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Comment évaluer le rôle de la diversité des bactéries du sol ?
Introduction

© Janice Carr. Public Health Image Library.
Dans certaines études scientifiques, différentes espèces bactériennes ont été assemblées pour analyser les mécanismes d’interactions et de complémentarité existant entre elles. Il en ressort une relation positive entre la diversité des espèces assemblées (richesse spécifique) et le niveau de fonctionnement de ces bactéries. Mais ces conclusions restent difficiles à extrapoler à des sols réels car ce type d’expérience ne manipule que quelques dizaines d’espèces, alors que la réalité en compte plusieurs dizaines de milliers… (1)
Des études ont cependant été menées sur sol réel pour mieux connaître le rôle de cette diversité microbienne sur la décomposition de la matière organique et les transformations de l’azote. Les résultats, surprenants, indiquent que ces fonctions ne sont pas affectées par une très forte réduction de la diversité microbienne (jusqu’à 99% des espèces bactériennes du sol supprimées !).
Pour mieux comprendre ces résultats, il est cependant nécessaire de rappeler qu’on estime qu’il existe plus de 10000 espèces de bactéries par poignée de terre, contre 9000 espèces d’oiseaux sur l’ensemble du globe par exemple ! De ce fait, même dans le cas d’une forte réduction du nombre d’espèces bactériennes par dilution, il reste tout de même une quantité d’espèces largement suffisante pour réaliser les fonctions du sol.
Ce type d’expérience souligne le niveau de redondance fonctionnelle très élevé qui caractérise la plupart des communautés bactériennes du sol, c'est-à-dire que de nombreuses espèces peuvent assurer une même fonction dans le sol. Cependant, elles ne fonctionnent pas forcément de la même façon ni dans les mêmes conditions (température, pH, humidité…). Cette redondance apporte au sol et aux écosystèmes associés une meilleure résistance aux perturbations et une plus forte adaptabilité au changement. De plus, l’intérêt de la très grande diversité bactérienne du sol peut se révéler central dans des situations nouvelles ou extrêmes.
(1) Revue Biofutur « L’écologie microbienne des sols » juillet-août 2006, n° 268, p22-57, reprise par « Le Point », mensuel de l’Inra n°128, automne 2006 « l’écologie microbienne du sol, vers une approche intégrée ». Article « Relations biodiversité-fonctionnement chez les microorganismes du sol »
Rédaction :
Manuelle Rovillé
Validation scientifique :
Xavier Le Roux (Directeur de recherche, Laboratoire d'écologie microbienne, Inra-CNRS-Université Lyon1)
Patrick Lavelle (Directeur de recherche, Laboratoire d'écologie des sols tropicaux, centre IRD)
Source :
Revue Biofutur « L’écologie microbienne des sols » juillet-août 2006, n° 268, p22-57, reprise par « Le Point », mensuel de l’Inra n°128, automne 2006 « l’écologie microbienne du sol, vers une approche intégrée ». Article « Relations biodiversité-fonctionnement chez les microorganismes du sol »
Les études scientifiques en détail
Une question centrale en écologie est de savoir en quoi la diversité des organismes du sol, notamment la formidable diversité des microorganismes, permet ou non un meilleur fonctionnement du sol et une meilleure capacité du sol à fonctionner en environnement fluctuant.
Une des approches permettant d’étudier de façon plus approfondie les relations diversité-fonctionnement microbiens dans le sol consiste à supprimer des espèces : elle réduit, en suivant un scénario prédéfini, la diversité de communautés microbiennes présentes in situ. Un scénario intéressant d’érosion de la diversité microbienne consiste en la suppression préférentielle des espèces minoritaires (les moins abondantes) par une approche de dilution progressive. Certaines perturbations telles que des pollutions semblent en effet faire disparaître surtout les espèces minoritaires. On caractérise alors les éventuelles modifications de fonctionnement induites par l’érosion de la diversité microbienne du sol ainsi générée. Seules quelques études ont utilisé cette démarche dans le passé, et encore moins l’ont fait en contrôlant correctement les niveaux d’effectifs des communautés étudiées. Dans une étude menée sur la communauté microbienne du sol, des chercheurs du Laboratoire d’écologie microbienne de Lyon (Inra/CNRS/Université Lyon 1) ont montré que le niveau d’une fonction assurée par la grande majorité des microorganismes du sol, à savoir la décomposition de matière organique, n’était pas affecté par une érosion de la communauté microbienne du sol. Plus encore, ils ont montré que le fonctionnement et la stabilité du fonctionnement de communautés microbiennes moins diverses et assurant des fonctions très spécialisées, comme les communautés dénitrifiantes et plus encore nitrifiantes, est largement insensible à une réduction prononcée de la diversité microbienne. Dans cette étude, les auteurs ont évalué qu’ils avaient supprimé jusqu’à plus de 99% des taxons bactériens du sol sans affecter le fonctionnement des communautés microbiennes !
Ce type d’expérience souligne le fort niveau de redondance des fonctions usuelles (pas trop spécialisées) qui caractérise la plupart des communautés bactériennes du sol, c'est-à-dire que de nombreuses espèces peuvent assurer une même fonction dans le sol. Notons cependant qu’un intérêt notoire de cette très grande diversité des communautés microbiennes réside dans le réservoir de gènes, de fonctions et d’adaptation qu’elle représente, dont le rôle peut se révéler central dans des situations nouvelles, non favorables ou extrêmes. La création par les bactéries d’un nouveau gène permettant la dégradation du lindane, pesticide correspondant à une nouvelle molécule fabriquée par l’industrie, illustre bien ce phénomène.
Une seconde approche permettant d’étudier les relations diversité-fonctionnement microbiens correspond à la démarche d’assemblage d’espèces. Celle-ci permet de constituer des communautés microbiennes synthétiques présentant des niveaux de diversité différents et d’en étudier le fonctionnement. Ces approches sont adaptées pour étudier les liens entre diversité et fonctionnement dans un contexte de colonisation d’un habitat à partir de pools d’espèces plus ou moins nombreuses. Elles permettent aussi de bien analyser les mécanismes d’interactions et de complémentarité existant entre espèces microbiennes. De telles études ont été menées notamment sur les champignons décomposeurs de litière et sur les champignons mycorhiziens. Certaines d’entre elles montrent une relation positive entre niveau de fonctionnement et niveau de richesse spécifique des communautés étudiées. Cependant, il faut ici noter que le nombre maximum d’espèces utilisé dans ce type de démarche par assemblage ne dépasse jamais quelques dizaines, ce qui est donc sans commune mesure avec la richesse spécifique qui caractérise généralement les communautés microbiennes naturelles dans le sol.
Rédaction :
Xavier Le Roux (Directeur de recherche, Laboratoire d'écologie microbienne, Inra-CNRS-Université Lyon1)
- Le Roux X., Philippot L., Degrange V., Poly F., Wertz S.. 2006. « Relations biodiversité-fonctionnement chez les microorganismes », Biofutur 268
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Wertz S., Degrange V., Prosser J., Poly F., Commeaux C., Freitag T., Guillaumaud N. & Le Roux X. 2006. Maintenance of soil functioning following erosion of microbial diversity. Env. Microbiol. 8: 2162-2169.