Combien de temps faut-il pour transmettre une marque épigénétique ?

Résultats scientifiques

Grâce à une avancée technologique reposant sur le développement de sondes fluorescentes originales, l’équipe d’Yves Mély au Laboratoire de biophotonique et pharmacologie et leurs collaborateurs ouvrent la voie à l'élucidation d'un mécanisme qui assure la conservation d'une identité cellulaire au cours des divisions. Cette étude a été publiée le 23 janvier 2017 dans la revue Journal of the American Chemical Society.

Les marques épigénétiques, véritable support de la mémoire cellulaire, permettent à une cellule d’exprimer un nombre bien défini de gènes qui vont déterminer le type cellulaire et donc l’identité d’une cellule. Cette capacité à définir les gènes à s’exprimer, est liée, entre autres, à la présence de petites modifications appelées méthylations, présentes sur certaines bases cytosine de l'ADN à des positions bien précises sur le génome qui représente l'ensemble de notre ADN.

Lorsque les cellules se multiplient, elles doivent transmettre ces informations à la descendance en recopiant fidèlement ces méthylations de l'ADN au bon endroit, sans quoi la cellule perdrait son identité. Ceci signifierait perdre ses capacités à remplir ses fonctions et dans certains cas, les rendre anormales comme par exemple dans le cas du cancer et des maladies neuro-dégénératives de type Alzheimer. Ainsi, chaque type cellulaire est caractérisé par un profil de méthylation propre qui conditionnera la fabrication des protéines caractéristiques de chaque cellule. Il en résulte que, lors de la division cellulaire, les profils de méthylation (cytosines méthylées) doivent être recopiés de manière hautement fidèle. Une fois la réplication achevée, les cellules filles ne présentent qu’un seul brin d’ADN méthylé, provenant de la cellule mère; l’autre brin, nouvellement synthétisé, ne l’est pas : on parle d’ADN hémiméthylé. La réalisation de la copie d’ADN méthylé symétrique est assurée par le tandem formé par l'ADN méthyltransférase 1 (DNMT1) et son guide, la protéine UHRF1 (Ubiquitin-like, containing PHD and RING finger domains, 1).

L'une des premières étapes de la duplication du profil de méthylation implique la reconnaissance de l’ADN hémiméthylé et le basculement des cytosines méthylées (mC) par le domaine SRA (Set and Ring Associated) d’UHRF1. Ensuite, grâce à UHRF1, la DNMT1 vient méthyler les cytosines sur le brin d’ADN nouvellement synthétisé. La manière dont s’opère le dialogue de ce ménage à trois, entre UHRF1, la DNMT1 et l’ADN hémiméthylé, reste un mystère.

Dans ce contexte, l'objectif des chercheurs a été de suivre et de caractériser la dynamique du basculement des cytosines méthylées. Pour l'atteindre, ils ont utilisé deux analogues fluorescents de nucléobases très innovants, la 2-thiényl-3-hydroxychromone (3HCnt) capable de substituer n’importe quelle nucléobase de l’ADN et la thiénoguanine (thG) qui remplace parfaitement la guanine. En incorporant la 3HCnt ou la thG à des positions choisies d’un ADN double brin hémiméthylé ou non méthylé, les chercheurs ont montré qu’elles étaient capables de suivre de manière sensible et fidèle le basculement des cytosines méthylées, induit par le domaine SRA de UHRF1. Ces outils ont permis également de montrer que la liaison du domaine SRA avec l’ADN est rapide et donc compatible avec une activité de lecture de UHRF1 pour trouver les sites à méthyler sur le brin d’ADN nouvellement formé. Par contre, l’interaction de SRA avec la cytosine méthylée et le basculement de cette dernière dans la poche de liaison constituent un événement lent qui laisse le temps à UHRF1 de recruter la DNMT1 au bon endroit.

Cette étude donne un nouvel éclairage sur le mécanisme de fonctionnement du tandem UHRF1/DNMT1 et permet d’envisager le développement de tests de criblage pour identifier des inhibiteurs du basculement de la cytosine méthylée. Ces inhibiteurs pourraient avoir des vertus anti-cancéreuses très intéressantes.

Ces  travaux ont été réalisés par l'équipe d’Yves Mély au Laboratoire de Biophotonique et Pharmacologie, en collaboration avec les équipes d'Alain Burger à l'Institut de Chimie de Nice, d'Yitzhak Tor à l'Université de Californie à San Diego, d'Olivier Mauffret au Laboratoire de Biologie et de Pharmacologie Appliquée de l'ENS Paris-Saclay et de Christian Bronner et Marc Ruff  à l'Institut de Génétique et de Biologie Cellulaire et Moléculaire à Illkirch.

 

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 Figure : Suivi par fluorescence du basculement des cytosines méthylées par le domaine SRA de la protéine UHRF1. En insérant des analogues fluorescents de nucléobases à proximité de la cytosine méthylée, on observe une forte augmentation de fluorescence  qui permet de suivre en temps réel ce basculement et de le caractériser.   

© Vasyl Kilin et Krishna Gavvala

 

 

En savoir plus

  • Dynamics of methylated cytosine flipping by UHRF1. 
    Kilin V, Gavvala K, Barthes NP, Michel BY, Shin D, Boudier C, Mauffret O, Yashchuk V, Mousli M, Ruff M, Granger F, Eiler S, Bronner C, Tor Y, Burger A, Mély Y.
    J Am Chem Soc. 2017 Jan 23. doi: 10.1021/jacs.7b00154. 

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Yves Mély