Au
bout d’un cent-milliardième de seconde : la force
nucléaire faible divorce à son tour de l’interaction
électromagnétique. Les quatre forces fondamentales
de la nature sont désormais en place. Elles règnent
sans partage. La dernière née correspond, en fait,
à l'union des forces électriques et magnétiques
classiques. Elle est bien connue depuis les travaux du physicien
écossais James Clerk Maxwell, au XIXe siècle. L’interaction
faible, elle, explique la radioactivité et la luminosité
du Soleil. Jusque-là, elle se confondait avec sa consoeur
de sang. Toutes deux se tapissaient au sein de l’interaction
électrofaible unifiée.
La
force électrofaible se dédouble
Depuis la fin de l’inflation,
l’Univers poursuit son expansion à un rythme beaucoup
plus raisonnable. Les quarks, futurs constituants des protons et
des neutrons dans les noyaux d’atomes, cohabitent et interagissent
avec leurs antiquarks. Soudain, au temps libellé un cent-milliardième
de seconde (10-11 s) après le big bang, le cosmos
subit une nouvelle transition de phase qui affecte sa structure
intime. C’est la troisième du genre, après la
libération de la force de gravité et de l’interaction
nucléaire forte. Ici, la force électrofaible restante
accouche :
- de la force électromagnétique, mère
de la lumière et des réactions chimiques
- de la force nucléaire faible, qui régit une
certaine forme de radioactivité ainsi que la luminosité
du Soleil.
Avant cette étape, les deux interactions se trouvaient mêlées
et confondues en une seule baptisée « force électrofaible
». Mais une autre brisure de symétrie a encore affecté
l’état de l’Univers. Elle se passe plus en douceur
que la précédente, qui avait libéré
la force forte et l’inflation. Elle a toutefois son importance.
Car, désormais, les quatre forces fondamentales de la nature
revêtent, peu ou prou, les visages que nous leur connaîtront
bien plus tard.
Température ambiante : aux alentours d’un million de
milliards (1015) de degrés !... Autrement
dit, l’énergie moyenne associée à chaque
particule avoisine les 200 milliards d’électronvolts.
C’est-à-dire, à peu de chose près, que
l’on se trouve dans les conditions reproduites dans le Grand
collisionneur d’électrons et de positrons (LEP, Large
Electron Positron Collider) juste avant sa fermeture en novembre
2000, au Cern de Genève (Suisse).
Zoom : La
traque du Higgs au Cern, du LEP au LHC
Électromagnétisme
La force électromagnétique
est une interaction à distance. Elle agit sur les particules
porteuses de charge électrique : électrons, quarks,
protons… Ceci recouvre deux types de phénomènes.
D’un côté, la force électrique attire
ou repousse les particules concernées. De l’autre,
la force magnétique s’applique aux aimants, aux particules
en mouvement et aux courants électriques. En fait, ces deux
forces - électriques et magnétiques - ne
sont jamais que les deux faces d’une seule et même pièce.
Une unique entité physique, que l’Écossais James
Clerk Maxwell (1831–1879) a décrite dans un jeu de
quatre équations. Le Traité de l’électricité
et du magnétisme publié en 1865 explique aussi la
propagation de la lumière.
Force faible
La force nucléaire faible incarne
un tout autre genre d’interaction. Elle se manifeste à
l’échelle de l’infiniment petit. Son intensité
est 100 000 fois moindre que celle de l’interaction nucléaire
forte qui assure la cohésion des noyaux d’atomes, et
100 à 1000 fois moindre que celle de l’électromagnétisme.
Seule la force de gravité lui reste de très loin inférieure.
Historiquement, sa découverte au début du XXe
siècle a été associée à celle
d’une certaine forme de radioactivité dite « Bêta ».
Celle-ci consiste en la décroissance d’un noyau atomique
par émission d’un électron (ou de son antiparticule
le positron). La réaction transforme un neutron en proton
(et vice-versa). Sa signature caractéristique est l’émission
d’une particule fantôme, légère, rapide
et discrète : l’antineutrino (ou neutrino), dont
l’existence a été postulée en 1930 par
le Suisse Wolfgang Pauli (1900-1958) et qui est resté indécelable
jusqu’en 1956, date de sa détection près d’un
réacteur nucléaire. La force faible œuvre même
dans le corps humain avec la désintégration naturelle
du Potassium-40. Elle contribue également à briser
les noyaux d’uranium au cœur des centrales de production
d’énergie nucléaire. Mais sa plus belle application
se déroule, sans conteste, au centre du Soleil. Là,
des noyaux d’hydrogène (protons) fusionnent pour donner
de l’hélium (2 protons, 2 neutrons) et des positrons.
Plus de 600 millions de tonnes d’hydrogène sont ainsi
convertis, à chaque seconde en hélium. Ce qui libère
cent millions de milliards de milliards (1026) de watts
et fait briller notre étoile.
Nostalgie de l’unification
L’esprit de synthèse
est une constante en sciences. De tous temps, les savants se sont
échinés à percevoir leurs observations dans
un cadre unique, plus simple, plus large. La force nucléaire
faible et l’interaction électromagnétique ne
font pas exception. Au contraire. En 1972, les Américains
Sheldon Glashow et Steven Weinberg ainsi que le Pakistanais Abdus
Salam ont relevé le défi. Leurs travaux ont abouti
à concevoir les forces faibles et électromagnétiques
ensemble. Prouesse. La percée est récompensée
par le prix Nobel de physique 1979. Et la confirmation directe par
l’expérience vient en 1983, lorsque l’Italien
Carlo Rubbia et le Néerlandais Simon van der Meer mettent
en évidence les particules messagères de l’interaction
faible – les bosons W+, W- et Z0 –
dans l’anneau de l’accélérateur SPS (Super
Proton Synchrotron) du Cern, à Genève. Les deux scientifiques
seront récompensés par le Nobel 1984. Cependant, une
nouvelle étape est franchie vers le but ultime d’unification
des forces de l’Univers. Les bosons W et Z0 seront,
ensuite, produits en quantités au Large Electron Positron
Collider LEP du Cern. Leurs masses équivalent à 80
et 91 milliards d’électrons-volts d’énergie,
environ cent fois celle du proton ou du neutron. Leurs caractéristiques
seront ainsi explorées avec une très haute précision.
Le modèle standard de la physique en ressort unanimement
conforté.
Zoom : Boson
de Higgs, comment les particules obtiennent leur masse
Lumières et étoiles
Le commun des mortels peine à
apprécier. Tant la perspective est vertigineuse. Mine de
rien, dans l’ombre des laboratoires, ni plus ni moins qu’une
étape cruciale de la naissance de l’Univers vient d’être
reproduite « à l’envers ».
C’est la plus lointaine à laquelle on puisse actuellement
espérer remonter compte-tenu des limites, en taille et en
énergie, des expériences. Le cosmos, lui, se refroidit
inexorablement. De leur côté, les chercheurs créent
des énergies et des températures sans cesse plus élevées
à l’aide d’instruments de plus en plus grands
et performants. Ce faisant, ils déroulent le film de l’expansion
en arrière. Ils vont à rebrousse-temps. Avant le dernier
changement d’état invoqué, à haute énergie,
les trois médiateurs de la force faible se comportaient exactement
de la même manière que leurs cousins photons, messagers
électromagnétiques de la lumière. En un mot,
les uns et les autres étaient virtuellement indiscernables.
Après, lorsque la transition de phase a été
consommée, les vecteurs de l’interaction électrofaible
se sont brutalement distingués. Les forces correspondantes
sont nées. Libres et autonomes. Elles éclaireront
le cosmos pendant des milliards d’années et feront
briller ces myriades d’étoiles.
Zoom : Le
boson de Higgs raconté aux enfants
|