Les bases structurales du recrutement de la télomérase dévoilées

Résultats scientifiques

L’extrémité des chromosomes est protégée par des structures appelées télomères constitués de séquences répétées d’ADN sur lesquelles viennent se fixer des protéines spécifiques. Les télomères sont essentiels au maintien de l’intégrité du matériel génétique et leur longueur conditionne la capacité proliférative des cellules. Les séquences répétées de l’ADN télomérique sont synthétisées par une enzyme appelée la télomérase dont l’activité permet de compenser l’érosion des télomères au cours des générations successives des cellules. Un travail collaboratif entre l’institut de Biochimie et de Biologie cellulaire de Shanghai, les université de Johns Hopkins et de Boulder, et le Centre de Recherche en Cancérologie de Marseille a établi les bases structurales et moléculaires du recrutement de la télomérase à l’extrémité des chromosomes de la levure Saccharomyces cerevisiae.Ces travaux ont été publiés dans la revue « Cell » le 11 janvier 2018.

Les télomères sont des structures nucléoprotéiques qui protègent les extrémités des chromosomes et participent à leur réplication. L’ADN télomérique est constitué de séquences répétées en tandem synthétisées par la télomérase. La télomérase est une reverse transcriptase spécialisée constituée d’une sous-unité enzymatique associée à un ARN qui sert de matrice pour l’addition des répétitions télomériques. Les fonctions télomériques sont assurées par un ensemble de protéines spécifiques appelées « Shelterin » qui se fixent directement ou indirectement sur l’ADN télomérique. En absence de télomérase, l’ADN télomérique se raccourcit à chaque cycle de division entrainant la déprotection partielle des extrémités des chromosomes. Les télomères déprotégés induisent alors une cascade d’événements qui aboutit à la sénescence réplicative. Cet arrêt de la prolifération contribue au vieillissement de l’organisme et constitue un frein majeur au développement tumoral.

Depuis la découverte de la télomérase en 1985 chez  le cilié Tetrahymena, les chercheurs se sont posés la question du recrutement de la télomérase à l’extrémité des chromosomes. Comment cette ribonucléoprotéine s’associe-t-elle aux extrémités des chromosomes et accède à l’extrémité 3’ simple brin des télomères qui constitue son substrat ? La levure de boulanger a été un excellent modèle pour comprendre les bases du recrutement de la télomérase. Les travaux de différentes équipes avaient précédemment montré que le recrutement de la télomérase aux télomères se produisait en fin de phase S (phase de réplication des chromosomes) et dépendait en partie de l’interaction entre une protéine se fixant sur l’ADN simple brin télomérique (Cdc13) et une sous unité de la télomérase (Est1). Il avait été aussi montré que l’hétérodimère yKu70/80, normalement associé aux extrémités d’ADN avait un rôle particulier aux télomères de levure en ancrant la télomérase aux télomères en phase G1 (phase végétative) grâce à une double interaction, d’une part avec la protéine de l’hétérochromatine télomérique Sir4, et d’autre part, avec l’ARN de la télomérase appelé TLC1. Néanmoins, les relations fonctionnelles entre la fixation de la télomérase en phase G1 et son recrutement et son activité n’étaient pas élucidés.

L’équipe de l’Université de Shanghai a déterminé la structure tridimensionnelle des interactions  de yKu et de Cdc13 avec leurs interacteurs respectifs (TLC1 et Sir4 ; Est1). Basé sur leurs données structurales, un modèle a été proposé, puis vérifié in vivo par l’équipe du CRCM et les équipes américaines. Comme il est indiqué sur la figure ci-dessous, l’analyse structurale et moléculaire indique qu’en phase G1, l’hétérodimère yKu (représenté en vert et bleu) se fixe à l’ARN de la télomérase (TLC1) en utilisant la même surface que celle normalement utilisée pour se fixer à l’ADN. L’interaction entre yKu et la protéine Sir4, associée à la chromatine télomérique, ancre le complexe yKu-télomérase au voisinage de l’ADN télomérique. Pendant la phase de réplication des chromosomes, dans un deuxième temps, le complexe télomérase va être recruté sur son substrat (l’ADN télomérique simple brin) grâce à l’interaction entre la protéine Cdc13 (en rouge) et la sous-unité Est1 du complexe télomérase. L’ana         lyse structurale et moléculaire montre que la protéine Cdc13 affine du simple brin télomérique utilise un motif structural dans sa partie N-terminale pour interagir avec Est1. Cdc13  possède un deuxième motif dans sa partie N-terminale essentiel à l’activité de la télomérase dont le mode d’action demeure inconnu. Ce travail basé sur une analyse structurale et moléculaire  a permis de concilier les différents modèles apparemment contradictoires proposés pour expliquer le recrutement de la télomérase.

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Figure : Bases moléculaires et structurales du recrutement de la télomérase chez S. cerevisiae.
A) En phase G1, la télomérase constituée de la sous unité catalytique Est2 et de l’ARN TLC1 est ancrée au voisinage de l’extrémité du télomère grâce à une double interaction entre yKu et TLC1 et yKu et Sir4. Les protéines Pop1, Pop 6 et Pop7 contribuent à l’assemblage de la télomérase. B) Modèle atomique de l’interaction TLC1-yKu70/80-Sir4 respectivement représentés en orange, vert, bleu et jaune. Ce modèle d’interaction a servi de base à la conception de mutations utilisées pour valider le modèle. C) En phase S, la sous-unité Est1 s’associe à la télomérase qui est recrutée à l’extrémité du chromosome grâce à l’interaction de Est1 avec le motif 1-N de la protéine affine du simple brin télomérique Cdc13. Le motif 1-C de Cdc13 contribue à l’action de la télomérase par un mécanisme qui reste à élucider. D) Modèle atomique de l’interaction entre Cdc13 et Est1.  Comme précédemment, ce modèle a été validé » in vivo par l’introduction de mutations spécifiques.
© Vincent Geli

 

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Contact

Vincent Geli
Chercheur CNRS au Centre de recherche en cancérologie de MArseille (CRCM) (Inserm/CNRS/Aix-Marseille Université/Institut Paoli-Calmettes)