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Portrait de femme
âgée
de Hans Memling

Radiographie
du tableau
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La contribution
de la radiographie à l'étude des uvres d'art n'est
plus à démontrer, aussi peut-on se permettre un propos rétrospectif
à caractère plus paradoxal que didactique.
Aux années pionnières où l'on privilégiait
l'aspect esthétique d'une radiographie qui met en valeur le métier
du peintre, a succédé une période moins exaltante,
mais plus stimulante, où l'où cherche à découvrir
des indices, parfois triviaux, qui concernent davantage le support de
l'uvre. Ce propos sera développé à travers
trois exemples qui permettent de jeter un regard nouveau sur les uvres
examinées.
Ainsi la localisation de banales cavités où étaient
logées à l'origine des chevilles de bois servant à
l'assemblage des planches d'un panneau, constitue un élément
d'orientation pour la reconstitution de diptyques ou de polyptyques. Le
Portrait de femme âgée, peint par Memling au XVe
siècle et conservé au Louvre, présente sur sa droite
une zone évidée, décelée par la radiographie.
La même cavité est repérable en vis-à-vis sur
l'image aux rayons X du Portrait d'homme de mêmes dimensions
de la Gemäldegalerie à Berlin. Cela confirme que les
deux uvres constituaient un ensemble qui a été désolidarisé
ultérieurement comme la continuité du paysage le suggérait
déjà (1).
Les traces que le châssis d'origine a laissées dans la matière
picturale sont aussi sources d'information sur la vie des uvres
comme l'illustre La Découverte du corps de saint Alexis
de Georges de La Tour, tableau conservé au Musée historique
lorrain à Nancy. Les vulgaires mastics, visibles en radiographie,
posés aux emplacements des quatre traverses d'angles après
l'enlèvement du châssis primitif, démontrent que la
toile, agrandie dans la partie supérieure, n'a pas été
gravement mutilée dans la partie inférieure, comme on le
croyait. Dès sa conception, cette composition représentant
les personnages à mi-corps est donc différente d'une autre
version du même thème conservée à la National
Gallery de Dublin, où les personnages sont en pied. Cela suggère
qu'il s'agit de deux uvres autonomes et éventuellement autographes,
plutôt que d'un original avec sa copie (2).
À défaut d'illustrer joliment le propos, la radiographie
du portrait de Melchior von Brauweiler met en évidence certains
détails significatifs de la couche picturale qui, bien que peu
spectaculaires, permettent de retracer les vicissitudes dont ce tableau
a été victime. L'uvre, conservée au Louvre,
a été peinte à Venise en 1540 par Johann Stephan
Calcar, disciple du Titien. L'image radiographique ne présente
guère d'attrait en raison d'un enduit opaque aux rayons X passé
au revers de la toile qui atténue le contraste, mais elle indique
clairement cependant que le peintre a représenté son sujet
sur un support agrandi par la suite sur les quatre côtés
par des bandes de toile de texture différente et, pour l'une d'entre
elles, déjà peinte (3).
On peut en conclure que le format original presque carré était
à peu près le même que celui de la copie ancienne
qui en a été faite quelques décennies plus tard et
qui se trouve actuellement dans une collection privée. De plus,
une zone de forme vaguement rectangulaire, assez opaque aux rayons X,
est discernable dans l'angle supérieur droit et ne correspond pas
à un détail de la composition. La comparaison de cette radiographie
avec la copie ancienne du tableau suggère que l'artiste avait peint
le personnage avec une ouverture sur un paysage portuaire comme la copie
le reproduit. Des analyses en fluorescence de rayons X, effectuées
directement sur le tableau à l'emplacement du rectangle dissimulé
(4), ont renforcé cette hypothèse
en décelant du cuivre en quantité notable en raison de la
présence très probable d'un ciel original sous-jacent en
azurite, pigment fréquemment utilisé dans ce but au XVIe
siècle.
À partir de faibles indices perceptibles en radiographie, on voit
tout l'intérêt d'une telle découverte pour situer
les sources stylistiques variées que s'est appropriées Calcar,
peintre d'origine allemande, très influencé par l'art vénitien
sans être insensible aux apports toscans, comme le montre J. Habert
dans un récent article (5). Recouvrir
plus tardivement un paysage par une couche à base de terre d'ombre
n'est pas innocent. Serait-ce pour favoriser une attribution plus flatteuse
au Titien, célèbre pour ces portraits sur fond sombre comme
l'Homme au gant, conservé au Musée du Louvre ? Des
attributions au Maître de Cadore et au Tintoret sont fréquentes
dans les archives à propos de ce tableau, et c'est le nom de Tintoret
qui figure pour une copie sur porcelaine du XIXe
siècle conservée au musée de Sèvres (6).
Tous ces exemples démontrent la nécessité d'une attention
à tous les aspects signifiants de l'image, car plus que dans l'amélioration
technique de l'obtention d'un document, c'est dans l'interprétation
de celui-ci que résident les apports actuels de la radiographie
au laboratoire.
Très souvent la radiographie a une fonction de mémoire car
elle révèle ce que l'histoire a laissé inscrit dans
la matière, tels qu'agrandissements, accidents et repeints. Le
portrait de Melchior von Brauweiler illustre aussi cet aspect,
ainsi que le rôle prémonitoire de la radiographie qui souvent
disparaît quand la couche de surface apocryphe est éliminée
par la restauration. Un tableau sur bois examiné en 1973, mais
encore actuellement dans les services de restauration des musées
de France, servira d'exemple à ce propos.
La radiographie de La Vierge de IAnnonciation du Musée
du Petit Palais en Avignon révélait une figure tout à
fait compatible avec un tableau du XVe
siècle attribuable à Giovanni di Paolo, alors que l'uvre
elle-même était d'un style mièvre beaucoup plus tardif.
Après une délicate intervention contrôlée par
l'image radiographique, a surgi en 1988 la représentation attendue
d'une Vierge ancienne (7). La restauration
se poursuit et bientôt les derniers repeints locaux qui surchargent
encore le visage auront disparu. L'image radiographique, très excitante
en 1973, en devient moins signifiante, car elle montre désormais
ce que l'on voit à l'il nu. De nombreux autres cas(8)
pourraient témoigner de ce que la radiographie est menacée
d'oubli quand l'intérêt quelle avait suscité
disparaît.
Elisabeth
Martin, Elisabeth Ravaud
Centre de recherche et de restauration des musées de France
Ce
texte est extrait de larticle publié dans la revue Techné,
N° 2, 1995, Images et réalité : la radiographie des
peintures de chevalet, p. 158.
[1]
L'hypothèse du rapprochement avec le tableau de Berlin
avait déjà était faite par Lorne Campbell
dans son article "A Double Portrait by Memling"
dans The Connaisseur, mars 1977, pp 187-189. Le rapprochement
des deux radiographies a été fait dans le cadre
de la préparation du second volume du Corpus de
la peinture des Anciens Pays-Bas méridionaux, consacré
aux collections du Louvre (ouvrage auquel le laboratoire a
collaboré avec le centre de recherches "Primitifs
Flamands" de Bruxelles). Nous remercions le Dr Rainald
Giosshans, conservateur au musée de Berlin, d'avoir
eu l'amabilité de nous autoriser à publier le
document et P. Lorentz de nous y avoir rendu attentifs. P.
Le Chanu a également participé à la réalisation
de ce dossier.
[2] A, Reinbold, "Examens
en laboratoire et histoire de Part" in Actes du colloque,
Georges de La Tour ou La nuit traversée, Vic-sur-Seille,
1993. Éditions Serpenoises. Metz, 1994.
[3] L'étude du support
a été faite en collaboration avec B. Chantelard.
Il est à remarquer que contrairement au cas général,
l'image radiographique ne révèle pas le tissage
de la toile originale.
[4] Analyses effectuées
par M. Eveno qui n'a pas décelé de cuivre dans
le reste du fond du tableau.
[5]
J. Habert, " Calcar au Louvre " in Hommage à
Michel Laclotte. Études sur la peinture du Moyen
Age et de la Renaissance sous la direction de P. Rosenberg,
C. Scaillierez, D. Thiébaut. Milan - Paris, 1994, p.
357, 373. Nous remercions H. Kisters de nous avoir autorisé
à reproduire le tableau d'après Calcar.
[6]
Information
recueillie auprès de M. Dubus. cf. également
J. Habeit, op. cit.
[7]
La radiographie a été publiée dans le
catalogue de l'exposition Au-delà du visible,
Avignon, musée du Petit Palais, avril-octobre 1980.
La première phase de la restauration a été
faite par G. Mondorf sous l'autorité de S. Bergeon
puis de N. Volle au Service de restauration des musées
de France. Le manteau de la Vierge n'a pas encore été
purifié.
[8] Le manteau de l'intendant
des Noces de Cana
de Véronèse, apparu d'abord sur la radiographie,
est maintenant remis au jour. De même les décors
autour de l'Ange peint par Raphaël, découverts
par l'image radiographique, sont désormais visibles,
Ils étaient auparavant masqués, pour donner
à la peinture un statut d'uvre autonome (S. Beghin,
"Un nouveau Raphaël : un ange du retable de saint
Nicolas de Tofentino" in Revue du Louvre 2-1982,
p. 99-113, etc.)
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