

La biodiversité au menu des anciens Romains
La biodiversité naturelle est modifiée très tôt chez les Romains par les conquêtes qui font disparaître le mode de vie autarcique (production économique fermée, autosuffisante) de l’Italie rurale et républicaine. Devenu le centre d’un vaste empire, Rome voit affluer une population nombreuse, de cultures diverses, avec ses saveurs préférées, et qu’il faut nourrir : la nécessité d’un approvisionnement aussi considérable que régulier entraîne le développement du commerce alimentaire et d’une production standardisée, à grande échelle.
Dans le même temps, la concentration à Rome de produits venus de tout le Bassin méditerranéen élargit la gamme des produits consommés, phénomène amplifié par la demande d’une clientèle urbaine aisée, largement hellénisée. On comparera cette évolution à celle de l'actuelle Communauté européenne, avec le brassage des populations, assorti des conditions de circulation des denrées.cliché des auteurs
Les produits de la nature subissent des améliorations par sélection des espèces rentables, par greffe des fruitiers ; la palette alimentaire est élargie par acclimatation de plantes exotiques, et d'espèces animales comme le faisan et la pintade. Celles qui sont normalement chassées ou péchées sont parquées, pour être engraissées, afin d'être disponibles hors saison et en cas d’intempéries.
La nourriture, plébéienne, peu variée et traditionnelle, côtoie la cuisine sophistiquée des classes dirigeantes, dont le livre de cuisine d'Apicius nous restitue la splendeur : le luxe de la table est devenu un phénomène culturel, indice du statut social, au même titre que les vastes propriétés et les collections d’œuvres d’art. Ces modes de vie gagnent les élites provinciales, et au premier chef la Gaule dont de nombreuses spécialités font la renommée.
Des espèces devenues rares sont remplacées par d’autres (silphium et laser), et tout un courant de pensée, philosophes, moralistes, satiristes, déplorent la disparition du mode de vie ancestral, avec son alimentation traditionnelle, et marquent leur préférence pour les produits rustiques et sains.
Rédaction
Nicole BLANC (CNRS, UMR8546 Archéologies d'orient et d'occident (AOROC), Paris)
Anne NERCESSIAN (CNRS, UMR7041 Archéologies et Sciences de l'Antiquité (ArScAn), Nanterre)
Sources :
Sources textuelles antiques
Caton l'Ancien, De l'agriculture.
Varron, Economie rurale.
Pline l'Ancien, Histoire Naturelle.
Columelle, De l'agriculture.
Martial, Epigrammes.
Juvénal, Satires.
Palladius, De l'agriculture.
Apicius, De l'art culinaire.
Bibliographie sommaire
J. André, L'alimentation et la cuisine à Rome, éd Les Belles Lettres, Paris, 1981.
N. Blanc, A. Nercessian, La cuisine romaine antique, éd. Glénat, Grenoble, 1992.
A. Tchernia, Le vin romain antique, éd.Glénat, Grenoble, 1999.
Conquêtes
L'essor impérialiste commencé avec les guerres puniques (264-202 av. J.-C.) se poursuit en Orient ; après la victoire d'Actium (31 av. J.-C.), la domination de Rome s'étend sur tout le bassin méditerranéen, de l'Atlantique à l'Euphrate ; Octave reçoit le titre d'Auguste, c'est la fin de la République et le début de l'Empire.
Mode de vie autarcique
Philosophes et poètes regrettent cet Age d’or (" ah, du temps de Romulus… "), en partie mythique, où le Romain se nourrissait des produits de sa terre et engraissait son cochon pour le saloir. Les textes nous renseignent sur cette évolution ; outre l’encyclopédie que constitue l’Histoire Naturelle de Pline (23-79 ap. J.-C.), nos sources principales sont constituées par les ouvrages très techniques des agronomes : le De agricultura de Caton écrit vers 180 av. J.-C., les Res rusticae de Varron (116-27 av. J.-C.), traité d'économie rurale qui se fait l'écho des mutations profondes introduites par les conquêtes, puis celui de Columelle, qui reflète la situation au Ier siècle, la grande période de l'Empire, et qui sera largement compilé par Palladius (4e s. ap. J.-C.).
Développement du commerce alimentaire
Les cargaisons des épaves sous-marines, comme les amphores trouvées dans les fouilles d’installations rurales, nous font connaître les grands circuits commerciaux : l’Espagne exporte d’énormes quantités d’huile, venue de Bétique, mais elle est moins prisée que celle de Liburnie, entre Istrie et Dalmatie. Pour le vin, ce sont les crus de la région du Vésuve, comme le Falerne, qui parviennent à rivaliser avec les vins grecs plus anciens, comme ceux de Lesbos ou de Chios ; à côté de ces appellations renommées, se développe une production de masse, de moindre qualité, venue d'Espagne et de Gaule, qui fait une concurrence sévère au vignoble italien. Un édit de l'empereur Domitien (81-96 ap. J.-C.), prescrivant d'arracher la moitié des vignobles des provinces, témoigne d'une surproduction à laquelle le pouvoir répond par des mesures protectionnistes.
Production standardisée
Certaines régions ou villes de l'Empire étaient célèbres pour un produit auquel leur nom était attaché : les asperges de Ravenne, les salaisons de poissons d'Antibes, l'oignon d'Ascalon en Syrie (sans doute l'ancêtre de l'échalote), le miel du mont Hymette à Athènes, les escargots d'Afrique et d'Illyrie, et le garum de Carthagène (Espagne) dont des amphores ont été retrouvées dans tout l'Empire.
Plantes exotiques
Le grand général Lucullus, qui doit moins sa réputation à ses victoires qu'à ses dîners, rapporte les cerises de sa guerre contre le roi parthe Mithridate en 73 av. J.-C. Un siècle plus tard, Pline peut en citer une dizaine de variétés : les Aproniennes, les plus rouges, les Lutaties, les plus noires, les Céciliennes, les plus rondes, les Juniennes, qu'il faut manger sur l'arbre parce qu'elles ne supportent pas le transport, les Lusitaniennes.tricolores, noires, rouges et blanches, les Laurées, greffées sur le laurier, et dont on apprécie l'amertume.
Apicius
Le De re coquinaria - De l'art culinaire - est un manuel de cuisine, attribué à Apicius, un proche de l'empereur Tibère (17-34 ap. J.-C.), passionné de gastronomie. En réalité, le manuscrit nous est parvenu dans une version plus tardive du 4e s. ap. J.-C. Le noyau initial s'est enrichi au gré des recopies successives, et rassemble plus de 500 recettes, réparties en chapitres sur les légumes, les viandes, les poissons, les volailles, etc. On y trouve aussi des procédés pour conserver ou falsifier (déjà !) les produits, comme une recette de " vin de roses sans roses ", ainsi que de nombreuses recettes thérapeutiques, pour faciliter la digestion ou " faire aller le ventre ".
De nombreuses spécialités font la renommée de la Gaule
Les Séquanes, tribu gauloise qui occupait l'actuelle Franche-Comté, étaient célèbres pour leur porc salé et fumé, spécialité qui perdure aujourd'hui encore avec la saucisse de Morteau, largement connue hors de sa région de production ; on évoquera aussi le succès contemporain, quasi mondial, du jambon de Parme.
Produits rustiques et sains
Fascination du bio ? Relisons cette invitation à dîner du poète Juvénal qui sait quitter le ton acerbe de la satire sociale pour une veine plus bucolique : " Ecoute le menu : le marché n'en aura point fait les frais. Des pâturages de Tibur, viendra un chevreau bien gras, le plus tendre du troupeau. Il n'aura pas encore brouté l'herbe ni osé mordre aux branches de jeunes saules : il a plus de lait que de sang ; des asperges de montagne que, laissant là son fuseau, la fermière a cueillies ; puis de gros oeufs, encore tout chauds du nid, avec les poules qui les ont pondus ; des raisins conservés une partie de l'année, aussi beaux qu'ils l'étaient sur leur cep ; des poires de Signia et de Syrie et, dans les mêmes corbeilles, des pommes au frais parfum, rivales de celles du Picenum : tu n'auras pas à les redouter maintenant que le froid a séché l'automne et qu'elles n'offrent plus l'inconvénient d'un suc âcre encore ".
Il faut noter que le marché dont parle Juvénal au début, est le Macellum de Rome, réputé pour le luxe et la cherté de ses produits, au point que les créanciers venaient y attendre leurs clients qui en sortaient au bord de la ruine.


Gustatio ou hors d’œuvre
Le repas commence généralement avec des verdures sauvages directement prélevées sur la nature, ou des variétés cultivées au potager ; on les sert crues en vinaigrette, d'où leur appellation générique d'acetaria (d'acetum, le vinaigre), ou cuites, comme aujourd'hui les épinards et la laitue, mais la gamme est infiniment plus étendue. On les conserve en saumure ou dans le vinaigre pour en avoir toute l'année. Ecoutons l'agronome Columelle : " Il faudra vers l'équinoxe de printemps cueillir des herbes et les mettre en réserve pour l'usage : brocoli, chou, câpres, pousses d'ache, rue, fleur du maceron avec sa tige, avant qu'elle ne sorte de la graine ; également la fleur fermée de férule la plus tendre possible avec sa tige, la fleur fermée de carotte sauvage ou cultivée avec sa tige, la jeune tige de la bryone, de l'asperge, du fragon, du tamier, de l'orpin, du pouliot, du calament, de la sanve, du crithme et de l'herbe appelée " patte de milan ", et même la tige tendre du fenouil ". Aujourd'hui encore les Italiens raffolent des petits légumes sott'aceto, conservés dans le vinaigre : carottes, céleris, mais aussi aubergines et poivrons, venus des Amériques et que les anciens Romains ne connaissaient pas davantage que les tomates.
cliché des auteurscliché des auteursLaitues du jardin
Les agronomes romains distinguent de nombreuses variétés de laitues : les rouges, les vertes à feuilles frisées, celles de Cappadoce, à feuilles pâles, striées et épaisses, la blanche d'Espagne, celle de Chypre, d'un blanc tirant sur le rouge, à feuilles lisses et très tendres. Pour l'empêcher de " monter " en tige, on plaçait au cœur une petite brique dont le poids la contraignait à s'étendre en largeur.
Mauve
Disparue des tables aujourd'hui, elle était aussi recherchée, ou fuie, pour ses propriétés laxatives. On la trouve maintenant au rayon " herboristerie " des pharmacies, vendue en tisane.

Menthe
La menthe pouliot (puleium) est celle qui jouit de la plus grande popularité, pour son incroyable vitalité : on dit qu'elle refleurit, même dans le garde-manger, et elle a tôt fait de coloniser un jardin. On la faisait sécher, tressée en couronne, on la conservait aussi en saumure ou dans le vinaigre.
cliché des auteursArroche
On cueille l’arroche adventice, mais on sème aussi l'arroche potagère. Elle était toujours présente au XVIIIe siècle dans le potager du roi à Versailles et on la trouve aujourd'hui encore vendue à la criée dans les rues d'Athènes.
Olives
Les Anciens étaient de grands spécialistes de l'olive, et qu'elle fût destinée à la consommation ou au pressage, ils distinguaient saveurs et provenances. L'agronome Palladius cite une demi-douzaine de variétés, plus recommandées pour l'huile, certaines très productives, comme la Sergienne, d’autres plus goûteuses, comme la Licinienne. On préférait pour la table les espèces produisant de gros fruits. Les fouilles de la Bourse à Marseille ont livré des amphores d'olives au fenouil, bouchées d'un tampon de laurier, comme le prescrit l'agronome Columelle. A l'époque actuelle, certaines variétés ont conquis la célébrité, comme les olivettes de Nice et de Nyons, les olives vertes de Lucques en Italie ou les noires de Kalamata en Grèce, chaque lieu de provenance ayant ses propres recettes.
Globi
Ces globi sont des boulettes de semoule et fromage frais qu'on faisait frire, comme nos beignets, et qu'on dégustait roulées dans le miel. C'est un mets de campagnard, car dans l'Antiquité, les laitages, pour des raisons évidentes de conservation, ne pouvaient se consommer frais en ville. Le lait, après caillage, était salé et séché, ce qui en faisait une provision de garde, à consommer sur le pouce ou en voyage. A Rome, on connaissait essentiellement les fromages de brebis et de chèvre ; la vache méditerranéenne était surtout élevée pour la reproduction et avait un rendement laitier médiocre. Notons que les fromages de Gaule étaient appréciés jusqu'à Rome où l'on importait ceux produits en Lozère et dans le Gévaudan, ancêtres de notre moderne Pélardon des Cévennes.
Bettes
Réputée fade, la bette est toujours fortement assaisonnée d'herbes et épices, relevée de vinaigre et de moutarde ; elle est aujourd'hui emblématique de la cuisine niçoise où on l'assaisonne d'anchois. C'est un légume populaire, tout comme le chou, panacée universelle dont Caton l'Ancien fait un vibrant éloge ; à l'en croire, le chou est bon à tout, et contre tout ; il fait digérer, guérit les coliques et prévient les rhumatismes ; appliqué en emplâtres, il guérit les ulcères, sans compter que, mangé cru dans du vinaigre, avant un banquet, " il vous produira l'effet de n'avoir rien mangé et vous boirez tant que vous voudrez "…
Poireaux
On consommait les poireaux sauvages, dits de vigne, et les poireaux cultivés ; parmi ceux-ci, on distingue, le porrus sectile ou poireau à couper, vert, utilisé en condiment, et le porrus capitatus, ou poireau à tête dont Néron se gavait car il était réputé bon pour la gorge : on sait que l'Empereur avait des prétentions artistiques et se produisait sur scène dans des concours lyriques. Les Romains connaissaient de nombreuses variétés, parmi lesquelles le poireau de Tarente, réputé très fort, si l'on en croit le poète Martial : Les fibres du poireau de Tarente ont une odeur redoutable : si tu en manges, donne toujours des baisers à lèvres closes ".
Garum
Le garum est une sauce condimentaire préparée en salant fortement les petits poissons et les entrailles de poissons migrateurs - maquereaux, mulets, thons, anchois - pêchés en grand nombre ; on les entreposait au soleil dans des cuves, assaisonnés d'herbes aromatiques, jusqu'à ce que les chairs soient transformées par leurs propres sucs digestifs. Le résultat obtenu était ensuite filtré : le garum liquide était vendu fort cher, décliné en qualités et provenances ; quant au résidu, l'hallec, il assaisonnait le repas de la plèbe. Dans la cuisine sophistiquée, le garum tient lieu de sel. Le goût s'en est progressivement perdu au nord pour disparaître complètement au seuil du Moyen Age ; mais en Provence, on aime encore le pissalat, qui descend en droite ligne du garum. Au Viet-Nam aujourd'hui, on prépare le nuoc-mam, qui est le condiment le plus largement utilisé, et l'équivalent le plus proche du garum antique.


Artichauts
On consommait aussi bien les tiges, cardes vertes et cardons blanchis, que les fleurs, ce que nous appelons proprement artichauts ; l'iconographie nous restitue leur forme, plus proche de celle de l'artichaut du Midi, dit poivrade, que du gros artichaut breton.
© Centre Henri Stern, CNRS, UMR 8546cliché des auteursCoriandre
C'est une herbe aromatique très employée dans la grande cuisine, puisqu'elle apparaît en troisième position, chez Apicius, après la livèche et la rue. C'est une des plus anciennes aussi : son nom se lit sur des tablettes crétoises rédigées dans une écriture appelée linéaire B (1450-1200 av. J.-C.). Les recettes intègrent les feuilles vertes, mais aussi les graines, comme aujourd'hui encore.

Concombres
L'empereur Auguste se désaltérait volontiers d'un concombre, et son successeur Tibère en avait la passion ; pour en avoir toute l'année, ses jardiniers les faisaient pousser dans des caisses à roulettes qu'ils pouvaient exposer au soleil l'hiver et protéger du froid derrière des plaques de mica transparent : c'est l'ancêtre de nos serres.
© Centre Henri Stern, CNRS, UMR 8546
Asperges
Les Romains consomment les asperges adventices d'asparagus, et d'autres jeunes pousses comme les crosses de fougère ou les jets de houblon. Les gourmets préfèrent les espèces cultivées, qui atteignent des tailles imposantes, comme celles de Ravenne qui prospéraient dans le sol sableux de la région. Les vestiges d'aspergeries antiques ont été mis au jour à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) et à Gevrey-Chambertin (Côte d'Or) : la fouille a fait apparaître des fossés parallèles, profonds de 45 à 50 cm, à fond plat et net, caractéristiques de cette culture.
cliché des auteurs

Huîtres de Baies
On consomme les fruits de mer sauvages - oursins, moules, crevettes - mais on pratique aussi l'élevage des huîtres selon des méthodes comparables à celles qui ont cours de nos jours. Au moment du frai, des agencements de tuiles et de cordes permettent aux embryons d'huîtres de se fixer et de grandir dans des parcs. On attribue cette invention à un certain Sergius Orata qui installa ses premiers élevages dans sa villa de Baies, célèbre cité balnéaire de Campanie où les riches romains aimaient séjourner. Les huîtres réputées les meilleures venaient des parcs du lac Lucrin. Un flacon de verre gravé nous montre des installations, légendées " ostriaria ", très proches de celles que l'on peut voir aujourd'hui dans l'étang de Thau.
cliché des auteurscliché des auteursLaser
Cette épice recherchée est une ombellifère (asa foetida) dont le suc, largement employé aujourd'hui dans la cuisine indienne, est dénommé laser. C'est un succédané du mythique silphium de Cyrénaique, qui fit la célébrité de la région avant de disparaître du marché au cours du 1er s. av. J.-C., éradiqué, semble-t-il, par des prélèvements destructeurs. Il est peu probable toutefois que l'espèce se soit totalement éteinte ; plus vraisemblablement les difficultés d'approvisionnement ont poussé les importateurs à l'abandonner au profit d'autres variétés : laser Parthicum, laser Syriacum. Le prélèvement régulier et discret des populations locales a dû permettre aux plants survivants de se perpétuer, sans reconquérir l'aire de répartition initiale. A l'époque de Néron encore, le médecin Dioscoride consacre une notice détaillée aux différentes sortes de silphion, ceux de Syrie, d'Arménie et de Médie, puis vante les mérites de celui de Cyrénaïque, et énumère quelques-unes des maladies qu'il permet de guérir. Presque toutes les plantes, mais certaines plus que d'autres (thym, cumin, etc.) sont à la fois culinaires et médicinales.
Loir farci rôti
Le loir n'est pas une nourriture de disette, mais un mets recherché, au moins sous la République. On l'engraisse en le maintenant enfermé dans l'obscurité, dans des jarres spécialement aménagées : persuadé par son horloge biologique que l'hiver arrive, l'animal mange sans discontinuer pour préparer son hibernation. Apicius donne une recette de loir farci de pignons et rôti dans une cloche à braises, sous une tuile.

Prima mensa ou premier service
C'est la partie centrale du repas où l'on sert les grosses pièces, viandes ou poissons, accompagnées de sauces souvent compliquées, avec l'huile d'olive comme excipient, et de nombreuses épices, graines, herbes et racines parfumées. Certaines sont adventices dans le bassin méditerranéen - origan, baie de myrte, laurier - d'autres cultivées au potager - livèche, oignon, persil, aneth, coriandre - d'autres enfin sont procurées par le commerce international maritime et caravanier : poivre des Indes, cumin, gingembre, safran. Dans certains cas, pour une même denrée, on préfère celle d'origine exotique, à l'indigène : par snobisme ou parce qu'elle est plus haute en goût ? Ainsi, le cumin d'Egypte est plus recherché que le cumin local.
cliché des auteursFoie gras d’oie
On gavait les oies, non seulement pour engraisser leur chair, mais aussi pour déguster leur foie, car le foie gras est une invention des Grecs, n'en déplaise aux éleveurs d'Alsace ou du Périgord… On le servait cuisiné et chaud, au même service que la volaille. L'agronome Palladius explique les méthodes de gavage : " on roulera en petites boulettes des figues sèches broyées et trempées dans de l'eau ; on en donnera au bout de trente jours d'engrais, et cela pendant vingt jours consécutifs ". On gavait de la même façon les grives, avec des figues broyées avec de la farine, qu'on allait jusqu'à prémâcher pour en accélérer la digestion. Mais l'agronome Columelle déconseille ce procédé, trop coûteux car, dit-il, les gens qu'on emploie à le mâcher coûtent cher et en avalent eux-mêmes une certaine quantité… Des essais de production à l'ancienne, avec gavage à la figue, ont été repris il y a quelques années, sans esclaves pré-mâcheurs ; malgré le goût délicieux ainsi communiqué au foie, le public n'a pas suivi.
Sanglier
Le gibier est un des signes obligés du luxe. Il est élevé dans de vastes parcs, appelés leporaria, du nom du lièvre, lepus, très apprécié, mais moins cependant que le sanglier dont les Lois somptuaires, édictées par les Empereurs, tentèrent de limiter la consommation. De vastes volières permettent aussi de garder des oiseaux sauvages, comme la perdrix, la grive ou encore le flamant et le paon, qui réjouissaient autant la vue que le palais. Les basses-cours s'enorgueillissaient d'espèces importées et nouvellement acclimatées, comme l'" oiseau du Phase ", le faisan, ou la " poule de Numidie ", la pintade.
Myrte
Encore utilisée en Corse aujourd'hui pour aromatiser le pâté de grives et confectionner une liqueur, cette baie délicieusement parfumée était surtout l'épice du pauvre, utilisée en succédané du poivre, épice de luxe, apportée d'Inde par les caravanes, et donc inaccessible aux bourses populaires. Le myrte passait pour prévenir l'ivresse ce qui explique sa présence sur l'orfèvrerie de table : des rameaux finement ciselés ornent une coupe d'argent du célèbre trésor de Boscoréale, conservée au musée du Louvre à Paris.

Thon avec une sauce alexandrine aux pruneaux
Les poissons de roche sédentaires étaient pêchés ; mais pour pallier les aléas du temps et avoir toujours à disposition du poisson frais, on aménage en bord de mer des viviers, autant de plaisir que de rapport, préfigurant l'aquaculture industrielle de notre époque. Les poissons migrateurs, comme le thon, sont mis en conserve dans des installations artisanales, assez importantes pour avoir laissé des vestiges imposants, comparables, toutes proportions gardées, à notre moderne industrie agro-alimentaire.
cliché des auteursSecunda mensa ou second service
C'est l'équivalent de notre dessert, sauf qu'il n'existe pas de notion qu'un mets sucré doive obligatoirement terminer le repas. En revanche, on y sert toujours des fruits, frais ou séchés, dont les Romains étaient très friands.
Pommes d’Armérie
La saveur du fruit dépend du sol et de l'ensoleillement, de l'expérience des cultivateurs, mais aussi de l'espèce. Pline peut citer trente variétés de pommes, certaines espèces portent le nom de celui qui les a greffées, Matius, Cestius, Mallius, Scaudius ; l'Appiane, greffée sur un cognassier, fut inventée par Appius : elle a l'odeur du coing, la taille de la Scaudiane, sa couleur est rouge ; il y a aussi la Sceptiane, remarquable par sa rondeur ; la Scantiane se conserve en tonneaux ; d'autres tirent leur nom de leur origine géographique, comme la pomme d'Armérie et la pomme Grecque. D'autres encore doivent leur nom à des causes diverses : les orbiculées à leur forme sphérique, les orthomastia à leur ressemblance avec les seins, les mustea à leur maturation hâtive, nommées aussi melimela d'après leur goût de miel.
On trouve, chez les Romains, comme à notre époque, un double mouvement : l'un vise à la création de nouvelles variétés ; l'autre à la conservation de celles existantes.
Cerises
Le grand général Lucullus, qui doit moins sa réputation à ses victoires qu'à ses dîners, rapporte les cerises de sa guerre contre le roi parthe Mithridate en 73 av. J.-C. Un siècle plus tard, Pline peut en citer une dizaine de variétés : les Aproniennes, les plus rouges, les Lutaties, les plus noires, les Céciliennes, les plus rondes, les Juniennes, qu'il faut manger sur l'arbre parce qu'elles ne supportent pas le transport, les Lusitaniennes tricolores, noires, rouges et blanches, les Laurées, greffées sur le laurier, et dont on apprécie l'amertume.
Dattes d’Afrique et prunes de Carthage
Sur l'intensité du commerce alimentaire dès le 3e s. av. J.-C., on rappellera la célèbre anecdote qui serait à l'origine de la 3e guerre punique. Impatient de voir son pays détruire définitivement Carthage (delenda est Carthago, pour les latinistes…), Caton apporta un jour à la Curie une figue précoce et, ayant fait constater sa fraîcheur aux sénateurs, s'écria : " Sachez que ce fruit a été cueilli à Carthage il y a trois jours, tant l'ennemi est proche de nos murs ! ". Impressionnée, l'assemblée vota aussitôt la guerre.
du PicenumFromage de TrébulaFromage fumé du VélabreHuile de BétiquePoireau d'AricieHuîtres du LucrinSaucisses de LucanieHuître de BrindesSalaisons du PontMiel de l'HymetteVin de LesbosVin de ChiosCumin de SyriePoisson salé de TringitaneTruffes d'AfriqueFigue de CarthageEscargots d'AfriqueMiel de SicilePrunes de DamasSilphium de CyrénaïquePain d'AlexandrieOignon d'AscalonVinaigre d'EgypteNavets de Nursia
Fromage des Vestins
Oignons des Marses
Huile du Vénafre
Carte de l'empire gourmand (extraite de « La cuisine romaine antique » de Nicole Blanc et Anne Nercessian, Editions Glénat, p. 20-21.
Avec l’aimable autorisation des Editions Glénat)