L'apparence
était un élément essentiel en Egypte
ancienne et la couleur avait un rôle particulièrement
important car elle était considérée
comme un être vivant : le terme "youn"
signifiait à la fois "couleur"
et "caractère d'un être humain".
Tous
les Égyptiens se maquillaient : hommes, femmes, enfants
de toutes classes sociales et fonctions... et l'analyse
chimique des fards
égyptiens retrouvés dans les monuments
funéraires a prouvé que ceux-ci possédaient
déjà une véritable maîtrise de
la cosmétique. Le maquillage consistait surtout à
mettre les yeux en valeur, ce que faisaient déjà
les Égyptiens il y a 4000 ans.
Rôle esthétique,
thérapeutique et religieux
Le
maquillage égyptien était raffiné :
les formes (traits ou ombrages), les matières (mates
ou scintillantes), et les couleurs étaient différentes
selon les époques. Source d'embellissement, il avait
aussi une valeur thérapeutique, et les fards, dès
l'Ancien Empire, étaient de véritables soins
pour les yeux et la peau. Les papyrus médicaux, datés
d’environ 1500 avant notre ère - en particulier
le Papyrus Ebers - font ainsi état de véritables
recettes utilisées pour protéger les yeux
des maladies présentes sous le climat égyptien,
plus particulièrement lors de la crue du Nil, et
permettent d'identifier plusieurs matières minérales,
notamment la malachite verte et la galène noire utilisées
dans le traitement des yeux : “Remède pour
soigner la vue : galène, ocre rouge, plante, partie
mâle de la galène. Sera préparé
en une masse homogène et appliqué sur les
yeux” (Papyrus Ebers). Des incantations étaient
parfois récitées : “Viens malachite
! Viens, malachite ! Viens, la verte ! Viens écoulement
de l’œil d’Horus ! Viens rejet de l’œil
d’Atoum ! Viens sécrétion sortie d’Osiris
! ...” (Papyrus Ebers). Les fards égyptiens
étaient aussi associés au culte divin : largement
présents dans la liste des offrandes funéraires,
ils contribuaient aux rites qui avaient pour but de préserver
les dieux de la mort et de ressusciter les défunts.
Ce contexte religieux a vraisemblablement conduit les Egyptiens
à travailler le contenu des fards pour en faire une
véritable médecine et les prêtres attachés
au culte de Douaou, divinité vénérée
sous l’Ancien Empire, exerçaient aussi le métier
d’ophtalmologiste !
Couleurs symboliques
La palette
des fards
de l'Égypte antique a été diversement
colorée mais toujours chargée d'une forte
symbolique
: le vert et le noir ont été les bases successives
du maquillage.
•
Couleurs
prédominantes : le vert et le noir
Dès
le début de l’Ancien Empire (2600 à
2200 avant J.-C), le fard présent sur la liste des
offrandes funéraires est désigné par
le terme ouadjou : “poudre verte”,
preuve que les fards de cette époque étaient
verts comme en témoignent aussi les bas-reliefs polychromes
des plus anciennes chapelles funéraires mettant en
scènes des personnages aux paupières ornées
de larges traits verts : Sépa (grand fonctionnaire
vivant sous la IIIème dynastie) et sa compagne Nésa.
Couleur de la nature, de la jeunesse et de la renaissance,
le vert est la couleur d'Osiris, dieu de la terre, de la
végétation et de la renaissance, représenté
avec un visage vert, le corps étant enserré
dans un maillot funéraire.
Le
fard vert à base de malachite semble subsister jusqu’à
la IVème dynastie puis disparaît au bénéfice
du fard noir à base de galène.
Le noir est traduit par le terme mesdemet qui aurait comme
origine l’expression “rendre les yeux parlants,
expressifs” (de mistim ou stim
: "qui rend les yeux parlants") , étymologie
qui souligne le fait que les fards égyptiens étaient,
à une époque, noirs. Ainsi, de nombreux fards
noirs ont-ils été observés dans les
offrandes funéraires, la statuaire et la peinture
de l'époque : stèle représentant la
princesse Néfertiabet (2500 avant J.-C.) devant son
repas funéraire, l’œil fardé d’un
trait noir.
Le noir, étroitement lié à l'Égypte
(dont le nom ancien est Kemet : "la terre
noire", de km : "noir",
d'où kmb : "les Égyptiens")
à cause du limon noir, très fertile, laissé
par le Nil, symbolise dans la culture égyptienne
pharaonique, la vie, la fécondité, la renaissance,
le renouvellement, valeurs personnifiées par les
divinités à chair noire et par l’œil
noir prolongé d'une "goutte" du dieu du
ciel et esprit de lumière, Horus, représenté
avec une tête de faucon (animal à l’œil
naturellement entouré de noir et dont l'acuité
visuelle est incomparable). L'œil noir d'Horus, l'oudjat
("complet") est le symbole de l'intégrité
physique, de l'abondance et de la fertilité, de la
lumière et de la connaissance.
•
Autres
couleurs : du blanc au gris, en passant par le jaune et le
bleu égyptien
Si
les maquillages verts et noirs étaient prédominants,
les Egyptiens utilisaient aussi la gamme des gris grâce
à des pigments variés comme la cérusite
naturelle permettant d’obtenir une poudre blanche
qui était ajoutée à la galène
noire. D'autres couleurs ont aussi été observées,
notamment le jaune (qui n'est pas nommé en égyptien
ancien), représenté par le doré, l'or,
et qui est associé à la chair des dieux, aux
masques funéraires et à l'immortalité.
La peinture et la statuaire révèlent l’existence
d’une palette de couleurs plus large, mais le maquillage
représenté ne correspondait pas toujours au
maquillage réel et avait une valeur symbolique :
les artistes utilisaient notamment le bleu
égyptien pour représenter
les carnations de certaines divinités, cette couleur
étant d'essence divine, par son association avec
l'air, le ciel, le milieu aquatique d'où jaillit
la vie.
La cosmétologie
égyptienne n'était donc pas une simple parure
et les couleurs des fards avaient un rôle non seulement
esthétique, mais aussi thérapeutique et symbolique,
rituel, sacré, révèlant ainsi les liens
étroits entre technique et symbolique, et nous faisant
pénétrer au cœur de la sensibilité
sociale de cette culture ancienne.
Annie Mollard-Desfour
Laboratoire Lexiques, Dictionnaires, Informatique
(LDI)
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