Il
emplit le ciel comme un infime murmure radio. Découvert en
1965, le rayonnement fossile - ou fond diffus à trois degrés
au-dessus du zéro absolu - représente 1% de la "neige"
sur nos écrans de télévision. C’est le
cri de naissance de l’Univers. Il remonte à 380 000
ans après le big bang. En 2008, le satellite européen
Planck ira le scruter de près.
La première image
de l’Univers
L’idée
est très simple. Si l’Univers se trouve en expansion,
il a dû passer par une phase dense et chaude dans sa prime
jeunesse. La matière s’est alors assemblée de
manière très serrée. L’histoire ultérieure
se résumera à sa dilatation et à son lent refroidissement.
Pourtant, dès 1948, le facétieux physicien d’origine
russe George Gamow note une conséquence inéluctable
de ce scénario du big bang. La naissance du cosmos se serait
accompagnée de l’émission d’un intense
rayonnement. Certes, aujourd’hui, ce brouhaha primordial se
serait singulièrement atténué, essoufflé,
affaibli. Mais, le "rayonnement fossile" du cosmos, "fond diffus
du ciel" ou "premier cri de l’Univers" devrait encore persister.
La prévision reste, hélas, lettre morte. En 1965,
deux jeunes radioastronomes du laboratoire de la Bell Telephone,
Arno Penzias et Robert Wilson, ignorent ces travaux. Cependant,
ils découvrent - par hasard - un fond diffus radio électrique
qui envahit toute la voûte céleste. Le signal ne varie
ni au fil du jour, ni au cours des saisons. Il est étranger
au Soleil et à la Voie lactée. Penzias et Wilson viennent
de démasquer le rayonnement fossile. Ils reçoivent
le prix Nobel en 1978. C’est l’envolée. On s’aperçoit
que le bruit radio suit à la perfection la loi du corps noir,
calculée au début du siècle par l’Allemand
Max Planck. Le cosmos aurait libéré l’essentiel
de son énergie dans son premier âge.
Depuis, les équipes d’astrophysiciens se sont succédé afin
d’approcher au plus près ce nouveau graal. "Fusées-sondes,
avions espions, ballons et satellites ont été lancés
dans le but de le scruter avec davantage de finesse", indique
François Bouchet président du programme national de
cosmologie et chercheur à l’Institut d’astrophysique
de Paris. "Très vite, le rayonnement fossile procurera
la ‘première image de l’Univers’. Il lèvera
le voile sur une époque cruciale : 380 000 ans après
le big bang, des grumeaux de matière sont déjà
assemblés afin de constituer les embryons de nos galaxies.
Et ils laissent leur empreinte sur le rayonnement. En outre, ces minuscules
fluctuations donnent accès aux mystères de leur origine
– peut-être une phase d’inflation - et aux ondes
qui ont agité le cosmos primordial. Pas étonnant qu’elles
soient au cœur de la mission d’exploration spatiale européenne
Planck qui débutera en 2008", ajoute le scientifique co-responsable
de ce programme en France avec Jean-Loup Puget de l’Institut
d’astrophysique spatiale d’Orsay (Essonne).
Zoom :
Le satellite cosmologique Planck
Découverte
En 1964, Penzias et Wilson entament
leurs études avec une antenne de 6 mètres. Cet instrument
a été conçu pour capter les signaux de l’un
des premiers satellites de télécommunication, Écho.
Il est installé sur la colline de Crawford, à Holmdel.
À leur surprise, les scientifiques tombent sur un étrange
bruit de fond radio qui vient de toutes les directions du ciel.
Les mois suivants, l’expérience sera renouvelée.
On la débarrassera d’une "substance diélectrique
blanche" laissée par… un couple de pigeons au creux
du détecteur.
Mais rien n’y fait. Le signal intrigant persiste. Selon les
interprétations les plus poussées et audacieuses,
il serait issu des profondeurs du cosmos. Il aurait été
émis à une époque ancienne : lorsque, au sortir
des forges brûlantes du big bang, la matière frémissante
s’est condensée. Elle aurait alors formé de
premières structures. Promesse de galaxies et d’amas
à venir.
Il faudra toute la perspicacité d’une équipe d’astrophysiciens
voisins, basés à l’université de Princeton,
pour que l’explication éclate enfin au grand jour. En
1965, James Peebles, Peter Roll et David Wilkinson oeuvrent autour
de Robert Dicke sur l’idée d’une enfance dense
et chaude de l’Univers. Au final, l’annonce de la découverte
dans Astrophysical Journal comportera un second article où
les universitaires donnent l’interprétation du fond diffus.
Un murmure uniforme et
primordial Verdict : l’étonnant
et subtil bruit radio enregistré à Holmdel correspondrait,
en fait, au fameux rayonnement primitif prédit, deux décennies
plus tôt, par George Gamow…
Première caractéristique relevée : le signal
apparaît très homogène dans tout le ciel. Les
spécialistes disent qu’il se comporte de manière
"isotrope". Son intensité reste constante, quelle que soit
la direction de visée. On peut en déduire qu’il
puise sa source dans les régions les plus reculées.
Il nous informe sur le passé lointain du cosmos. Ce brouhaha
extraterrestre ne saurait avoir une quelconque origine proche ou
locale (Système solaire, Voie lactée…).
Seconde propriété : le bruit de fond se comporte comme
le rayonnement d’un "corps noir", notent les physiciens. L’intensité
de la rumeur relique suit la distribution théorique établie
en 1900 par Max Planck. Celle-ci décrit l’émission
idéale d’une substance chaude et opaque à l’équilibre,
quelle que soit sa composition. Or la courbe trouvée présente
un maximum, un "pic", vers trois millimètres de longueur
d’onde. Ceci traduit la température effective du rayonnement
et l’énergie collectée par l’antenne.
On trouve environ trois degrés au-dessus du zéro absolu
: c’est-à-dire 3 kelvins, soit -271 °Celsius à
nos thermomètres plus classiques. Une valeur universelle
à retenir. Elle fera date.
Zoom :
Max
Planck
Peu à peu, les pièces du puzzle s’emboîtent.
À force d’analyse et de déduction, les spécialistes
parviennent à retracer ce qu’a pu être le parcours
du brouhaha antique. Il serait né à l’époque
où l’Univers se composait de noyaux d’hydrogène
et d’électrons portés à 3 000 degrés.
Dans cette matière "ionisée", la lumière ne
se propage pas. Les grains de rayonnement, les photons, se heurtent
aux particules. Ils sont sans cesse absorbés puis diffusés
en tout sens. Le cosmos se comporte comme un épais brouillard.
Une purée de pois incandescente. Puis, la température
s’abaissera. Les électrons s’assembleront aux
protons. On entre dans l’ère de la matière neutre : les charges électriques s’apparient et se compensent.
Les atomes se créent. L’Univers devient transparent.
Le rayonnement voyagera librement - pendant des milliards d’années
- jusqu’à nos détecteurs.
La "lumière du big bang" aurait ainsi cheminé pendant
99,997% de l’histoire du cosmos. Cependant, l’expansion
s’est poursuivie et les dimensions de l’espace se sont
accrues d’un facteur 1 000. Dès lors, le rayonnement
s’est affaibli et refroidi en conséquence. Sa température
– sa vigueur – a été divisée par
1000. Elle a atteint les 3 degrés absolus constatés.
Aujourd’hui, malgré cette atténuation, le rayonnement
fossile demeure la forme de radiation qui domine partout dans notre
Univers. Il éclipse littéralement la lumière
des étoiles et des galaxies. Environ quatre cents de ses photons remplissent
chaque centimètre-cube d’espace.
Des fluctuations éloquentes
L’un des principaux
attraits du rayonnement cosmologique tient à son extrême
uniformité. Pourtant, paradoxe, ce n’est pas ce qui
fascine le plus les spécialistes. Loin de là. On peut
dire qu’ils se sont ingéniés à rechercher
la faille : les petites incongruités dans un océan
de tranquillité. >"L’effort a abouti en 1992 avec le
satellite Cobe (Cosmic Background Explorer) et en 2003 avec son
successeur Wmap (Wilkinson Microwave Anisotropy Probe)", relate
François Bouchet. "Le jeu valait la chandelle. Car il a dévoilé
les soubresauts de l’Univers enfant. À force de perspicacité,
d’infimes variations ont commencé à transparaître
dans le fond diffus. Elles offrent un aperçu imprenable sur
les processus physiques du cosmos primitif. Les observer, c’est
comme s’approcher d’un nouveau monde. On en aperçoit
les continents et les océans, puis les reliefs, vallées
ou montagnes…"
Le satellite cosmologique Cobe a été lancé
en novembre 1989 et exploité jusqu’en 1993. En 1991,
un premier instrument à bord a fourni un résultat
fondamental. La température du rayonnement fossile a été
déterminée avec une précision record : 2,725
± 0,002 kelvin. C’est toujours la valeur qui prévaut
de nos jours. L’incertitude résiduelle se confond avec
l’épaisseur du trait dans la représentation
graphique qui compare le fond diffus à un corps noir parfait.
Surtout, une seconde observation d’importance a été
apportée en avril 1992 par la sonde Cobe : "c’est la
cartographie préliminaire des fines fluctuations du rayonnement
fossile", reprend le chercheur. Une composante correspond au fait
que notre Groupe local de galaxies se déplace vers la constellation
du Verseau. En conséquence, le rayonnement apparaît
plus intense dans cette direction. L’effet est de l’ordre
de 1/1000 ou 0,1%. "Mais les fluctuations primordiales, elles, sont
beaucoup plus faibles", explique François Bouchet. "Et il
a fallu l’instrument conçu par George Smoot, du laboratoire
Lawrence de Berkeley (Californie), pour que l’on entrevoie
leur signature au niveau de 30 millionièmes de degré,
c’est-à-dire 0,001% en intensité. Pour les déceler,
les émissions de premier plan de la Voie lactée ont
dû être soustraites. Ensuite, le ciel est apparu comme
tapissé de vagues, plus ou moins hautes, et plus moins chaudes.
Chacune correspond à un îlot de plus forte densité.
Un grumeau qui surnageait dans la soupe primordiale."
Télescopes, ballons,
satellites : l’ère de la cosmologie physique
L’image transmise
par Cobe porte sur des structures de 7 à 90° de dimension
dans le ciel. Autrement dit, des objets qui mesureraient plus de 3
milliards d’années-lumière aujourd’hui.
Ces tailles sont bien trop importantes pour correspondre directement
à celles des germes qui ont engendré les galaxies, leurs
amas et superamas, sous l’effet de la gravité. En revanche,
le satellite de la Nasa a ouvert la voie à une longue lignée
de successeurs. Dans les années suivantes, en effet, une bonne
vingtaine d’expériences ont repris l’étude
du fond diffus cosmologique. Ce sont, notamment, les télescopes
au sol Degree Angular Scale Interferometer (Dasi) au pôle Sud,
Arcminute Cosmology Bolometer Array Receiver (Acbar), Cosmic Background
Imager (CBI) et Very Small Array (VSA) sur le pic du Teide à
Tenerife. On a aussi embarqué des instruments en nacelles sous
les ballons : Boomerang, Maxima (Millimeter Anisotropy Experiment
Imaging Array) et Archeops. Ce dernier projet français, sous
responsabilité du Centre national d’études spatiales
(Cnes), du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et
du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), a
effectué son vol le 7 février 2002 à partir de
Kiruna, en Suède.
L’étape suivante dans l’ère de la cosmologie
expérimentale est venue avec le satellite américain
Wilkinson Microwave Anisotropy Probe (Wmap). Ce digne héritier
de Cobe, 30 fois plus précis, a été lancé
le 30 juin 2001. Ses résultats sont parus le 11 février
2003. Ils consistent en une cartographie de la lumière émise
juste après le big bang. Les fins détails dans les
fluctuations correspondent à un quart de degré : 15
minutes d’arc ou la moitié du diamètre apparent
de la Pleine Lune. Leur analyse s’avère compatible
à 2 % près avec le scénario standard selon
lequel l’Univers possèderait une géométrie
plate à grande échelle. Cette configuration - très
simple - correspond au cas classique étudié dès
le IIIe siècle avant notre ère par le Grec Euclide.
Elle se caractérise, en termes mathématiques, par
le fait que la somme des angles d’un triangle y vaut 180 °.
Corollaire, par un point donné, il passe une seule droite
parallèle à une autre. Or ceci correspond à
une conséquence attendue de l’inflation démesurée
qu’aurait jadis connue le cosmos...
Par ailleurs, l’espace-temps semble de plus en plus ne vouloir
contenir que 4 % d’atomes ordinaires. Le reste serait constitué
– surprise ! - de 23% de matière noire et 73% d’énergie
noire. Enfin, le rythme de l’expansion a été
précisé. L’âge de l’Univers est
estimé à 13,7 milliards d’années avec
une marge d’erreur officielle de 1%. Et les premières
générations d’étoiles seraient apparues
200 millions d’années à peine après le
big bang.
"Ces conclusions revêtent une importance considérable",
résume François Bouchet. ¼"Leur interprétation
donnera du grain à moudre pendant des années. Raison
de plus pour ne pas les prendre totalement comme argent comptant.
La devise scientifique reste toujours de sans cesse remettre l’ouvrage
sur le métier. Autrement dit, de vérifier plusieurs
fois la validité des informations et de les acquérir
avec des moyens indépendants. C’est ainsi que se construisent
les édifices les plus fiables de la connaissance humaine."
Ici, les chercheurs européens ont pris un tournant. Ils se
sont positionnés à un moment clef de l’exploration
en s’engageant dans le programme Planck : un satellite cosmologique
de troisième génération, conçu par l’Agence
spatiale européenne. L’engin expédié dans
l’espace en 2008, par la fusée Ariane 5, depuis Kourou
(Guyane). En ligne de mire : "la détermination ultraprécise
- avec une incertitude de 1% - de la dizaine de paramètres
qui ont présidé à la fondation de l’Univers.
Ces données contrôlent aussi son évolution ultérieure
ainsi que celle des grandes structures. Le gain sur la taille des
fluctuations sera tel que l’on pourra les mesurer avec une précision
inégalée à l’échelle de 5 minutes
d’arc. De quoi s’attaquer à la question de l’origine
de ces variations. À quand remontent-elles? Quelles énergies?
Résultent-elles de l’inflation ou bien faut-il y voir
la signature de phénomènes plus exotiques, défauts
de l’espace-temps ou cordes cosmiques?" Les chercheurs placent
beaucoup d’espoir dans l’analyse des oscillations enfouies
dans le fond diffus. Ils se sont armés d’un arsenal d’outils
puissants afin de le décomposer - telle une musique primordiale
- en harmoniques. Quarante ans après Penzias et Wilson, la
nouvelle preuve, solide, du big bang est devenue un sujet d’étude.
Qui fédère les esprits et les forces. Les Européens
sont sous le charme de sa douce mélopée.
Pour en
savoir plus :
Archeops
améliore notre compréhension de la naissance de l'Univers
Communiqué de presse CNRS / CEA du 9 octobre 2002.
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