Quand le cœur dépasse ses limites

Résultats scientifiques Physiologie et cancer

Après une course d’endurance extrême, le cœur peut présenter une dysfonction qui perdure et dont les mécanismes cellulaires demeurent inconnus. Les équipes d’Olivier Cazorla au laboratoire de Physiologie et médecine expérimentale du cœur et des muscles et de Cyril Reboul au Laboratoire de Pharm-écologie cardiovasculaire, identifient les mécanismes qui affectent la contractilité cardiaque en fonction de la durée de l’exercice. Cette étude, publiée le 01 Mai 2018 dans la revue International Journal of Cardiology, décrit des interactions entre les signalisations redox et adrénergiques à l’origine de désordres fonctionnels de la machinerie contractile cardiaque pouvant contribuer à différentes pathologies cardiaques.

La popularité des courses d’extrême endurance comme les trails, triathlons et marathons augmente mondialement depuis 30 ans, tout comme l’âge moyen des participants. Réaliser un exercice intense de type marathon est devenu un challenge personnel pour beaucoup d’individus, même pour « le sportif du dimanche ». Cette pratique s’est même durcie avec l’apparition des « ultra » où les efforts intenses dépassent les 10 heures d’affilées. Pour autant, cette pratique sportive ne fait l’objet d’aucune recommandation médicale particulière.

Pourtant, au cours des 10 dernières années, il a été montré que ce type d’épreuves physiques extrêmes était à l’origine de troubles transitoires de la fonction cardiaque, aujourd’hui connu sous le nom de fatigue cardiaque. Bien que ce phénomène soit rapporté dans un grand nombre d’études cliniques sur le terrain ou en laboratoire, à ce jour les mécanismes cellulaires et moléculaires sous-jacents n’ont jamais été clairement identifiés.

Les chercheurs ont exploré les mécanismes sous-tendant cette fatigue cardiaque sur un modèle de rat coureur en se concentrant sur le rôle de la signalisation médiée par le système adrénergique et la signalisation médiée par le stress oxydant, toutes deux très largement sollicitées au cours de l’exercice physique. Différents systèmes expérimentaux complémentaires ont été mis en œuvre in vivo, ex vivo (cœur isolé) et in vitro (cellule isolée), couplés à une approche pharmacologique.

La fonction cardiaque explorée in vivo par échocardiographie est plutôt améliorée par une course modérée d’une demi-heure. Si la course se prolonge plusieurs heures des dysfonctions des capacités de remplissage du cœur (fonction diastolique) sans atteinte majeure de la fonction de contraction sont observées comme chez l’Homme. Cette dysfonction persiste sur cœur isolé, suggérant des altérations de l’organe indépendantes de facteurs circulants. L’étude du couplage excitation-contraction à l’échelle cellulaire montre que les protéines de la machinerie contractile (sarcomère) sont préférentiellement affectées.

Il est aujourd’hui connu que la réponse du cœur à l’exercice est associée à la fois à un stress adrénergique et à un stress oxydant. A l’étage des protéines contractiles des myocytes cardiaques, un exercice modéré engendre à la fois l’activation d’une signalisation adrénergique, caractérisée par la phosphorylation de certaines protéines régulatrices cibles et une signalisation dite redox qui conduit à la s-glutathionylation d’une protéine clé dans la régulation de la fonction sarcomérique, la Myosin Binding protein-C (MyBP-C). Lorsque l’exercice est intense et prolongé, la s-glutathionylation de la MyBP-C empêche la signalisation dépendante du stress adrénergique d’impacter ses cibles au niveau de la machinerie contractile cellulaire. Ces modifications au niveau du sarcomère sont directement corrélées aux modifications contractiles de la cellule cardiaque et du cœur entier.

Les chercheurs montrent que l’on peut prévenir ces altérations fonctionnelles du cœur avec une supplémentation des animaux avant la course avec un antioxydant à large spectre, la N-acetylcystéine. Cela permet d’augmenter, avant l’épreuve physique intense, les stocks de glutathion réduit, de normaliser le niveau de s-glutathionylation de la MyBP-C. Cette stratégie permet finalement de préserver la voie de signalisation adrénergique sur les myofilaments et de normaliser la fonction cardiaque.

Ces résultats mettent en évidence des mécanismes cellulaires et moléculaires à l’origine de la fatigue cardiaque observée chez l’Homme après une épreuve physique de longue durée.

Image retirée.
Figure : Durant un exercice physique, différentes voies de signalisation sont activées pour augmenter la force de contraction du cœur. Dans la cellule musculaire cardiaque (myocyte) qui compose le cœur, la machinerie contractile est une cible préférentielle. En fonction de l’intensité/durée de l’exercice, le stress oxydant généré induit la S-glutathionylation de la cMyBP-C (annotée en rouge -GS). Cette modification interfère avec les phosphorylations dépendantes du système adrénergique (annotées en bleu -P). Durant un exercice « modéré », il y a plus de phosphorylations dans le sarcomère ce qui est bénéfique pour la fonction cardiaque in vivo (partie gauche). Un exercice prolongé épuisant augmente la S-glutathionylation de la cMyBP-C et diminue les phosphorylations du sarcomère ce qui induit des troubles transitoires de la relaxation et donc des capacités de remplissage du cœur entre chaque contraction.
© Olivier Cazorla et Cyril Reboul

 

Pour en savoir plus

Stress-induced protein S-glutathionylation and phosphorylation crosstalk in cardiac sarcomeric proteins - impact on heart function.
Chakouri N, Reboul C, Boulghobra D, Kleindienst A, Nottin S, Gayrard S, Roubille F, Matecki S, Lacampagne A, Cazorla O.
International Journal of Cardiology. 258 (2018) 207–216. DOI: 10.1016/j.ijcard.2017.12.004