Conférence des présidents - Discours Vincent Courtillot

Discours introductif de Vincent Courtillot,
Directeur de la recherche au ministére de
l'Education nationale, de la recherche et de la technologie

Chers Collégues,

Je suis heureux d'inaugurer mes fonctions de nouveau directeur de la recherche en ouvrant, á l'invitation de Catherine Bréchignac et d'Edouard Brézin, cette journée de travail du Comité national du CNRS. Je souhaite profiter de cette occasion qui m'est offerte pour rappeler comment le gouvernement a procédé pour faire petit á petit émerger sa stratégie et ses priorités dans le secteur de la recherche.

1) La priorité á l'emploi

Lorsque ce gouvernement est arrivé, il voulait avant tout faire face, au delá de toutes les questions particuliéres, á un probléme commun aussi bien á la recherche française qu'á d'autres secteurs de son économie : I'emploi. Ceci s'est immédiatement traduit par un certain nombre de décisions :
- recrutement de plus de 4500 enseignants chercheurs dans le supérieur, soit 1500 de plus qu'au cours des années précédentes ; et grâce aux simplifications administratives et á la réforme du CNU, les emplois de maître de conférences ont bien pour l'essentiel été pourvus ;
- rétablissement d'une politique de l'emploi pour la recherche, avec la garantie d'atteindre un renouvellement de 3 % pour les jeunes chercheurs. Nous avons suivi les demandes de la direction du CNRS, qui ne souhaitait pas aller au-delá.
Pour l'INSERM, nous sommes allés sensiblement plus loin :
- création de nombreuses bourses post-doctorales ;
- augmentation significative du nombre des allocations de recherche pour les doctorants.
Ce sont en tout plus de 5000 jeunes docteurs qui ont ainsi trouvé un emploi. Les recrutements l'an prochain seront encore du même ordre.

2) Le constat

Le ministre était d'autre part confronté á un certain nombre d'observations :
- l'évaluation de l'efficacité de la recherche, comme celle publiée dans Science en juillet dernier par Robert May. On peut discuter, et nous le faisons, la validité de telles analyses, mais elles soulignent deux types principaux d'organisation de la recherche : les pays où la recherche s'appuie sur les universités et ceux qui ont choisi de conserver des organismes de recherche autonomes. Qu'il s'agisse de la part prise dans l'avancée mondiale des connaissances ou de la prise de brevets, force est de reconnaître que le succés paraît moindre dans le second cas ;
- une étude du ministére de l'Economie sur les créations d'entreprises innovantes montrait que la France n'était pas bien placée, et que les chômeurs y étaient plus souvent créateurs d'entreprises que les chercheurs. Ceci soulignait les limites du modéle qui fonde la fécondation de l'économie sur la recherche ;
- les centaines de post-doctorants français rencontrés, aux Etats-Unis ou au Japon par exemple, soulignaient tous leur hésitation á rentrer en France (ou en Allemagne d'ailleurs), á cause de la confiance et des responsabilités insuffisantes qu'ils pensent qu'on placerait en eux á leur retour ;
- enfin, le rapport Guillaume soulignait au printemps dernier la nécessité d'une refonte du systéme de recherche français.

3) Les premiéres grandes priorités

Le ministre a donc décidé de réagir, en défendant au sein du gouvernement d'abord la recherche en général et le CNRS en particulier. Il fallait imaginer de nouvelles structures pour conseiller le gouvernement et pour coordonner l'action des organismes de recherche. La discussion a été engagée au niveau du gouvernement dans son ensemble. Deux réunions de ministres y ont été consacrées, conduisant le 15 juillet dernier á un premier CIRST (Conseil Interministériel de la Recherche Scientifique et de la Technologie). Deux questions essentielles y étaient posées :
- comment définir une politique de la recherche scientifique et technique, comment retenir les grandes priorités, arrêter les grands équilibres ?
- comment créer les conditions de l'innovation scientifique et technique ?
A cette occasion, le gouvernement a arrêté quelques grandes décisions :
- la création du Conseil national de la science, constitué de membres dont la qualité est incontestable, avec á la fois une ouverture internationale, principalement européenne, et une ouverture vers la recherche industrielle ;
- la mise en place d'une politique contractuelle (contrats d'objectifs pluriannuels) avec les organismes de recherche, alliant transparence des procédures, exigence de qualité de l'évaluation, et dialogue avec les partenaires ;
- la coordination des actions et des grands programmes entre les organismes (exemples des sciences du vivant, comité présidé par Nicole Le Douarin et où Monsieur Samarut représente le CNRS, exemple prochain des sciences de la planéte et de l'environnement, comité présidé par Gérard Mégie et où Jean-François Minster représentera le CNRS).

Le gouvernement a également indiqué ses premiéres grandes priorités :
- soutien au premier chef de la recherche fondamentale non programmée (augmentation demandée dés 1998 du soutien de base des équipes évaluées positivement, quel que soit leur domaine ; ce soutien est réaffirmé dans les lettres de cadrage du budget 1999 ; création du Fonds National de la Science - le FNS - doté de 500 millions de francs dans un premier temps et appelé á conforter largement le budget des organismes et des équipes de recherche) ;
- réactivation de la recherche technologique (renaissance du FRT - Fonds de la Recherche et de la Technologie - doté de 670 MF ; loi sur l'innovation, permettant aux chercheurs de transformer leurs inventions, leur énergie et leur imagination en création d'emplois et de richesses pour le pays, et leur permettant pour cela de pouvoir travailler quelques années dans le monde industriel sans perdre leur statut de chercheurs).

4) La clarté des procédures

Ces évolutions doivent se faire dans le souci permanent de la clarté des procédures ; le gouvernement le souhaite pour tous et se l'applique á lui-même, qu'il s'agisse du nucléaire, des organismes génétiquement modifiés ou de la recherche.

4a) Dés juillet 1997, nous avons demandé aux organismes de recherche de se réformer de l'intérieur, avec quelques priorités simples :
- accroître la responsabilité des jeunes chercheurs ;
- concevoir l'évaluation á l'échelle européenne ;
- accroître la mobilité des chercheurs.
Certains organismes, comme l'INRA, l'IRD et le CEA, sont déjá avancés dans cette réflexion.

4b) Une note récemment envoyée á tous les organismes de recherche leur demande l'état de leur réflexion sur les objectifs. Plusieurs points sont évoqués pour cette réflexion, qui doit conduire en 1999 á la signature de contrats quadriennaux d'objectifs :
- rajeunissement de la population des organismes, et accroissement de l'autonomie des jeunes cher
cheurs (Catherine Bréchignac a lancé un premier programme dans ce sens dés le début de l'année; il devra être amplifié) ;
- comment réussir enfin la mobilité si nécessaire des chercheurs vers l'université ou vers le monde économique ? Pourquoi se priver de voir les savants que sont les chercheurs diffuser leur savoir lá où il est trés rapidement profitable ?
- rapprochement des organismes et des universités (déjá largement entamé par le CNRS et qu'il faut poursuivre). Je voudrais á cette occasion tenter de dissiper quelques incompréhensions manifestes que j'ai entendues depuis quelques mois á ce sujet. Il ne s'agit nullement de transformer les organismes en agences de moyens, ni de mettre ceux-ci entre les mains des universités. Certains universitaires ont d'ailleurs compris l'inverse et protesté de se voir mis entre les mains des organismes... Une université fait son acte essentiel de politique scientifique quand elle recrute un nouveau collégue. Aprés, elle n'a que le pouvoir de proposer équipes et projets. Ce sont les organismes qui évaluent, décident, financent. Et, de toutes façons, il s'agit d'accords, de contrats, qui ne peuvent être signés que si toutes les parties ont dûment discuté et accepté le travail commun. Notons en passant que le CNRS continuera á gérer ses crédits et ses personnels, et l'université les siens. Il s'agit essentiellement d'accroître la fluidité du systéme.

4c) Une lettre de cadrage, qui a fait l'objet d'un aller-retour entre le ministére et les organismes, fixe les grandes orientations dans lesquelles doit être construit le budget voté par le Parlement pour 1999. Elle a le mérite d'une transparence qui n'a pas toujours été respectée : que savait-on en effet auparavant de ces cadrages, décidés par les gouvernements successifs et qui existaient naturellement á chaque budget ? Les années suivantes, le contrat d'objectifs servira évidement de base á l'application annuelle que représentent ces lettres de cadrage ; I'aspect gestion des ressources humaines y revêtira une place trés importante. Il s'agit bien lá d'une action de transparence, et non de directivisme.

La prospective et l'évaluation de chaque organisme, dans chaque organisme, ne doivent pas être des activités formelles, n'aboutissant qu'á un ouvrage épais que personne ne consulte. Ce doit être des activités qui vont de soi, permanentes, constamment remises á jour. Le ministre a ainsi récemment fait parvenir aux dirigeants des organismes une lettre, dans laquelle il leur demande de lui faire connaître leurs grandes priorités pour le 10 janvier. Un second CIRST aura en effet lieu á la fin du mois de janvier, qui cette fois arrêtera les premiéres priorités précises en matiére de programmes coordonnés et d'actions incitatives.

5) Indépendance, autonomie et évaluation

Comme tous les autres organismes de recherche, le CNRS ne méne évidemment pas une politique indépendante. Dés lors que le budget de la recherche atteint un certain pourcentage du PIB, il ne peut rester du seul ressort des chercheurs, pas plus que le budget de la sécurité sociale ne peut rester de celui des seuls médecins. Avec l'argent du contribuable, le CNRS suit des orientations données par le gouvernement : il s'agit des grandes options, comme celles que j'ai rappelées ci-dessus, élaborées par le gouvernement et le parlement, contrôlées par la nation. Mais il ne s'agit pas (et il ne doit pas s'agir) d'un contrôle pointilleux et d'ailleurs inefficace ; il ne s'agit pas de se substituer á ceux qui ont la compétence pour évaluer. Tout reste soumis á la qualité de cette évaluation dont, pour le CNRS, vous devez être les garants.

Le gouvernement a nommé directeur général Catherine Bréchignac, il y a un an. Il a confié au président Edouard Brézin, conjointement avec le Conseil d'administration qu'il préside, le soin de faire des propositions en matiére de réforme des statuts du CNRS. Il vient de le renommer en Conseil des ministres, ce qui, en période de cohabitation notamment, revêt une signification particuliére. Les points de la réflexion demandée concernent :
- la nécessité de l'indépendance des instances scientifiques ;
- I'assurance que l'évaluation permette aux jeunes de qualité d'émerger ;
- le renforcement des liens avec l'université ;
- la création des conditions de l'émergence d'une recherche européenne ;
- une meilleure définition des missions respectives du président et du directeur général de l'organisme ;
- un effort pour favoriser le transfert des découvertes vers le monde économique.
Sur ce dernier point de la recherche industrielle, le gouvernement a déjá procédé á un certain nombre de réalisations :
- plus de 80 % des crédits pour la recherche technologique (FRT) étaient concentrés sur seulement six grands groupes industriels ; désormais, le financement s'adresse principalement aux PMI et PME innovantes ;
- ces jours-ci est lancé un concours national pour la création d'entreprises ;
- plusieurs réseaux de recherche technologique sont ou vont être mis en route.
C'est cet ensemble que nous devons continuer á faire évoluer.

Comme les autres organismes, le CNRS dispose pour la réalisation de ses missions d'une grande autonomie. Cette autonomie n'est pas remise en cause, au contraire. Ce gouvernement n'a, je le redis, nulle intention de piloter les recherches faites dans les organismes de la maniére pointilleuse que j'entends évoquer parfois çá et lá. Si tel était le cas, pas plus moi que le ministre n'accepterions de le servir. Mais cette autonomie réaffirmée, il faut savoir ce qu'elle signifie, ce qu'elle implique. Il faut savoir l'utiliser. Et quand tel ou tel " court-circuite " son président de section, le président de son Conseil de département, le directeur général et même le président, pour aller directement, par-dessus leurs têtes, présenter au ministre lui-même telle ou telle exigence, telle ou telle revendication, il signifie ainsi que tous les niveaux inférieurs ont fait défaut. Cet hypothétique collégue se rend-il compte de l'extraordinaire manque de confiance qu'il montre á ses propres collégues placés aux divers niveaux de responsabilité ? C'est le meilleur moyen de saper cette autonomie du CNRS, si clairement revendiquée.

6) La mission confiée au président Brézin

Le président Brézin a donc reçu mission de faire, avec son Conseil d'administration, des propositions d'évolution de ses statuts permettant d'aller dans le sens des priorités indiquées par le gouvernement au CIRST de juillet. Edouard Brézin a entrepris cette mission depuis cinq mois comme il l'entendait : rédaction d'un premier jet (provisoire et ouvert) de texte aprés diverses consultations, consultation du CA, premiéres modifications, consultation de l'ensemble des partenaires sociaux, de l'Académie, du CSRT (Conseil Supérieur de la Recherche et de la Technologie), mise en place de sites d'échange, organisation de cette journée, puis, si je le comprends bien, synthése de quatre tables rondes, pour finir par un ensemble de propositions qui devront avoir été validées par le CA et qui seront alors seulement transmises au ministre. Je ne sais évidemment pas aujourd'hui ce que seront ces propositions. Le gouvernement les analysera alors, passera par diverses étapes de consultation réglementaires, puis arrêtera ses décisions. C'est le processus normal de la démocratie. Bien des changements antérieurs n'ont pas suivi une voie aussi rigoureuse.

7) Une évolution nécessaire, des propositions attendues

Dans un article récent, le ministre a mis en garde contre les " révolutionnaires de l'immobilisme ". Il sait de quoi il parle ; voilá l'avantage d'avoir un ministre qui connaît le terrain et qui ne découvre pas ces dossiers. Refondation de l'institut de physique du globe de Paris, création de la réunion annuelle des sciences de la terre, création du département des sciences de la terre de Paris 7, création de l'Union européenne des géosciences, création de l'Institut universitaire de France, création des Instituts universitaires professionnalisés, lancement du Plan université 2000, á chaque fois les résistances ont été nombreuses ; elles n'ont pas empêché toutes ces réalisations de voir le jour. Et je crois que tout le monde s'en félicite.

Vous voyez donc, et je sais que vous en avez pleinement conscience, que votre rôle dans ce processus est extrêmement important. Vous êtes, je le redis, les garants de l'évaluation des chercheurs, des équipes et des projets du CNRS, seul ou avec ses partenaires, et nous n'avons nulle intention de changer cela. Vous êtes á la bonne place pour connaître dans le détail vos communautés, assurer le lien entre les aspirations des chercheurs individuels et les grandes orientations voulues par le gouvernement. Vous pouvez avoir un rôle extrêmement efficace, á condition de ne pas vous tromper d'objectif.La France est dotée d'une vingtaine de grands établissements publics de recherche. Une dizaine ont comme vous, le statut d'EPST. Chacun a son champ d'action, ses missions, ses responsabilités. Comme vous, les autres organismes ont commencé, ou vont commencer á réfléchir á leurs objectifs. Malgré un titre que je connais bien, qui est hérité de l'histoire, et dont l'application littérale ne reléverait plus que du mythe, vous êtes le Comité national du CNRS. Il est capital pour le CNRS et sa communauté, il est capital pour le gouvernement que vous nous disiez ce que vous pensez devoir être les évolutions pour faire de ce fantastique organisme le meilleur possible pour le pays (et pour sa contribution á la recherche mondiale). Je sais que vous êtes conscients de la nécessité d'évolutions et les appelez de vos vœux. Vous savez évidemment qu'un organisme (au sens le plus large du terme) qui n'évolue pas, qui ne s'adapte pas, est condamné á disparaître. Je pense que Catherine Bréchignac et Edouard Brézin attendent, je sais que le gouvernement attend pour sa part de votre travail des propositions réfléchies, précises, et données á temps pour qu'elles puissent pleinement être prises en compte. Si cette journée ne débouche pas rapidement sur des propositions innovantes, le Comité national et le CNRS entier en sortiront trés affaiblis.Je vous souhaite donc une excellente journée de travail. J'espére qu'elle sera fructueuse, que les suggestions seront riches et á la hauteur des enjeux. Bref, je souhaite que le Comité national du CNRS soit á la fois dans ce débat ce qu'il rêve d'être et ce que nous souhaitons tous qu'il soit, vivant, tourné vers l'avenir. Par avance, je vous remercie pour votre contribution.

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