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Les vaccins et la variabilité des pathogènes
Vacciner ou comment utiliser le vivant pour se soigner…

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De nombreux microorganismes infectieux (virus, bactéries, parasites…) induisent des maladies spécifiques (grippe, variole, rage, hépatites, fièvre jaune…). Pour s'en protéger les êtres humains ont inventé un système de prévention - la vaccination - en utilisant ou s'inspirant précisément des microorganismes responsables de ces pathologies. En voici le principe :
La vaccination repose sur la propriété de mémoire de notre système de défense immunitaire. Lorsqu'un microorganisme pénètre pour la première fois dans l'organisme d'un hôte, les cellules de son système immunitaire vont reconnaître et garder en mémoire ce pathogène en identifiant ses antigènes, protéines spécifiques au microorganisme qui déclenchent la réaction immunitaire. Dans le cas d'une seconde attaque, le système immunitaire reconnaît les antigènes du pathogène, y réagit alors rapidement et assure une défense de l'organisme plus efficace.
Lors de la vaccination, les antigènes d'un microorganisme spécifique sont introduits chez le patient. Leur présence déclenche alors une réaction immunitaire : des cellules mémoires spécifiques de ces antigènes sont produites. Elles assurent ainsi la protection du patient qui est « immunisé » de façon artificielle. Si le pathogène pénètre réellement dans l'organisme de l'hôte, sa réaction sera immédiate, plus efficace et permettra rapidement l'élimination du microorganisme.
© Alain Beguey / INRA
Il existe plusieurs types de vaccins :
- l'injection « d'agents pathogènes atténués », c'est-à-dire sous une forme moins virulente. Pour cela il est indispensable de très bien connaître l'agent pathogène, son fonctionnement, son mode de reproduction… (exemple du virus de la grippe) ;
- l'injection d'antigènes protecteurs, c'est-à-dire capables d'initier une réaction de protection chez le patient, ce qui n'est pas le cas de tous les antigènes. Ces protéines, spécifiques du microorganisme, sont récupérées ou synthétisées puis mises en solution (vaccin de synthèse).
Dans les deux cas, la reconnaissance des antigènes du microorganisme stimule le système immunitaire et ses cellules mémoires et permet une meilleure défense contre la maladie.
Rédaction :
Manuelle Rovillé
Validation scientifique :
Serge Morand (Directeur de recherche à l’Institut des sciences de l’évolution de Montpellier – Université Montpellier 2),
Roger Frutos (Directeur de recherche au Cirad, unité mixte de recherche « Interactions hôtes-vecteurs-parasites dans les trypanosomes »)
- Entretien avec Serge Morand (Directeur de recherche à l’Institut des sciences de l’évolution de Montpellier – Université Montpellier 2)
- Site CNRS : la maîtrise du vivant – vaccination
Concevoir les nouveaux vaccins : pas si simple !
La grande diversité des agents pathogènes entraîne une grande diversité des vaccins à réaliser. Or pour les concevoir, il est nécessaire de bien connaître les différents microorganismes et leurs antigènes, et surtout d'identifier parmi tous les antigènes lesquels sont véritablement protecteurs, ce qui peut poser problème. Certains pathogènes savent par exemple s'adapter très vite au système de défense de l'hôte ou mettre en place des systèmes d'évitement immunitaire.
Cette diversité de réponses des agents pathogènes reflète leur forte adaptation génétique face aux défenses de l'hôte. Certains d'entre eux savent par exemple :
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- intégrer à leur membrane des déterminants antigéniques(1) appartenant à leur hôte : ils ne seront plus reconnus comme différents des cellules de l'hôte donc plus combattus. (cf. cas des vers du genre Schistosoma - agents des bilharzioses humaines) ;
- changer en permanence leurs propres antigènes sur leur membrane (forte mutation du pathogène) ce qui implique un retard permanent du système immunitaire et leur permet de ne pas être combattus. (cf. cas du plasmodium - agent du paludisme, et cas du virus VIH - agent du sida) ;
- attaquer directement les cellules de l'immunité, et rendre donc le système immunitaire inefficace ;
induire une réponse immunitaire non spécifique, généralisée : le pathogène va stimuler l'ensemble du système immunitaire, diluant ainsi une attaque spécifique des cellules de défense contre ses propres antigènes. Cette réaction provoque des maladies auto-immunes (lorsque le système immunitaire d'une personne s'attaque à son propre organisme) ! (cf. cas du Tripanosoma cruzi - agent de la maladie de Chagas) ; Public Health Image Library
- présenter un nombre important de souches en partie différentes en circulation dans une même région (cf. cas d'Ehrlichia ruminantium - agent de la cowdriose) ;
- …
Dans ces cas de figures, assez fréquents, la réalisation de vaccins est extrêmement compliquée. Malgré de longues recherches, aucun vaccin révolutionnaire n'a encore vu le jour, contre le sida ou le paludisme par exemple. Compléter les travaux de biologie par des travaux de génétique des populations permettrait sans doute d'avoir de meilleures connaissances de l'écologie et de la génétique de ces parasites et pathogènes.
En parallèle, le manque de connaissance sur la diversité génétique des pathogènes sur lesquels les chercheurs travaillent peut également freiner la conception de nouveaux vaccins. En effet, un même microorganisme peut présenter une forte variabilité génétique en fonction de l'endroit où il se trouve comme c'est le cas de la cowdriose, une maladie bovine mortelle. © Bruno Locatelli (www.locatelli1.net)
(1) déterminant antigénique : partie de l’antigène reconnue par l’anticorps(2)
(2) anticorps :protéine du système immunitaire qui détecte et neutralise les agents pathogènes, en reconnaissant de manière spécifique leurs antigènes.
Rédaction :
Manuelle Rovillé
Validation scientifique :
Serge Morand (Directeur de recherche à l’Institut des sciences de l’évolution de Montpellier – Université Montpellier 2),
Roger Frutos (Directeur de recherche au Cirad, unité mixte de recherche « Interactions hôtes-vecteurs-parasites dans les trypanosomes »)
La cowdriose et la variabilité génétique
Des chercheurs français se sont intéressés à la " cowdriose ", maladie bovine mortelle provenant d'une bactérie (Ehrlichia ruminantum) transmise par les tiques en régions intertropicales en Afrique subsaharienne et dans les Antilles.

© Bruno Locatelli (www.locatelli1.net)
Plusieurs vaccins contre cette maladie ont été réalisés à partir de souches pathogènes isolées en Guadeloupe et sur le continent Africain. Ils s'avèrent d'une réelle efficacité en condition expérimentale, 100% de protection des animaux vaccinés, lorsque ces derniers sont infectés avec la même souche que celle utilisée pour fabriquer le vaccin. Cependant, ces mêmes vaccins utilisés sur le terrain donnent des résultats très différents : leur efficacité est considérablement diminuée !
Pourquoi ces vaccins ont-ils fonctionné si différemment ?
Les chercheurs ont étudié la diversité génétique et antigénique des bactéries Ehrlichia ruminantum isolées dans la nature. Ils se sont alors aperçus qu'une grande variabilité existait, même dans des zones géographiques restreintes. L'étude approfondie du génome complet de différentes souches bactériennes a permis de mettre en évidence des mutations chez des gènes potentiellement impliqués dans la protection de l'animal et des mécanismes internes qui induisent des variations rapides du génome. Ces chercheurs séquencent actuellement le génome de plusieurs bactéries
" atténuées ", utilisées comme vaccins, afin de les comparer aux bactéries virulentes.
L'échec relatif des vaccins dans la nature montre qu'il est essentiel de prendre en compte la variabilité génétique des souches du continent africain encore inconnues et leurs interactions, afin de stimuler le système immunitaire des animaux vaccinés contre les bons antigènes ! Les souches circulent-elles largement ou vont-elles être locales ? Sont-elles liées à l'humidité, à la densité de la population humaine, à la faune sauvage ? Les mammifères hôtes et les tiques vectrices ont-ils une influence sur la diversité de ces souches ?
Après avoir séquencé les gènes des différentes souches et identifiés ceux qui s'expriment lors des étapes clés, les chercheurs pourront identifier les gènes impliqués dans la protection de l'animal. Alors, seulement, il sera possible de créer des vaccins spécifiques et efficaces dans diverses régions touchées par la maladie.
Rédaction :
Manuelle Rovillé
Validation scientifique :
Serge Morand (Directeur de recherche à l’Institut des sciences de l’évolution de Montpellier – Université Montpellier 2),
Roger Frutos (Directeur de recherche au Cirad, unité mixte de recherche « Interactions hôtes-vecteurs-parasites dans les trypanosomes »)
- Entretien avec Serge Morand (Directeur de recherche à l’Institut des sciences de l’évolution de Montpellier – Université Montpellier 2)
- Martinez, D., N. Vachiery F. Stachursky, Y. Kandassamy, M. Raliniaina, R. Aprelon and A. Gueye. 2004. Nested PCR for detection and genotyping of Ehrlichia ruminantium: use in genetic diversity analysis. Ann N Y Acad Sci. 1026: 106-113.
- Frutos, R., Viari, A., Ferraz, C., Morgat A, Eychenié, S., Kandassamy, Y., Chantal, I., Bensaïd, A., Coissac, E., Vachiéry, N., Demaille, J., Martinez, D. 2006. Comparative genomic analysis of three strains of Ehrlichia ruminantium reveals an active process of genome size plasticity. Journal of Bacteriology, 188: 2533-2542.
- Frutos, R., A. Viari, N. Vachiery, F. Boyer and D. Martinez. 2007. Ehrlichia ruminantium: genomic and evolutionary features. Trends in Parasitology.23: 414-419.