La face cachée des lésions cérébrales
Figure : 3 coupes de cerveau montrant une carte statistique des déconnexions qui sont associées au nombre de mots produits chez les patients. Les connexions de couleurs chaudes sont associées avec une performance normale alors que les couleurs plus froide© Michel Thiebaut de Schotten

La face cachée des lésions cérébrales

Résultats scientifiques

Quel est l’effet d’une lésion cérébrale sur les connexions du cerveau et leur relation entre les symptômes des patients et l’interruption des connexions cérébrales dues à la lésion ? Pour le savoir, l’équipe de Michel Thiebaut de Schotten a développé un logiciel permettant d’observer des changements au niveau des connexions cérébrales, impossibles à observer à l’IRM. A terme, cet outil permettrait la compréhension des mécanismes fonctionnels du cerveau et la prédiction des symptômes des patients cérébro-lésés. Les résultats sont publiés le 8 février 2018 dans la revue GigaScience.

La neuroimagerie a fait des progrès considérables dans l’étude des connexions anatomiques et fonctionnelles du cerveau normal. Elle reste encore peu développée dans le cas de lésions du cerveau et des déconnexions engendrées par celles-ci. Pourtant l’étude des lésions du cerveau est une occasion unique d’étudier le fonctionnement global de cet organe.

Dans le cas des lésions cérébrales, il est commun d’associer les symptômes observés chez un patient à la région endommagée. Ainsi si un patient présente une lésion au niveau d’une région X du cerveau et un symptôme Y, alors on associe la région X à une fonction liée au symptôme Y.  Or, ce raisonnement ne prend pas en compte les déconnexions qu’une lésion peut entraîner entre des régions distantes dans le cerveau. Ces déconnexions peuvent avoir des conséquences importantes puisqu’une région ne recevant et/ou n’envoyant plus de signaux ne peut non seulement plus participer à l’élaboration de la fonction dans laquelle elle était impliquée, mais, de plus, ses neurones vont s’atrophier voire mourir du fait de l’absence de signaux.

Quelle est l’effet d’une lésion cérébrale, causée par un AVC par exemple, sur les connexions du cerveau ? Quelle est la relation entre les symptômes des patients et l’interruption de certaines connexions cérébrales dues à la lésion ?

Pour répondre à ces questions, les chercheurs ont développé un logiciel, BCBtoolkit, grâce auquel ils ont étudié les connexions cérébrales de 37 patients présentant des lésions au niveau du lobe frontal du cerveau. Ce logiciel permet d’estimer les connexions cérébrales endommagées, connexions qui ne sont plus observables sur l’IRM d’un patient. Les connexions qui passent par les lésions du patient sont modélisées à partir du cerveau de centaines de sujets sains. Les chercheurs étudient alors les changements au niveau des régions sur lesquelles ces connexions projettent.

Afin de corréler les modifications au niveau des connexions et les fonctions cognitives des patients, ces dernières ont été évaluées via des tests neuropsychologiques qui permettent l’évaluation de plusieurs fonctions cognitives : le langage, la fluence verbale, la mémoire de travail et la mémoire sémantique. Dans ces tests, il est par exemple demandé aux patients de donner en l’espace de 2 min le plus de noms d’animaux possibles. Pour réussir dans ce genre de tâche, il faut explorer le champ sémantique, c’est-à-dire tous les types d’animaux, être capable de produire avec la parole le nom des animaux et être capable de se souvenir et d’organiser son exploration pour ne pas se répéter. Ce test fait ainsi converger l’activité de plusieurs systèmes cérébraux.

Les chercheurs ont étudié la contribution des grands regroupements de fibres nerveuses à la performance des patients à ces tests. Grâce au logiciel BCBtoolkit, ils ont mis en évidence que les régions déconnectées correspondent directement aux aires impliquées dans la fluence verbale et dans les tâches de catégorisation et ont réussi à reconstituer le réseau normalement activé chez les sujets sains. Ils ont également montré au niveau des régions déconnectées un lien entre la diminution de l’épaisseur corticale, c’est-à-dire la quantité de neurones au niveau du cortex et la performance aux tests.

Pour la première fois, avec ce logiciel, il devient possible de mesurer, chez des patients, les déconnexions cérébrales et d’associer un déficit neuropsychologique à une déconnexion cérébrale. A termes c’est la compréhension des mécanismes sous-jacents du cerveau et la prédiction des symptômes des patients cérébro-lésés qui deviendront accessibles.

Image retirée.
Figure : 3 coupes de cerveau montrant une carte statistique des déconnexions qui sont associées au nombre de mots produits chez les patients. Les connexions de couleurs chaudes sont associées avec une performance normale alors que les couleurs plus froides entrainent une baisse de performance quand elles sont déconnectées.
© Michel Thiebaut de Schotten

 

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Contact

Michel Thiebaut de Schotten
Chercheur CNRS à l'Institut des maladies neurodégénératives (CNRS / Université de Bordeaux / CEA / Inria)