Les forces qui font régner l’ordre parmi les cellules

Résultats scientifiques Biologie végétale

Quels sont les mécanismes qui expliquent les formes et tailles stéréotypées des organismes vivants ? En utilisant des modèles physiques, les chercheurs révèlent, dans cet article de la revue PNAS, comment l’ordre et la régularité des organismes vivants peuvent émerger des forces mécaniques générées par la croissance des cellules qui les constituent et de la réponse des cellules à ces forces.

Les deux mains se superposent quasi-parfaitement chez la majorité des humains ; toutes les fleurs d’un plant de pétunia ont la même forme et la même taille. Comment les formes de ces organes sont-elles réitérées quasiment à l’identique au sein d’un individu ou entre individus ? La réponse à cette question peut sembler évidente si on envisage des réalisations humaines telles qu’une pièce mécanique usinée à des millions d’exemplaires identiques au millième de millimètre près. Toutefois, les organismes vivants sont bien plus complexes qu’une pièce de métal usinée. Ils sont formés de grands nombres de cellules dont le comportement n’est pas réglé comme une horloge, mais est en partie aléatoire, comme des individus dans une foule qui ont chacun leurs actions propres. Comment les cellules d’un organe peuvent-elles se multiplier et arrêter de croître quand l’ensemble atteint une taille et une forme bien précise ?

Pour répondre à cette question, les chercheurs ont construit un modèle mathématique qui incorpore les ingrédients physiques de la croissance d’un organe : le squelette cellulaire (le cytosquelette), la croissance cellulaire et la réponse des cellules aux forces mécaniques. En effet, les cellules qui croissent rapidement poussent les cellules voisines et ces voisines peuvent répondre à ces forces mécaniques. L’originalité majeure de ce modèle mathématique est de prendre en compte les différences aléatoires entre cellules afin  d’en étudier les conséquences sur la forme d’un organe. Les prédictions principales de l’étude sont, d’une part, que les fluctuations aléatoires de croissance d’une cellule sont perceptibles par des cellules éloignées et, d’autre part, qu’une réponse modérée des cellules aux contraintes mécaniques permet d’assurer un contrôle précis de la taille et de la forme de l’organe constitué de ces cellules.

On peut comprendre intuitivement ces résultats en considérant un groupe de personnes dansant une farandole. Dans cette analogie, la vitesse d’un danseur remplace le croissance d’une cellule. Chaque danseur a sa vitesse propre, qu’il ajuste à celle de ses voisins en utilisant les forces que ces derniers exercent sur ses mains, comme une cellule ajuste sa croissance à celle de ses voisines selon les forces qui lui sont appliquées. Enfin, les différences entre danseurs correspondent aux différences entre cellules. Un danseur qui ralentit légèrement a un effet sur quasiment toute la ronde, ralentissant des danseurs éloignés. Si un danseur ne réagit pas aux forces exercées par les danseurs voisins ou s’il y réagit trop, alors la ronde perd sa symétrie ou peut même se rompre. Ainsi, un niveau modéré de réponse des danseurs aux forces exercées par les voisins contribue à l’harmonie de la ronde.

Il reste à confronter ces prédictions théoriques à l’étude expérimentale d’organismes qui se développent et qui croissent. Le cadre théorique développé pourrait être utile pour d’autres champs d’application tels que la croissance des tumeurs, pour aborder le comportement aléatoire des cellules et leur réponse aux contraintes mécaniques, ou l’adaptation des plantes aux fluctuations climatiques, pour examiner le lien entre comportement aléatoire des cellules et leur réponse à des changements de l’environnement.

 

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Figure : Gauche : la croissance des cellules d’un bouton floral semble aléatoire. Des cellules de la surface d’un sépale (organe vert protégeant la fleur avant son ouverture) sont observées avec un microscope ; chaque région colorée correspond à une cellule ; le bleu correspond à une croissance lente et le rouge à une croissance rapide. Droite : dans le modèle, le tissu enserre (comme indiqué par les segments bleus) une région en forme de disque en réponse aux forces générées par une croissance plus rapide dans ce disque.

© Corentin Mollier et Antoine Fruleux

 

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Contact

Arezki Boudaoud
Enseignant-chercheur à l'unité Reproduction et développement des plantes (RDP) - (CNRS/Univ. Claude Bernard/ENS Lyon/INRA)