imprimer
Impact de la disparition d’espèces
Les co-extinctions : la disparition d’une espèce peut en cacher bien d’autres…
Les études sur les espèces menacées d’extinction se penchent traditionnellement sur les processus qui mènent à la disparition de leurs populations, sans tenir compte des relations qu’elles entretiennent avec les autres espèces. Or un article publiée dans la célèbre revue scientifique « Science » en 2004 a montré qu’il faudrait ajouter au moins 6300 espèces « co-menacées » d’extinction à la liste rouge des espèces « en danger » de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), qui en compte déjà plus de 15000 parmi les espèces d’organismes supérieurs. Pourquoi ? Parce que la liste rouge UICN ne prend pas en compte les co-extinctions, c’est-à-dire celles qui touchent les espèces associées à l’espèce « en danger », souvent beaucoup moins « médiatiques ». Les scientifiques ont donc étudié ces relations écologiques capables d’entraîner des co-extinctions comme le parasitisme, la relation exclusive entre des herbivores et leur plante-hôte, ou encore entre des plantes et leurs insectes pollinisateurs par exemple.© Nicolas Morison / INRA
Les auteurs se sont également penchés sur des cas historiques comme celui d’une espèce de poux (Columbicola extinctus) qui se serait éteinte en même temps que le pigeon migrateur américain, au début du 20e siècle, ou encore celui d’un papillon tropical de Singapour qui a disparu peu de temps après la plante dont se nourrissaient ses chenilles. Des espèces d’hyménoptères pollinisateurs des figues, de poux et de parasites de primates ou encore de papillons et de leurs fourmis hôtes ont également été étudiées.© Auteurs : Hayashi and Toda tiré de Orthogenetic Evolution in the Pigeons (Charles Otis Whitman), 1920.
Ces chercheurs recommandent l’étude et la protection des espèces associées (par parasitisme, symbioses, interactions…) aux espèces menacées d’extinction.
Mise en garde contre les cascades d’extinctions
De façon générale, ce phénomène de co-extinction souligne l’importance des relations complexes au sein des écosystèmes. Ainsi, une seule extinction peut aboutir à la disparition de nombreuses espèces et à la déstabilisation d’écosystèmes entiers.
C’est le cas par exemple des espèces « clé de voûte », dont l’importance est telle que leur seule disparition entraîne de profondes modifications de l’écosystème.
En milieu marin, l’impact de la disparition d’une espèce clef de voûte peut être encore plus visible qu’en milieu terrestre, car les aires de distribution sont plus étendues : quelques milliers de kilomètres en mer contre seulement quelques dizaines de kilomètres sur les continents. De ce fait, un événement qui survient en un endroit donné peut influencer des espèces situées à plusieurs milliers de kilomètres de là, notamment via les courants marins.© IRD Photothèque / Laboute, Pierre
En fin de compte, bien que la protection des espèces associées aille de pair avec la protection des espèces sur lesquelles se portent traditionnellement les efforts de conservation, il n’en demeure pas moins que les risques de co-extinctions et de cascades d’extinctions doivent amener les écologistes et les gestionnaires à prendre en compte toute la mesure de ce danger dans leurs politiques de conservation.
Rédaction :
Manuelle Rovillé
Validation scientifique :
Robert Barbault (Directeur du département « écologie et gestion de la biodiversité » du Muséum national d’histoire naturelle)
- Entretien avec Robert Barbault (Directeur du département « écologie et gestion de la biodiversité » du Muséum national d’histoire naturelle)
- Lian Pin Koh et al., « Species Coextinctions and the Biodiversity Crisis », SCIENCE, Vol 305, 10 septembre 2004
- Dossiers de l’environnement INRA n°29 « La biodiversité »
- Les Dossiers de La Recherche « Biodiversité, Les menaces sur le vivant », août-octobre 2007
Des loutres, des baleines, des orques et … des oursins, des laminaires et du plancton !
Hier, la loutre de mer était chassée (avec excès) pour sa fourrure. Aujourd’hui, c’est une espèce protégée. Mais depuis quelques années, sur les côtes ouest de l’Alaska, leur nombre s’effondre brutalement. Pourquoi ? Cet effondrement serait lié aux orques qui, selon certains chercheurs, se sont mis à chasser les loutres de mer alors qu’ils ont longtemps cohabité pacifiquement dans les mêmes eaux.© Terra Nova
La raison de ce changement d’attitude ? La modification du régime alimentaire de l’orque suite à l’effondrement des stocks de ses proies habituelles. En effet l’orque, qui se nourrit de jeunes baleines, a vu le nombre de ses proies diminuer fortement suite à la baisse considérable du nombre de baleines. Il se serait alors reporté sur les phoques, qui eux aussi ont vu leurs effectifs fortement chuter, en raison de la sur-pêche qui a entraîné une forte baisse des stocks de poissons. Cette raréfaction de la nourriture habituelle des orques pourrait expliquer pourquoi ces derniers se sont finalement mis à chasser la loutre de mer sur les côtes ouest de l’Alaska.© CNRS Photothèque / GUINET Christophe
Disparition des loutres… quelles conséquences ? La loutre de mer joue également un rôle important dans la chaîne alimentaire. Elle se nourrit principalement d’oursins, qui eux-mêmes broutent les algues (surtout les laminaires) situées au fond des océans.
Comme la loutre disparaît, les oursins se mettent à pulluler. Ils broutent de plus en plus le tapis végétal au fond des océans ce qui disloque l’écosystème formé par le kelp, forêt d’algues marines. Ceci se traduit par la disparition en cascade de nombreux poissons et crustacés qui ne peuvent plus s’abriter dans les laminaires et qui deviennent de plus en plus victimes des prédateurs.
Dans cette région, cette cascade d’événements modifie tout un environnement et va avoir de nombreuses conséquences, en partie désavantageuses pour la pêche des poissons et crustacés.© Droits réservés Skip's Underwater Image (http://www.ianskipworth.com/suig/index.shtml)
La leçon de cet exemple
Certaines espèces pâtissent de la disparition d’autres espèces (la loutre), d’autres en profitent (l’oursin). Cependant, du point de vue humain et du fonctionnement des écosystèmes, on ne connaît pas les conséquences du déséquilibre d’écosystèmes océaniques aussi complexes.
Les effets d’une telle désorganisation sont imprévisibles, d’autant que l’espèce humaine utilise elle aussi les ressources des océans.
De plus, les océans et le plancton jouent un rôle important dans le cycle du carbone. L’effondrement des stocks de poissons, des baleines et les cascades d’évènements qui en découlent (modification de la densité de plancton, aliment principal des baleines et de nombreuses autres espèces par exemple) pourraient également avoir des effets sur le changement climatique…
Rédaction :
Manuelle Rovillé
Validation scientifique :
Robert Barbault (Directeur du département « écologie et gestion de la biodiversité » du Muséum national d’histoire naturelle)
- Entretien avec Robert Barbault (Directeur du département « écologie et gestion de la biodiversité » du Muséum national d’histoire naturelle)
- Article “Science” : “Killer Whale Predation on Sea Otters Linking Oceanic and Nearshore Ecosystems”. J.A. Estes, M.T. Tinker, T.M. Williams, D.F. Doak.
De la morue aux crevettes en passant par les crabes… exemple de cascade alimentaire
Des chercheurs ont prouvé que l’élimination de prédateurs de sommets de chaîne alimentaire entraîne des effets en cascades au sein des réseaux trophiques qu’ils coiffaient.
Par exemple, l’effondrement de la population de morue sur les côtes de Nouvelle-Ecosse (Canada), accompagné d’ailleurs de celui de quelques autres espèces commercialement exploitées telles que l’églefin ou la raie ocellée a induit, par divers effets directs et indirects, un bouleversement complet du réseau trophique marin. La rupture s’est produite à la fin des années 1980, début des années 1990, et a provoqué un accroissement notable du chômage des pêcheurs de cette région.
Cependant, l’effondrement de la morue et d’autres poissons prédateurs entraîne la prolifération de leurs principales proies : des petits poissons pélagiques et des macroinvertébrés benthiques tels que le crabe neigeux (Chionoecetes opilio) et la crevette (Pandalus borealis).
Ceci a permis d’ailleurs une reconversion de la pêche, via l’exploitation du crabe et de la crevette… jusqu’à la prochaine rupture trophique…© FAO
Du fait de ces cascades trophiques et de l’organisation en réseau des écosystèmes, d’autres effets se sont aussitôt faits sentir, suite à la disparition des poissons prédateurs. Le zooplancton herbivore, soumis à la prédation des poissons pélagiques et des jeunes crabes et crevettes, a vu régresser certaines de ses espèces ; quand au phytoplancton il a vu naturellement son abondance croître… et les concentrations en nitrate chuter ; Enfin, les phoques, gros consommateurs de petits poissons pélagiques et d’invertébrés benthiques, ont profité de la raréfaction des morues…© CNRS Photothèque /KEOPS / ARMAND Leanne
Rédaction :
Manuelle Rovillé
Validation scientifique :
Robert Barbault (Directeur du département « écologie et gestion de la biodiversité » du Muséum national d’histoire naturelle)
Source :
Entretien avec Robert Barbault (Directeur du département « écologie et gestion de la biodiversité » du Muséum national d’histoire naturelle)
Les grands prédateurs protègent la biodiversité : cas de l’étoile de mer
Les grands prédateurs, grands consommateurs, jouent un rôle fondamental dans les équilibres écologiques. Ils ont donc un effet de maintien de la biodiversité comme l’ont montré différentes recherches.
Les grands prédateurs sont au sommet d’un réseau trophique. Quand ils disparaissent (sur-pêche, sur-chasse…), certaines espèces dont ils se nourrissaient et qu’ils maintenaient à niveau se mettent à pulluler. Par compétition, elles éliminent alors d’autres espèces avoisinantes, ce qui entraîne une cascade de conséquences.
Prenons l’exemple de l’étoile de mer, espèce prédatrice située au sommet d’un système trophique à trois niveaux. Elle se nourrit et régule les crustacés (dont certains balanes et moules de Californie…), qui eux-mêmes régulent les populations d’algues.© IRD
Expérimentalement, des chercheurs ont retiré les étoiles de mer sur certaines zones de balancement des marées (zones du rivage où les marées se font sentir) en Californie. Les moules de Californie se sont alors mises à pulluler, à s’étendre et à coloniser les rochers dans ces zones, faisant disparaître ainsi certaines espèces de crustacés et d’algues, provenant du niveau trophique inférieur. On est alors passé de quinze espèces en présence des étoiles de mer à un système à huit espèces, après leur disparition et la prolifération des moules, ce qui prouve que les étoiles de mer maintiennent localement la diversité des espèces.© Droits réservés John Gross et Keith Clements. Marine life Index (http://www.seaotter.com/)
Il en est de même pour les grands poissons prédateurs, tels que les morues (ou cabillaud), qui voient leurs stocks s’effondrer dans certaines régions. Il s’agit en effet plus d’un effondrement des stocks de prédateurs que de disparition totale des espèces.
Rédaction :
Manuelle Rovillé
Validation scientifique :
Robert Barbault (Directeur du département « écologie et gestion de la biodiversité » du Muséum national d’histoire naturelle)
- Entretien avec Robert Barbault (Directeur du département « écologie et gestion de la biodiversité » du Muséum national d’histoire naturelle)
- Article de Paine, R.T 1966. Food web complexity and species diversity. American Naturalist, 100 : 65-75