Depuis
la nuit des temps, poètes, mystiques et philosophes méditent
à travers l’observation du ciel les notions d’infini,
d’éternité et d’immuabilité. Le
mouvement des planètes lui-même, apparemment erratique,
témoigne d’une régularité dépassant
largement l’échelle de temps des générations
humaines et des civilisations. Pourtant, si le monde judéo-chrétien,
notamment, s’est longtemps référé au
Ciel comme au monde de la paix, de la pureté et de la perfection,
confinant la violence et l’accidentel à un "ici-bas"
sublunaire, de nombreux récits mythologiques font du cosmos
le siège de crises majeures, d’actes violents et irréversibles.
Aujourd’hui, les gigantesques déferlements d’énergie
dont sont témoins les astronomes à travers l’univers
font l’objet d’études de plus en plus nombreuses,
utilisant des moyens d’observation couvrant toute l’étendue
du spectre électromagnétique, des ondes radios aux
rayons gamma, et faisant appel à des messagers cosmiques
nouveaux, tels les particules chargées ("rayons cosmiques"),
les neutrinos ou encore les ondes gravitationnelles. Ces phénomènes
cosmiques violents se présentent sous des formes et à
des échelles très diverses. Qu’ils soient associés
à l’explosion d’étoiles massives, à
des trous noirs géants ou à des objets compacts fortement
magnétisés, ils se caractérisent le plus souvent
par des conditions physiques extrêmes, obligeant les physiciens
à étendre toujours davantage le domaine d’application
de leurs théories…
Accidents cosmiques et histoire
universelle
À première vue, le ciel est calme, impassible, immuable,
contrastant singulièrement avec notre environnement familier
où tout est mouvement, agitation, éclosion, croissance
et mort. Les éléments peuvent se déchaîner
sur la Terre, les volcans s’animer, les tempêtes sévir,
les étoiles que l’on quitte une nuit se retrouvent
toujours à l’identique la nuit suivante, brillant d’un
même éclat et dessinant les mêmes constellations
sur le ciel. Seules la Lune et les planètes paraissent se
déplacer sur un fond de ciel essentiellement immobile, modulé
seulement par ce que nous savons être aujourd’hui le
mouvement propre de la Terre, mais ces mouvements sont d’une
telle régularité qu’on les utilise depuis la
plus haute antiquité pour… mesurer le temps!
Le cosmos semble ainsi marqué à la fois par le permanent
et le périodique, ce qui conduit à la notion d’un
temps cyclique dans lequel rien ne saurait se produire qui pourrait
affecter significativement l’univers et ainsi matérialiser
une histoire cosmique. On comprend dès lors que l’apparition
ou la disparition d’une étoile dans le ciel puisse
susciter le plus grand étonnement et plonger ses témoins
dans la perplexité. Nous savons aujourd’hui que les
étoiles, comme les civilisations, sont mortelles. Elles naissent,
rayonnent un temps, puis disparaissent. Leur durée de vie
se compte le plus souvent en milliards d’années (environ
dix pour notre Soleil, dont 4,5 déjà écoulés),
et même les plus éphémères brillent d’un
intense éclat pendant plusieurs millions d’années.
La période de vie active des étoiles n’est pas
non plus d’une parfaite régularité. Différentes
phases d’activité se succèdent, et des soubresauts
les secouent même parfois, modifiant sensiblement leur éclat.
C’est sans doute historiquement la première manifestation
de violence cosmique dont fut témoin l’humanité.
Lors d’un brusque accroissement de son intensité lumineuse,
une étoile ordinairement invisible peut soudain devenir observable
à l’œil nu. De tels phénomènes,
observés occasionnellement par les astronomes au cours des
siècles, portent le nom de nova, indiquant qu’une «
nouvelle » étoile apparaît alors dans le ciel.
Outre le mécanisme physique responsable de cette formidable
libération d’énergie, sur lequel nous reviendrons,
c’est avant tout par son échelle de temps qu’un
tel phénomène peut surprendre. Le cosmos varie manifestement,
à l’occasion, sur des échelles de temps humaines!
Ce n’est plus une évolution, mais un bouleversement
: un événement a lieu, quelque part dans l’univers,
capable de produire des effets observables sur Terre, ne durant
parfois guère plus de quelques instants.
Une trace historique particulièrement significative d’un
tel phénomène est la mention faite par les astronomes
chinois d’une "supernova" (plus violente encore qu’une
nova) apparue en l’an 1054. En Occident, l’observation
par le grand astronome scandinave Tycho Brahé d’une
supernova survenue en 1572 joua un rôle très important
dans l’abandon de l’idée aristotélicienne
d’un cosmos immuable. Pourtant, de tels événements
pouvaient encore être considérés comme des "accidents
cosmiques", ne changeant pas la situation globale de manière
significative. C’est dans les années 1920 qu’une
observation véritablement révolutionnaire remit en
cause de manière radicale notre conception de l’univers
et des phénomènes qui s’y déroulent.
La théorie de la Relativité Générale
élaborée par Albert Einstein semblait bien impliquer
une évolution globale de l’univers, soit en expansion,
soit en contraction, mais Einstein lui-même ne pouvait se
résoudre à une telle perspective. La découverte
observationnelle de l’expansion de l’univers, formalisée
par Edwin Hubble, l’y obligea pourtant. Indépendamment
même des mouvements, de l’apparition ou de la disparition
des étoiles, c’est la structure même de l’univers
qui évolue dans un temps désormais ordonné,
séquentiel. Le cosmos présent se distingue du cosmos
passé non plus par l’intervention de quelques accidents
obéissant à une contingence locale, mais selon le
déroulement d’une histoire universelle modifiant globalement
ses propriétés physiques et son contenu énergétique
et matériel.
Or, si cette évolution se caractérise par des échelles
de temps et de longueur dépassant largement celles qui nous
sont familières, elle conduit inévitablement sur la
piste d’une origine temporelle – un début –
marquée à la fois par un enchaînement accéléré
des événements significatifs et par la mise en jeu
d’énergies colossales. En révélant le
passé extrêmement dense et extrêmement chaud
de l’univers, et en faisant remonter ses caractéristiques
présentes à des événements survenus
en quelques minutes, voire en quelques secondes ou fractions infinitésimales
de seconde il y a 13 ou 14 milliards d’années, le cadre
général du big-bang, avec sa mystérieuse origine
temporelle, symbolise à lui seul la part violente de notre
univers. Il associe également d’emblée cette
violence à un processus évolutif dans lequel elle
est un moteur, au point qu’il serait possible de dire, dans
ce contexte, que la violence est créatrice.
Mais des phénomènes cosmiques extrêmement violents
se produisent en réalité couramment dans l’univers,
des milliards d’années après cette agitation
primordiale, au sein même des galaxies les plus paisibles
et les plus discrètes. Ce sont ces événements
que nous évoquerons ici. Mais auparavant, il convient de
noter que la notion de violence appliquée aux phénomènes
célestes est en vérité arbitraire. On utilise
généralement ce mot pour rendre compte du sentiment
de gigantisme, voire de terreur que nous inspirent certains phénomènes
particulièrement énergétiques ou mettant en
jeu des puissances considérables, mais on ne saurait bien
sûr considérer que les énergies déployées
par l’Homme dans la conduite de ses activités terrestres
représente en quelque manière une référence
dans ce domaine. On n’oubliera donc pas que parler d’univers
violent ou de violence cosmique relève avant tout de l’anthropocentrisme,
et que même en s’en tenant à nos catégories
humaines, on pourrait tout aussi bien parler de ferveur ardente
ou d’ivresse passionnée.
Violence stellaire
Même dans les phases les plus tranquilles de leur existence,
les étoiles connaissent des éruptions de surface provoquées
par des mouvements de plasma qui conduisent à la libération
de grandes quantités d’énergie magnétique.
Au cours de ces éruptions, appelées flares
(prononcer "flair"), des particules sont accélérées
à très haute énergie et émettent un
rayonnement non-thermique – par opposition au rayonnement
produit par les étoiles, les plasmas chauds interstellaires
ou les poussières cosmiques en raison seule de leur température.
Ce rayonnement se compose notamment de photons gamma, caractéristiques
de l’activité énergétique un peu partout
dans l’univers. Lors de ces flares, le Soleil émet
également des particules chargées énergétiques
qui se propagent à travers le système solaire, alimentant
ou renforçant un vent solaire quasi permanent (plasma magnétisé),
qui forme autour des planètes une sorte de cocon protecteur.
Certains flares sont toutefois très puissants et peuvent
affecter notablement l’ionosphère terrestre, mais aussi
indisposer momentanément, voire endommager durablement les
satellites artificiels en orbite autour de la Terre. C’est
pourquoi des programmes de "météo solaire" se développent
pour prévenir ce genre d’événements énergétiques
et protéger les satellites… ou les astronautes!
Mais la principale "violence" stellaire est cachée. Elle
a lieu au cœur même des étoiles, et fournit toute
l’énergie nécessaire au rayonnement continu
d’une intensité lumineuse gigantesque. La puissance
rayonnée par notre Soleil représente 400 milliards
de milliards de mégawatts, et certaines étoiles sont
près d’un million de fois plus puissantes encore! À
la source de ce rayonnement se trouve l’énergie nucléaire.
Les étoiles sont des réacteurs thermonucléaires
à confinement gravitationnel, au cœur desquels des réactions
de fusion libèrent de l’énergie à un
rythme qui dépend essentiellement de leur masse. Mais paradoxalement,
c’est lorsque l’activité de ce cœur stellaire
en fusion cesse, faute de carburant, que se produit l’événement
le plus spectaculaire de toute la vie d’une étoile
massive : son explosion finale en supernova.
Car l’énergie fournie par les réactions nucléaires
permet non seulement d’alimenter l’étoile, mais
aussi de maintenir la matière stellaire à une température
et donc à une pression telle que les couches supérieures
ne peuvent pas s’affaisser vers le centre de l’étoile.
Mais comme cela se produirait pour une balle de ping-pong maintenue
en l’air par la pression d’un jet d’eau vertical
dont on couperait brusquement l’alimentation, la cessation
des réactions nucléaires au cœur de l’étoile
se traduit inévitablement par son effondrement gravitationnel,
rien n’empêchant plus désormais la chute de cette
énorme quantité de matière vers un centre dont
la densité ne fait alors que croître, croître
encore, jusqu’à ce qu’un nouvel état de
la matière apparaisse. Lors de cette transition, les électrons
(de charge électrique négative) et les protons (de
charge positive) disparaissent pour faire place à des neutrons
(électriquement neutres) et à des neutrinos. Ces derniers,
neutres également, très peu massifs et n’interagissant
pratiquement pas avec la matière, s’échappent
alors de l’étoile et se propagent radialement, droit
devant eux, à travers l’espace. Dans le même
temps, le cœur stellaire devenu compact manifeste une pression
extrêmement élevée, qui met brutalement fin
à l’effondrement. Les couches adjacentes de l’étoile
rebondissent alors violemment, formant une onde de choc traversant
les couches extérieures toujours en train de tomber vers
le centre, mais qu’elle entraîne finalement avec elle.
Cette onde de choc finit par balayer toute l’étoile,
portant la matière à des températures extrêmement
élevées et allumant même de nouvelles réactions
nucléaires, avant de surgir finalement à l’extérieur
de l’étoile et d’éjecter dans le milieu
interstellaire une quantité considérable de matière,
à des vitesses de l’ordre de la dizaine de milliers
de kilomètres par seconde!
La violence de ce phénomène est considérable.
Lorsqu’il se produit dans notre galaxie ou dans une galaxie
voisine, une étoile nouvelle peut apparaître du jour
au lendemain dans le ciel, plus brillante que la galaxie entière!
C’est une supernova. L’énergie lumineuse qui
l’accompagne est gigantesque, et prend sa source principale
dans la décroissance des noyaux radioactifs produits au cours
de l’explosion. Au total, une énergie correspondant
à ce que rayonnerait le Soleil en 100 millions d’années
est rayonnée par la supernova en seulement quelques jours!
Mais cette énergie émise sous forme de lumière
visible est en réalité négligeable pour la
supernova. Une énergie cent fois supérieure est transmise
à la matière éjectée lors de l’explosion,
sous forme d’énergie cinétique, ce qui donne
lieu à la formation d’une onde de choc gigantesque
en expansion plus ou moins sphérique autour du vestige de
l’étoile, qui ne se stabilisera qu’une centaine
de milliers d’années plus tard, après avoir
atteint un rayon de l’ordre de la centaine d’années-lumière!
Et pourtant cette énergie cinétique est à son
tour négligeable en comparaison de l’énergie
émise sous forme de neutrinos – produits par le mécanisme
précédemment évoqué – encore cent
fois supérieure!
Chaque étoile massive – disons d’une masse supérieure
à huit fois celle du Soleil – termine sa vie de cette
façon. Mais à l’échelle humaine, ces
phénomènes restent relativement rares. Il devrait
y en avoir en moyenne deux par siècle dans notre galaxie.
Mais le ciel est toujours capricieux : la dernière remonte
à l’année 1605, à l’époque
où Johannes Kepler régnait en maître sur l’astronomie
occidentale et perçait le mystère des orbites planétaires.
L’absence de supernovæ survenues dans notre galaxie
depuis cette date est un peu intrigante : est-ce le simple fruit
du hasard, ou bien se pourrait-il que certaines supernovæ
passent finalement inaperçues, soit parce qu’elles
se produisent au cœur de nuages denses absorbant leur lumière,
soit pour une autre raison, à ce jour inconnue ? Les astronomes
de la fin du vingtième siècle ont tout de même
été gratifiés d’une supernova particulièrement
remarquable, survenue en 1987 dans une petite galaxie voisine, le
Grand Nuage de Magellan, et parfaitement visible à l’œil
nu dans le ciel de l’hémisphère sud. Cette supernova,
observée pour la première fois avec toute la panoplie
des instruments de l’astronomie moderne, a revêtu une
importance considérable pour les astrophysiciens. Elle a
permis en particulier – pour la première fois dans
l’histoire! – d’observer des neutrinos en provenance
d’une source autre que notre propre soleil ou l’atmosphère
terrestre.
Ces neutrinos, emportant l’essentiel de l’énergie
libérée par la supernova, n’interagissent pratiquement
pas avec la matière. Ils peuvent traverser la Terre ou même
le Soleil sans en noter la présence : seule une fraction
infime d’entre eux interagira de temps à autre. Mais
la quantité de neutrinos émis lors de l’explosion
de la supernova de 1987 fut telle que, même à une distance
de 150 000 années lumières, les détecteurs
terrestres ont pu en observer une dizaine – signature historique
de l’un des événements les plus énergétiques
du cosmos, trouvant pourtant sa source dans une simple étoile,
et se déroulant sur quelques minutes à peine ! Cet
événement marque l’ouverture d’une nouvelle
fenêtre sur le ciel, d’une astronomie nouvelle spécialement
adaptée à l’étude de l’univers
violent et des mécanismes les plus énergétiques
du cosmos : l’astronomie neutrino, qui devrait s’épanouir
largement dans les décennies à venir…
Violence conjugale
Certaines étoiles moins massives qui, comme notre soleil,
n’achèvent pas leur vie par une explosion aussi spectaculaire
qu’une supernova, peuvent néanmoins subir des soubresauts
extrêmement violents. Au cours de tels événements,
une étoile pour ainsi dire éteinte peut retrouver
brièvement un éclat considérable et se manifester
à nouveau quelques jours dans le ciel, devenant ainsi une
nova. Un mécanisme particulièrement intéressant,
responsable de ces novæ, se produit lorsqu’une étoile
ayant terminé sa vie nucléaire et ne brillant plus
que faiblement de sa chaleur résiduelle, vit en couple avec
une étoile encore vaillante et débordante de matière.
Les couples d’étoiles sont très communs dans
les galaxies : environ une étoile sur deux est associée
à un compagnon. Les deux étoiles tournent alors dans
une sorte de valse cosmique autour du centre de gravité du
système. Lorsqu’une des deux étoiles se met
à enfler, comme il arrivera par exemple à notre Soleil
vers la fin de sa vie, l’autre peut recueillir une partie
de la matière issue de ses couches supérieures : on
dit qu’elle l’accrète. Lors d’un tel transfert
de masse, la matière accrétée forme un disque
mince en rotation autour de l’étoile (sous l’effet
combiné de la force de gravité, de la force centrifuge
et des forces de viscosité au sein de la matière).
Le phénomène de nova peut se produire lorsque l’étoile
accrétante est une naine blanche – une étoile
éteinte, n’alimentant plus de réactions nucléaires
en son sein, mais qui n’était pas assez massive pour
s’effondrer sous son propre poids assez violemment pour exploser
en supernova. Une telle étoile a en réalité
brûlé tout son hydrogène au cours de sa vie,
et n’est plus composée que d’éléments
plus lourds (Hélium, Carbone, Oxygène…) qui
nécessiteraient une température bien plus grande pour
fusionner dans le feu nucléaire. Mais, petit à petit,
la matière issue de l’étoile compagnon et composée
essentiellement d’hydrogène s’accumule à
la surface de la naine blanche. Lorsque la masse de cette nouvelle
enveloppe d’hydrogène dépasse une valeur critique,
disons 3 ou 4 fois la masse de la Terre, la température et
la densité à la base de la couche accrétée
deviennent suffisantes pour initier à nouveau la fusion de
l’hydrogène. Une réaction en chaîne incontrôlée
se déclenche alors et, très rapidement, c’est
toute l’enveloppe d’hydrogène qui explose et
se trouve éjectée à une vitesse supersonique
de près de mille kilomètres par seconde!
Ce type de scénario, impliquant non pas un astre, mais deux,
est relativement courant dans l’univers. Le plus souvent,
le phénomène énergétique résulte
de l’action conjointe des deux compagnons, mais n’affecte
pas directement ces derniers. Il s’agit en quelque sort d’une
violence conjuguée, plutôt que conjugale… Au
cœur de ces processus impliquant deux acteurs distincts, on
retrouve souvent le mécanisme d’accrétion/éjection,
encore imparfaitement compris mais très important pour ce
qu’on appelle communément l’astrophysique des
hautes énergies. Dans ce type de mécanisme, l’astre
principal (généralement le plus petit !) accrète
de la matière venant de son compagnon et finit par l’éjecter
violemment, soit par un processus explosif, comme dans le cas d’une
nova, soit sous forme d’un jet bipolaire aligné sur
l’axe de rotation de l’astre ou sur son axe magnétique.
La matière éjectée le long de ce jet peut atteindre
des vitesses extrêmement élevées, très
proches de la vitesse de la lumière ! Différentes
configurations sont possibles. Un cas relativement commun est celui
où l’astre central est une étoile à neutrons,
vestige d’une étoile ayant explosé en surpernova
après un effondrement gravitationnel. Dans d’autres
cas, l’étoile en question était si massive que
l’effondrement s’est poursuivi au-delà du stade
de l’étoile à neutron : un trou noir s’est
formé! La matière s’est en quelque sorte repliée
derrière un horizon gravitationnel, mais cela n’empêche
en rien l’étoile compagnon de continuer à tourner
autour de cette masse effondrée, et de l’alimenter
de sa propre matière, via un disque d’accrétion
"ordinaire".
Quelle que soit la nature de l’objet compact autour duquel
se forme un tel disque d’accrétion, la matière
qui s’y déverse acquiert une énergie considérable
en "tombant" toujours plus profondément vers le centre. Il
suffit de songer à l’énergie que peut atteindre
une boule de billard après une chute d’une hauteur
de un mètre, puis de dix mètres, puis de cent mètres,
etc., pour imaginer l’énergie libérée
par la chute de masses aussi considérables que celle d’une
planète, tombant d’une hauteur qui se compte en milliards
de kilomètres ! L’énergie disponible est véritablement
colossale. Aussi le plasma constituant le disque d’accrétion
est-il extrêmement chaud, au point d’émettre
un rayonnement lumineux très énergétique, composé
essentiellement de rayons X. Une partie importante de l’énergie
est également rendue au milieu ambiant par l’intermédiaire
des jets de matière évoqués ci-dessus. Parfois,
à la suite d’instabilités dans le disque d’accrétion
encore imparfaitement comprises, le processus s’emballe, ou
se trouve pris en quelque sorte d’un hoquet. Il peut alors
éjecter dans le milieu interstellaire de véritables
boulets de canons cosmiques, pouvant avoir la masse de la Lune et
se déplacer à 99% de la vitesse de la lumière
!
On appelle de tels objets des micro-quasars. Devant pareille exubérance,
le préfixe "micro" a bien de quoi surprendre… Il n’est
pourtant pas employé par litote, mais parce qu’en dépit
de leur puissance extraordinaire, ces objets sont des nains au regard
des véritables monstres tapis au cœur de certaines galaxies,
que l’on appelle communément quasars. Le mécanisme
qui les alimente reste inchangé dans ses grandes lignes.
De la matière tombe vers un astre central en formant un disque
d’accrétion, et d’une manière ou d’une
autre, des jets de matière relativiste (c’est-à-dire
ayant une vitesse proche de celle de la lumière) se forment
le long de l’axe de rotation, emportant avec eux une part
de l’énergie libérée au cours du processus.
Seulement cette fois, l’astre central n’est pas une
étoile à neutron ou un simple trou noir de masse relativement
modeste, formé par l’effondrement d’une étoile.
Il s’agit d’un trou noir géant dont la masse
se compte en millions de masses solaires, et peut même atteindre,
dans certains cas, plus d’un milliard de fois la masse de
notre étoile! Les conséquences astrophysiques sont
alors à l’avenant. La puissance libérée
est telle, que le rayonnement associé à un tel objet
peut éclipser totalement celui de la galaxie qui l’abrite.
C’est ainsi qu’on peut voir des quasars jusqu’aux
confins de l’univers. Les dimensions de leurs jets sont également
vertigineuses : alimentés plus ou moins continûment
par le disque d’accrétion du trou noir supermassif
central, ils peuvent s’étendre sur des millions d’années-lumières,
avant de produire des ondes de chocs gigantesques dans le milieu
intergalactique, où de nouveaux phénomènes
très énergétiques se mettent en place.
Mais le gigantisme n’est pas toujours nécessaire à
la manifestation de la violence cosmique. Nous avons vu le cas des
novæ, dans lequel une étoile anodine – une naine
blanche – accrète innocemment l’hydrogène
de son compagnon à la surface de son corps éteint
de carbone et d’oxygène. Tout se passe sans heurt jusqu’à
ce que l’hydrogène surchauffé et surcomprimé
s’enflamme brutalement en une violente explosion thermonucléaire.
Mais lorsque la naine blanche possède une masse voisine de
1,3 fois la masse du Soleil, même une faible quantité
de matière supplémentaire accrétée de
son compagnon peut avoir des effets dévastateurs. Car un
surcroît de masse en surface entraîne alors une surpression
au cœur de l’astre, suffisante pour permettre soudain
la fusion des atomes de carbone, jusqu’alors impossible. Cette
fusion augmente encore la température, et favorise de nouvelles
réactions nucléaires. En un instant, la machine s’emballe,
les atomes fusionnent à un rythme effréné,
produisant en bout de chaîne des noyaux de fer, tandis que
la déflagration se propage jusqu’à la surface
et que c’est finalement toute l’étoile qui explose,
après avoir converti la moitié de toute sa matière
en fer! Il s’agit là d’un nouveau type de supernova,
très différent de celui évoqué dans
le cas des étoiles massives arrivées en fin de vie
et s’effondrant lourdement sur elles-mêmes avant d’exploser
en un rebond phénoménal. Dans les deux cas, pourtant,
l’étoile est volatilisée, et par un hasard intéressant,
l’énergie cinétique de la matière éjectée
alors à des vitesses supersoniques est à peu près
similaire : trente milliards de milliards de milliards de milliards
de kilowattheures!
Devant une telle débauche d’énergie, on imagine
que l’étoile compagnon, à l’origine de
l’excès de masse initial, peut subir elle aussi des
dommages parfois considérables. Mais le cas le plus radical
de violence stellaire conjugale est probablement celui où
les deux compagnons sont des objets compacts: des trous noirs ou
étoiles à neutrons. Dans ce cas, il ne peut y avoir
un astre qui "déborde" sur son voisin, et le mécanisme
habituel d’accrétion ne se met pas en place. En fait,
on peut dire qu’il ne se passe rien : les deux corps célestes
tournent l’un autour de l’autre, et passent essentiellement
inaperçus. Sauf qu’à force de tourner ainsi,
ils rayonnent peu à peu de l’énergie, et à
mesure que la ronde perd de la vigueur, la danse se resserre, se
resserre encore, jusqu’à ce que les corps se mêlent,
et alors… c’est l’explosion! Il est très
difficile de décrire précisément la manière
dont se déroule la fin du processus, mais l’énergie
qu’elle doit libérer est sans nul doute considérable.
En fait, on estime que la coalescence de deux étoiles à
neutrons suivant un scénario de ce type pourrait être
responsable d’un type d’événements particulier,
représentant une classe spécifique de ce qu’on
appelle les "sursauts gamma" – probablement les événements
les plus puissants du cosmos!
Zoom :
Les sursauts
gamma : une violence encore à déchiffrer…
L’astronomie de la violence
Nous n’avons pu aborder ici que quelques aspects de cet "univers
de la violence" encore très mystérieux et dont la
découverte est en fait très récente. La plupart
de ces sources dites de haute énergie étaient encore
inconnues il y a moins d’un demi-siècle, ou même
une dizaine d’années. La raison principale en est que
ces sources sont très peu intenses, voire invisibles pour
l’astronomie traditionnelle, opérant dans une gamme
de fréquence ou de longueur d’onde de la lumière
correspondant au domaine visible – auquel l’œil
humain est sensible. Mais avec le développement de l’astronomie
spatiale et des techniques de détections issues de la physique
des particules, il est devenu possible d’observer le ciel
dans des domaines de longueur d’onde beaucoup plus courte
– ou, si l’on préfère, de fréquences
beaucoup plus grandes –, correspondant aux rayons X et aux
rayons gamma. Ces domaines sont ceux des photons les plus énergétiques,
et c’est là que se manifestent le plus directement
les phénomènes associés aux événements
violents du cosmos.
Plus généralement, on peut distinguer une astronomie
"thermique", correspondant aux émissions des différents
corps ou matières célestes en raison de leur température
(comme dans le cas du rayonnement étoile), d’une astronomie
« non-thermique » correspondant aux rayonnements produits
par de la matière n’étant pas à l’équilibre
thermique, c’est-à-dire essentiellement par des particules
énergétiques accélérées ici ou
là dans l’univers. Ces particules peuvent avoir des
énergies très diverses, depuis les énergies
relativement faibles caractéristiques de la radioactivité
ordinaire, jusqu’à des énergies comparables
à celles qui sont atteintes dans les plus puissants accélérateurs
de particules terrestres, mais aussi bien au-delà, jusqu’à
des énergies des centaines de millions de fois supérieures,
véritablement macroscopiques. Ces particules énergétiques
peuvent bien sûr interagir de diverses façons avec
le milieu ambiant dans lequel elles se propagent. Ce peut être
l’environnement astrophysique local dans lequel elles ont
été accélérées, ou encore la
matière interstellaire ou les champs de rayonnement qui emplissent
les galaxies et l’univers. Parmi les mécanismes les
plus significatifs, citons notamment le rayonnement synchrotron
(interaction des électrons énergétiques avec
le champ magnétique), le rayonnement "Compton inverse" (interaction avec les photons ambiants), ou encore le rayonnement
"Bremsstrahlung" (interaction avec les noyaux du gaz environnant).
Ces rayonnements s’étendent sur toute la gamme du spectre
électromagnétique, des ondes radios aux photons gamma,
en passant par l’infrarouge, le visible, l’ultraviolet
et les rayons X. C’est la raison pour laquelle l’étude
des sources les plus puissantes de l’univers se fait de plus
en plus dans le cadre de ce qu’on appelle l’astronomie
multi-longueur d’onde, qui tente de recueillir le
maximum d’informations sur une source donnée en multipliant
les points de vues, c’est-à-dire en croisant les informations
recueillies à partir de photons de toutes les longueurs d’ondes
possibles. Cette approche a permis des progrès considérables
au cours des quelques dernières années, et le domaine
de l’astrophysique des hautes énergies est en plein
essor, tant par l’accroissement des performances des instruments
que par l’augmentation quasi exponentielle du nombre de sources
observées, qui en est bien sûr une conséquence
directe.
Mais déjà les astronomes voient plus loin, et s’apprêtent
à étendre cette astronomie multri-longueur d’onde
à une "astronomie multi-messager", particulièrement
adaptée à l’étude de l’univers
violent. Cette astronomie nouvelle, à peine émergente,
ne se limitera plus à l’analyse des photons, ces messagers
lumineux envoyés par les sources, mais associera également
les messagers neutrinos, les messagers "rayons cosmiques" (notamment les protons de très haute énergie
qui pourraient nous parvenir des sources les plus énergétiques),
et même à l’avenir, qui sait, les messagers "ondes gravitationnelles", ces ondes de distorsion de l’espace-temps
inhérentes à la théorie de la Relativité
Générale élaborée il y a près
d’un siècle par Albert Einstein.
Cet "univers de la violence" offre donc une vision
très particulière et tout à fait nouvelle de
l’univers, siège d’événements cataclysmiques
intenses et pouvant se dérouler sur des échelles de
temps très courtes, en dépit du sentiment d’éternité
et d’infinité que nous procure traditionnellement le
cosmos. Une étoile ayant vécu des millions d’années
sans que son état, interne ou externe, ne se modifie perceptiblement,
peut soudain s’effondrer, rebondir et exploser, émettant
en quelques instants plus d’énergie qu’elle n’en
a rayonné depuis sa naissance. Pour mener à bien l’étude
de ces sources et de nombreuses autres qui se manifestent sous nos
yeux parfois incrédules, une astronomie nouvelle se met peu
à peu en place, qui pourrait nous réserver encore
bien des surprises et avoir des répercussions inattendues
sur la cosmologie et la physique fondamentale. Les astronomes et
astrophysiciens des hautes énergies n’en sont encore
qu’au stade de l’exploration, mais n’est-ce pas
justement ce qui rend ce domaine de recherche si fascinant ?
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