Evolution d’une molécule de signalisation
Figure : Le récepteur à l’acide rétinoïque (RAR) a acquis une forte affinité pour l’acide rétinoïque (AR) dans le lignage qui a conduit aux chordés et aux vertébrés grâce à une altération de la position de son ligand, AR, à l’intérieur de la poche de liai© Mette Handberg-Thorsager

Evolution d’une molécule de signalisation

Résultats scientifiques

Des chercheurs ont découvert comment la fonction biologique d’une molécule, l’acide rétinoïque (AR), peut changer au cours de l’évolution en passant du statut de simple métabolite à celui de régulateur de fonctions physiologiques essentielles. Ces travaux sur la fonction biologique de l’AR, récemment publiés dans le journal Science Advances, ont révélé que, chez le ver annélide, l’AR agit comme une horloge métabolique qui aide les neurones à se former au bon moment et dans le bon tissu durant le développement.

L’acide rétinoïque (AR), un métabolite de la vitamine A, est une molécule de signalisation importante, connue pour son rôle dans le développement embryonnaire. Les réponses cellulaires dépendantes de l’AR sont déclenchées par la liaison de quantités infimes d’AR à des récepteurs intracellulaires, appelés RARs, dont l’activité sur la transcription des gènes se trouve ainsi induite. On sait que chez l’Homme, l’AR et ses récepteurs agissent sur certains ensembles de gènes, comme les gènes hox, pendant le développement de l’embryon et que cette voie de signalisation est particulièrement importante pour la formation du système nerveux.

En revanche, presque rien n’était connu sur le mécanisme par lequel ce simple métabolite de la vitamine A a acquis ce rôle crucial de molécule de signalisation intercellulaire et à quel point de l’évolution des animaux cela est intervenu. Pour le comprendre, une collaboration internationale, comprenant des groupes de recherche de trois continents (Allemagne, Espagne, Etats-Unis et Arabie Saoudite) ainsi que plusieurs laboratoires du CNRS, a entrepris de caractériser le mécanisme de la signalisation de l’AR chez le ver annélide marin Platynereis dumerilii, un modèle puissant pour les études évolutives.

Dans leur étude, récemment publiée dans le journal Science Advances, les chercheurs ont montré que, chez le ver, l’AR agit comme une horloge métabolique qui aide les neurones à se former au bon moment et dans le bon tissu durant le développement. Cette fonction se fait très probablement via le RAR du ver qui lie l’AR et active la transcription de gènes impliqués dans ce processus, tout comme chez l’Homme, mais avec une affinité de liaison de l’AR à son récepteur beaucoup plus faible chez le ver. Cette différence d’affinité significative est due à un mécanisme radicalement différent de liaison de l’AR aux récepteurs des deux espèces. En effet, des analyses structurales par cristallographie aux rayons X révèlent des modes de liaison très différents pour l’AR dans les récepteurs du ver et de l’Homme, avec notamment un décalage d’orientation d’environ 90°.

Des analyses de développement ont également montré que l’AR et RAR agissent localement au niveau du système nerveux de la larve du ver, où ils contrôlent la neurogénèse (ensemble du processus de formation d'un neurone fonctionnel à partir d'une cellule souche neurale) et l’excroissance neuronale (croissance contrôlée d’un neurone). Mais curieusement, et en contradiction totale avec la situation chez l’Homme, la régulation des gènes hox dans le développement du système nerveux du ver est indépendante de la signalisation par l’AR.

Ces résultats suggèrent un modèle dans lequel AR et RAR fonctionnaient déjà pendant la formation du système nerveux chez le dernier ancêtre commun du ver et de l’Homme. Par contre, un RAR avec une forte affinité pour l’AR et la régulation des gènes hox par ce dernier auraient été acquis plus tard dans l’évolution, au sein d’un lignage conduisant aux vertébrés actuels.

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Figure : Le récepteur à l’acide rétinoïque (RAR) a acquis une forte affinité pour l’acide rétinoïque (AR) dans le lignage qui a conduit aux chordés et aux vertébrés grâce à une altération de la position de son ligand, AR, à l’intérieur de la poche de liaison du récepteur (marques rouges)
© Mette Handberg-Thorsager

 

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