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Quelques indicateurs pour mesurer l’érosion de la biodiversité
Mesurer l’érosion de la biodiversité
Les indicateurs dans le monde de la biologie sont très variés. Certains d’entre eux permettent de définir l’état d’un milieu en fonction de la présence et de la santé des espèces animales ou végétales qui y vivent. C’est par exemple le cas de l’état des truites dans les réservoirs d’eau, qui indique sa potabilité ; ou bien le chant des rossignols dans les mines de charbon, qui renseigne sur la teneur de l’air en grisou (méthane) ; ou encore l’état physiologique des foies de poissons, signe de la pollution chimique globale de l’eau de mer...
D’autres indicateurs servent à apprécier « l’état de santé » de la biodiversité. Cependant, une grande partie de celle-ci reste encore inconnue. En effet, même si plus de 1,7 million d’espèces(1) ont été découvertes jusqu’à maintenant, certains scientifiques estiment plusieurs millions le nombre total d’espèces sur Terre.
Il faut souligner que l’état de la biodiversité ne « se mesure pas » comme on mesure une distance. De nombreux paramètres interviennent (nombre d’espèces, maintien ou baisse de la diversité génétique au sein d’une même espèce, de la taille des populations ; interactions entre populations et habitats ; position dans la chaîne alimentaire, etc.) et les scientifiques ne peuvent pas définir un indicateur unique de la biodiversité regroupant tous ces paramètres. C’est pourquoi plusieurs indicateurs sont nécessaires pour mesurer son érosion.© CNRS Photothèque / GRAILLE Roland
Nous avons choisi de présenter ici quelques indicateurs basés sur la diversité des espèces (richesse et abondances relatives des espèces). La plupart d’entre eux (indice d’abondance, taux d’extinction, indice Liste rouge) peuvent être utilisés pour tous les types d’espèces et dans tous les types de milieux. Parmi ces indicateurs, certains se fondent sur des espèces communes et se basent sur la variation relative des tailles de populations animales ou végétales. A noter que les indicateurs qui concernent les populations d’oiseaux communs ont été bien développés ces dernières années.
(1) 1 749577 espèces recensées en 2006 d’après Lecointre G., Le Guyader H., 2006. Classification phylogénétique du vivant (3e édition). Belin Science édition.
Rédaction :
Renan Aufray et Manuelle Rovillé
Validation scientifique :
Harold Levrel (cadre de recherche à l’Ifremer)
- Lecointre G., Le Guyader H., 2006. Classification phylogénétique du vivant (3e édition). Belin Science édition.
- Cahier de l’IFB « Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ? », Harold Levrel, 2007
Indice d’abondance
L’indice d’abondance résulte de l’inventaire du nombre d’espèces et de leur abondance en un lieu donné. Quand le milieu est petit, on relève l’ensemble des organismes présents et l’indicateur d’abondance est dit absolu. Mais comme ce cas est rarissime, on échantillonne la plupart du temps les espèces sur une petite parcelle de terrain pour obtenir un indicateur relatif. Cette méthode, renouvelée régulièrement, permet de mettre en évidence :© Bruno Locatelli (www.locatelli1.net)
- la diversité des espèces dans un milieu donné ;
la différence de diversité entre tous les écosystèmes qui composent le milieu étudié ;© Bruno Locatelli (www.locatelli1.net)
- la diversité à l’échelle de la région géographique.
Ces différents niveaux de diversité permettent - lorsqu’ils peuvent tous être mesurés - de caractériser précisément la biodiversité d’une région.
Rédaction :
Renan Aufray et Manuelle Rovillé
Validation scientifique :
Harold Levrel (cadre de recherche à l’Ifremer)
- Actes des 5e Journées scientifiques de l’Institut français de la biodiversité (Tours, décembre 2007) : conférence de Jacques Blondel (directeur de recherche émérite au CNRS et ancien président de la Commission Scientifique de l'IFB).
- M. N. de Casamajor. Indicateur d’abondance civelle. (Ifremer)
Le taux d’extinction
Toute espèce a une durée de vie limitée qui est de l’ordre de cinq à dix millions d’années. A partir de l’espérance de vie des espèces et de leur nombre, il est possible de calculer un taux d’extinction global. Celui-ci correspond au nombre d’espèces qui disparaissent en un temps donné. Il est principalement lié au nombre d’individus. Ainsi, plus le nombre d’individus au sein d’une espèce est faible, plus les risques de disparition de cette dernière sont importants du fait de faibles capacités d’adaptations pour faire face aux changements environnementaux.
Au cours des 65 derniers millions d’années, le taux d’extinction moyen a tourné autour d’une extinction par an pour un million d’espèces. Aujourd’hui, ce taux serait entre « 50 et 560 fois supérieur au taux d’extinction attendu pour une biodiversité stable » mais beaucoup affirment que ce taux serait en fait 100 fois plus important et qu’il continue d’augmenter. Tout cela va dans le sens de l’hypothèse d’une sixième crise d’extinction des espèces, liée à l’apparition de l’espèce humaine et à son extraordinaire expansion.
Le taux d’extinction global des espèces que compte la Terre est aujourd’hui l’indicateur de biodiversité le plus emblématique et le plus controversé. Cet indicateur est très imparfait pour suivre ou gérer la biodiversité mais il s’agit d’un bon indicateur pour communiquer sur les risques qui touchent la biodiversité aujourd’hui. Il répondait à un besoin spécifique : tirer la sonnette d’alarme à propos de l’évolution de l’état de la biodiversité. Il n’a pas pour objectif de fournir un outil de suivi efficace sur la biodiversité mais de mobiliser l’opinion publique sur les menaces qu’elle subit.
Rédaction :
Harold Levrel (cadre de recherche à l’Ifremer)
- Cahier de l’IFB « Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ? », Harold Levrel, 2007
- « Biodiversité et changements globaux. Enjeux de société et défis pour la recherche - Vers une sixième grande crise d’extinctions ? », Teyssèdre A., Barbault R. et Chevassus-au-Louis B., (2004), édition adpf. pp.24-36.
- Balmford A. et al. (2003), “Measuring the changing state of nature”, Trends in Ecology and Evolution, vol.18, n°7, pp.326-330.
L’indice « Liste Rouge »
La liste rouge de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) est une liste des espèces en danger sur Terre.
Elle permet d’établir un Indicateur liste rouge (ILR) qui traduit une amélioration ou une détérioration du statut d’une espèce dans le temps. Cet indicateur est facile à calculer puisqu’il suffit qu’une espèce ait été relevée dans la liste rouge à deux moments différents. L’évolution de son statut dans la liste rouge indique donc si elle est en régression ou en augmentation. En intégrant le nombre d’espèces dans chaque catégorie ainsi que l’évolution de leurs statuts, l’ILR permet de montrer une évolution globale dans le temps d’un groupe faunistique.
Pour les oiseaux par exemple, l’ILR a permis de montrer que leur biodiversité avait diminué dans toutes les régions du monde ces vingt dernières années.© Bruno Locatelli (www.locatelli1.net)
Rédaction :
Renan Aufray et Manuelle Rovillé
Validation scientifique :
Harold Levrel (cadre de recherche à l’Ifremer)
- site « Liste rouge » UICN
- Butchart et al., (2005), « Using Red List Indices to measure progress towards the 2010 target and beyond », Philosophical Transactions of the Royal Society B., n°360, pp. 255-268.
- Cahier de l’IFB « Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ? », Harold Levrel, 2007
Les indicateurs « Oiseaux communs »


Les indicateurs « Oiseaux communs » se basent sur la variation relative de l’abondance de leurs populations et sont une application de l’Indice d’abondance. Leur enjeu : rassembler des informations quantitatives sur la distribution et l’évolution numérique des populations des espèces d’oiseaux les plus communes (environ 120 espèces en France). Ces indicateurs sont très utiles pour le suivi de la biodiversité.
(STOC : Suivi Temporel des Oiseaux Communs)
(Interview de Christian Kerbiriou)
Extrait du DVD "Quelle nature voulons-nous ?
Observatoires et conservation de la biodiversité"
Anne Teyssèdre © MNHN 2007
© Bruno Locatelli (www.locatelli1.net)
Tout d’abord, les oiseaux communs occupent une large gamme d’écosystèmes, y compris les écosystèmes urbains. Leurs indicateurs sont construits à partir d’une source d’information facilement accessible et répartie de manière relativement homogène sur le territoire. Ainsi, un réseau d’observateurs bénévoles sur les oiseaux communs a pu être mis en place et générer un grand nombre de données ces dernières années.© Frédéric Jiguet

Les populations d’oiseaux communs sont par ailleurs constitués de grandes quantités d’individus – à l’inverse des espèces rares caractérisées par une faible abondance – et contribuent donc le plus au fonctionnement des écosystèmes et à leurs évolutions. Des indicateurs issus de ces populations offrent donc des outils efficaces pour évaluer le fonctionnement des écosystèmes.
(STOC : Suivi Temporel des Oiseaux Communs)
Baguage et captures
(Interview de Romain Julliard et Christian Kerbiriou)
Extrait du DVD "Quelle nature voulons-nous ?
Observatoires et conservation de la biodiversité"
Anne Teyssèdre © MNHN 2007
D’autre part, ces populations - situées à un niveau élevé dans la chaîne alimentaire - sont indirectement sensibles aux perturbations que subit l’ensemble des composants de l’écosystème. Leur évolution offre donc un indicateur qui permet de mesurer l’état de santé des écosystèmes.© Frédéric Jiguet

Enfin, la biologie des oiseaux communs, le rôle de ces derniers dans le fonctionnement des écosystèmes et les causes de leur déclin sont relativement bien connus, à la différence de la plupart des autres éléments de la biodiversité. C’est pourquoi l’évolution des indicateurs oiseaux communs est relativement facile à interpréter.
(STOC : Suivi Temporel des Oiseaux Communs)
Succès de reproduction, taux de survie
(Interview de Romain Julliard)
Extrait du DVD "Quelle nature voulons-nous ?
Observatoires et conservation de la biodiversité"
Anne Teyssèdre © MNHN 2007
Mais leur avantage décisif est qu’ils sont fondés sur le suivi de populations dont la taille est très sensible aux changements environnementaux à court terme, ce qui permet de produire des indicateurs dont l’évolution d’une année sur l’autre a un sens précis. Ceci explique pourquoi ils peuvent fournir des outils d’évaluation efficaces, notamment pour mesurer les avancées liées aux objectifs des politiques en matière d’environnement.© Frédéric Jiguet

En France les calculs montrent qu’entre 1989 et 2001, les 89 populations d’oiseaux communs prises en compte auraient globalement régressées de 14%. Ces données soulignent que 27 espèces sont en déclin, 14 sont à surveiller, 40 sont stables et 8 augmentent (1).
(STOC : Suivi Temporel des Oiseaux Communs)
(Interview de Frédéric Jiguet )
Extrait du DVD "Quelle nature voulons-nous ?
Observatoires et conservation de la biodiversité"
Anne Teyssèdre © MNHN 2007
Les indicateurs Oiseaux communs ont également été utilisés pour évaluer les changements globaux liés à l’évolution de l’état de santé des habitats. Afin de produire ces indicateurs, les espèces communes ont été regroupées en fonction de leur degré de spécialisation vis-à-vis de certains habitats – milieux forestiers, agricoles et bâtis. © Frédéric Jiguet

Ce niveau de spécialisation est mesuré par l’abondance des différentes espèces dans les différents habitats. Le critère retenu pour qualifier une espèce commune de « spécialiste » est que son abondance dans un habitat spécifique est au moins deux fois supérieure à son abondance moyenne dans les autres habitats. A l’inverse, les espèces généralistes sont celles dont l’abondance varie peu d’un habitat à l’autre.
(STOC : Suivi Temporel des Oiseaux Communs)
(Interview de Jean-Baptiste Crouzier)
Extrait du DVD "Quelle nature voulons-nous ?
Observatoires et conservation de la biodiversité"
Anne Teyssèdre © MNHN 2007

Ces indicateurs permettent de fournir une information sur l’évolution des habitats, l’impact de cette évolution sur les oiseaux (l’avifaune) et la vulnérabilité de certaines espèces vis-à-vis des changements actuels ou passés tels que l’intensification agricole.
(STOC : Suivi Temporel des Oiseaux Communs)
(Interview de Frédéric Jiguet )
Extrait du DVD "Quelle nature voulons-nous ?
Observatoires et conservation de la biodiversité"
Anne Teyssèdre © MNHN 2007

Les résultats (pour la période 1989-2003) montrent que les espèces spécialistes subissent un déclin plus important que les espèces généralistes (seulement 3% de baisse entre 1989 et 2003). D’une part, ils soulignent le déclin des espèces agricoles (- 25%) et des espèces forestières (- 18%) et d’autre part, la relative stabilité des espèces spécialistes des milieux exploités par les humains (- 9%).
(STOC : Suivi Temporel des Oiseaux Communs)
(Interview de Pierre-Yves Henry)
Extrait du DVD Quelle nature voulons-nous ?
Observatoires et conservation de la biodiversité
Anne Teyssèdre © MNHN 2007


© Couvet et al. (2004)
(STOC : Suivi Temporel des Oiseaux Communs)
(Interview de Romain Julliard)
Extrait du DVD "Quelle nature voulons-nous ?
Observatoires et conservation de la biodiversité"
Anne Teyssèdre © MNHN 2007
Rédaction :
Harold Levrel, Renan Aufray et Manuelle Rovillé
Validation scientifique :
Harold Levrel (cadre de recherche à l’Ifremer)
- Cahier de l’IFB « Quels indicateurs pour la gestion de la biodiversité ? », Harold Levrel, 2007
- Opération Stoc (suivi temporel des oiseaux communs) : DVD "Quelle nature voulons-nous ? Observatoires et conservation de la biodiversité", MNHN 2007, Anne Teyssèdre
- Programme STOC
- Heath M. and Rayment M., (2001), « Using bird data to develop biodiversity indicators for agriculture », OECD Expert Meeting on Agri-Biodiversity Indicators, 5-8 nov. 2001, Zürich, Switzerland.
- Sekercioslu Ç.H. et al. (2004), « Ecosystem consequences of bird declines », PNAS, December 28, vol.101, n°52, pp.18042-18047.
- Balmford A. et al. (2003), « Measuring the changing state of nature », Trends in Ecology and Evolution, vol.18, n°7, pp.326-330.
- Balmford A. et al. (2005), « The 2010 challenge: data availability, information needs and extraterrestrial insights », Philosophical Transactions of the Royal Society B., n°360, pp. 221-228.
- Gregory R.D. et al. (2005), « Developping indicators for European birds », Philosophical transactions of the Royal Society B, 360, 269-288.
- Julliard R. et al. (2004), « Common birds facing global changes: what makes a species at risk? », Global Change Biology, vol.10, issue 1, pp.148-154.