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Agriculture intensive et déforestation au banc des accusés
Agriculture intensive

© Jean Weber / INRA
Le développement agricole, lié à l'augmentation démographique et aux besoins de nourriture toujours croissants, peut avoir des impacts non contrôlés sur l'émergence ou la réapparition de maladies infectieuses via la perturbation des écosystèmes et des interactions entre espèces :
© Christophe Maitre / INRA
- l'émergence de nouvelles terres agricoles au détriment des écosystèmes naturels existants et l'augmentation d'élevages intensifs plus sensibles aux maladies (porc, volaille…) risquent d'entraîner l'extension des zones où vivent des espèces vecteurs ou des réservoirs d'agents pathogènes.
- la récente sélection génétique des plantes les rendent plus performantes (rendement plus élevé, résistance à la sécheresse etc.) et adaptées à l'agriculture moderne, certes, mais elles les rendent aussi plus sensibles à certains virus.
A l'opposé, l'abandon de certaines terres en raison de la disparition des pratiques pastorales (déprise agricole) ou en raison du changement climatique, aura très probablement un impact sur les communautés d'insectes vecteurs de certaines maladies émergentes.
Quelques illustrations :
Culture du maïs et fièvre hémorragique d'Argentine

En Argentine, comme l'ont montré des équipes de chercheurs, la transformation des terres de pampas, zones aux herbes hautes, en champs de maïs a favorisé la pullulation de rongeurs, rats du genre Calomys, qui servent de " réservoirs " au virus Junin responsable de la fièvre hémorragique d'Argentine (identifiée en 1953, avec en moyenne 15000 cas/an chez les travailleurs agricoles, dont environ 30% mortels). Ces rats sont naturellement régulés par les autres espèces qui vivent dans les pampas. Ils entrent donc peu en contact avec la population humaine.
Or, depuis plus d'un siècle la culture du maïs, amplifiée par l'utilisation d'herbicides, a entraîné la disparition progressive de ces zones naturelles. Cette modification de l'écosystème et de sa biodiversité a favorisé la multiplication des rats et avec eux du virus Junin, qui est entré en contact avec la population locale. La fièvre hémorragique d'Argentine, jusque-là silencieuse, est donc devenue épidémique.
L'introduction des moissonneuses a encore augmenté les risques en produisant des aérosols contaminés par les rongeurs infectés et les déjections. En quelques années, la fièvre hémorragique s'est fortement étendue sur le territoire argentin.
© Sophie Normant / INRA© Droits réservés. Association Pybio (www.PyBio.org)
Culture en rizière, élevages intensifs et virus de l'encéphalite japonaise
Le virus de l'encéphalite japonaise (maladie connue depuis la fin du 19e siècle et pouvant atteindre 60% de mortalité) se cache dans les porcs et les oiseaux (espèces réservoirs ou hôtes) qui, lorsqu'ils sont piqués, les transmettent à des moustiques du genre Culex (espèces vecteurs). Ces derniers se développent dans les mares et les rizières. Et ce sont eux qui infecteront les humains.
Au delà de la grande diversité d'espèces hôtes et vectrices de ce virus, l'extension d'élevages intensifs de porcs et de cultures en rizières en Asie pour alimenter la population humaine serait, selon des chercheurs français, à l'origine de l'amplification et la dissémination géographique de ce virus sur ce continent. En effet, les cultures en rizières représentent de nouveaux habitats très propices au développement des larves des moustiques, tandis que les élevages intensifs de porcs, de faible diversité génétique et peu résistants, deviennent des terrains d'accumulation de la maladie.
© Bruno Locatelli (www.locatelli1.net)
La panachure du riz
La santé humaine est fortement liée à la santé des plantes. La malnutrition, sans même parler de famine, affaiblit très fortement le corps humain et son système immunitaire. Mal nourri, il devient donc plus vulnérable aux maladies et aux épidémies.
Le virus de la panachure jaune du riz est originaire d'Afrique de l'Est. Il est présent chez des riz sauvages mais ne fait pas de dégâts importants. Aujourd'hui, en raison des changements de pratiques culturales et de l'intensification de l'agriculture du riz, ce virus a colonisé l'ensemble du continent africain, et représente le principal frein au développement de la riziculture. Les cultures en continu tout au long de l'année ont favorisé la propagation du virus alors que des méthodes plus traditionnelles pratiquaient l'alternance. Et le recours à des variétés exotiques productives certes, mais quasi toutes identiques génétiquement et très sensibles au pathogène, ont rendu les cultures très vulnérables.
© IRD Photothèque / Albar, Laurence
Rédaction :
Manuelle Rovillé
Validation scientifique :
Serge Morand (Directeur de recherche à l’Institut des sciences de l’évolution de Montpellier – Université Montpellier 2)
Déforestation

© IRD Photothèque / Michon, Geneviève
La forêt est le sanctuaire de nombreux virus. Elle joue un rôle non négligeable dans le maintien de la circulation des virus, tel que la fièvre jaune par exemple. Son régime pluviométrique et son humidité constante font que les animaux vecteurs y sont actifs toute l'année.
Cependant, une forte biodiversité forestière implique de nombreuses interactions entre les espèces (chaîne alimentaire, compétition…), régulant les vecteurs des virus (moustiques, tiques…) et leur contact avec les populations réservoirs amplificatrices (les singes dans le cas de la fièvre jaune) donc les épidémies animales. C’est pourquoi les populations humaines vivant en milieu forestier sont rarement atteintes par ces maladies. Ce n’est pas le cas des populations humaines qui vivent à la lisière des forêts. Pourquoi ? Parce qu’en lisière de forêt, la déforestation, souvent à des fins agricoles (culture, élevage), peut modifier les interactions entre le virus, les animaux hôtes et leur environnement. Des modifications qui peuvent être propices à l’émergence de maladies, induisant de nouvelles rencontres entre espèces et la pullulation d’espèces hôtes contaminées …
Quelques illustrations :
Maladie de Lyme
La maladie de Lyme, due à une bactérie (Borrelia burgdorferi), est transmise par des tiques du genre Ixodes. Il s’agit d’une maladie très répandue dans le monde, avec en moyenne 15000 cas/an aux Etats-Unis et plus de 50000 en Europe. Aux États-Unis, c’est le petit rongeur (Peromyscus leucopus) qui est de loin l’espèce réservoir la plus efficace. Il transmet la bactérie aux tiques lors d’une piqûre, tiques qui, à leur tour, contaminent d’autres espèces dont l’espèce humaine. Or, la fragmentation des forêts a fortement favorisé la dissémination et la multiplication de ce rongeur, au détriment d’autres, ce qui a entraîné une augmentation de la transmission aux tiques et donc aux populations humaines qui fréquentent ces zones.
Dans d’autres régions plus boisées des Etats-Unis, le problème ne se pose pas car le maintien d’une plus forte biodiversité permet une régulation de la population de ces rongeurs.
Les chercheurs ont montré à travers cet exemple qu’une forte diversité biologique locale tend à diluer l’agent infectieux chez d’autres hôtes réservoirs pas ou peu compétents à le transmettre, et donc à diminuer le risque de passage chez les humains. Ce phénomène a été nommé « effet de dilution ». © Bruno Locatelli (www.locatelli1.net) © IRD Photothèque / Prud'Homme, Jean-Michel
Maladie de la forêt de Kyasanur en Inde
Au milieu du 20e siècle, une forte épidémie, nommée « la maladie des singes ou virus de la forêt de Kyasanur », frappa mortellement les singes sauvages des régions du district de Shimoga, en Inde, contaminant également les villageois vivant à la lisière des forêts et provoquant chez eux une fièvre hémorragique.
Le cycle de ce virus, de la famille de la fièvre jaune, est complexe. Il fait intervenir une tique comme vecteur et divers mammifères jouent le rôle d’hôtes réservoirs. Dans la forêt, les tiques se nourrissent sur les singes, qui sont alors contaminés par la maladie. Or, en défrichant la forêt pour développer l’élevage, l’homme a rapproché le bétail des tiques qui se sont ruées sur cette nouvelle et abondante source de repas sanguins. Les tiques ont donc proliféré et contaminé les populations humaines autour de la forêt. © Bruno Locatelli (www.locatelli1.net)
Virus d’Oropouche
L'émergence du virus Oropouche, à l’origine d’importantes épidémies de fièvres au Brésil,
est étroitement liée au développement agricole dans le bassin amazonien et à la dégradation de la forêt tropicale. Comme l’ont montré des chercheurs français, l'intensification de la culture du cacao a favorisé la pullulation de l’insecte vecteur (Culicoides paraensis), dont un des gîtes favoris est constitué par les amas des fragments des coquilles des graines de cacao. Après une première amplification dans les plantations, le virus s’est déplacé avec les travailleurs qui regagnaient leur logement dans les villes en bordure du fleuve Amazone, où des épidémies sont alors apparues.© IRD Photothèque / Dejoux, Claude
Paludisme
Des chercheurs péruviens et américains ont étudié l’impact de la déforestation sur le nombre de piqûres humaines par l’Anophele darlingi, moustique porteur de la malaria (ou paludisme), et premier vecteur de l’agent pathogène responsable de cette maladie (Plasmodium) dans la zone amazonienne péruvienne. Ils ont constaté que les sites de déforestation (liés à la construction d’une route, l’extension des villes, et l’agriculture de subsidence) présentent un taux de piqûre 278 fois plus élevé que le taux de piqûres des zones où la forêt prédomine ! Les Anophèles darlingi sont beaucoup plus nombreux dans les zones non forestières.
Ce moustique, espèce riveraine des forêts, ne pondrait pas ses larves en forêt dense (les chercheurs ont observé que cette espèce est peu abondante en forêt vierge, en comparaison aux autres moustiques), mais plutôt dans des paysages plus ouverts de prairies, de cultures ou de petits arbustes. La destruction de l’écosystème forestier, la modification de ses interactions et la création de nouveaux milieux favorables au développement de l’Anophele darlingi sont donc à l’origine de cette épidémie.
Les résultats de cette étude peuvent être généralisés aux autres zones d’Amazonie où l’agriculture par brûlis ou défrichage est prédominante.
© IRD Photothèque / Dukhan, Michel© Bruno Locatelli (www.locatelli1.net) © Bruno Locatelli (www.locatelli1.net)
Rédaction :
Manuelle Rovillé
Validation scientifique :
Serge Morand (Directeur de recherche à l’Institut des sciences de l’évolution de Montpellier – Université Montpellier 2)
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Analyse de risque Afssa sur les conséquences du réchauffement de la planète relative à l’émergence de maladies communes aux hommes et aux animaux
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Ecologie de la santé : Mécanismes responsables de l'émergence, du maintien et de l'évolution des agents étiologiques en santé publique, vétérinaire et végétale, par J-F Guégan (IRD) & F. Renaud (CNRS) - Avril 2004
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Dossier IRD Sud en ligne : maladies virales émergentes : un défi pour la science
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Focus « La biodiversité » du CNRS - Mai 2006
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Article paludisme : Amy Yomiko Vittor, Robert H. Gilman, James Tielsch, Gregory Glass, Tim Shields, Wagner Sanchez Lozano, Viviana Pinedo-Cancino, and Jonathan A Patz. 2005. The effect of deforestation on the human-biting rate of Anopheles Darlingi, the primary vector of falciparum malaria in the peruvian amazon.
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Données Institut Pasteur