. Sci Rep. License Creative Commons.

Vignette illustrant le résumé : © Geoff Wong. Wikipedia Commons (licence CC), 
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Homeless_II.jpg
 

 

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Contact

Jean-Claude Dreher
Chercheur CNRS à l'Institut des sciences cognitives (ISC) - Marc Jeannerod - (CNRS/Université Claude Bernard)
Romain Ligneul