La myrrhe et l’encens sont des sécrétions résineuses qui se présentent sous forme de larmes colorées, provenant d’arbustes de la famille des Burséracées qui poussent presque exclusivement au sud de la péninsule Arabique (Yémen, Oman) et en Somalie.
Le mot encens vient du latin ecclésiastique incensum (ce qui est brûlé) et désigne soit l’oliban, ou encens véritable, récolté par incision à partir d’arbustes du genre Boswellia, soit une famille de compositions dans lesquelles entre l’oliban. L’odeur de l’encens est obtenue par la technique très ancienne de la combustion, probablement née avec l’invention du feu, qui a donné le mot parfum à partir de per fumum, par la fumée. On connaît le poème de Baudelaire qui parle de parfums "corrompus, riches et triomphants, ayant l’expansion des choses infinies, comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens".
La myrrhe est produite
par un arbuste Commiphora myrrha, sous forme d’un
suc qui se solidifie en grosses larmes qui rougissent en séchant.
Selon la légende, la myrrhe tire son nom de Myrrha,
fille de Cinyras, roi de Chypre, changée en arbre par
les dieux pour avoir commis un inceste, et dont les pleurs
constituaient la myrrhe. En Egypte, la myrrhe servait à
la momification, mais était aussi utilisée comme
parfum, comme le montre cet extrait des Chants d’amour
composés vers 1500 av J.-C. qui donne des recommandations
pour la fête : "Mets de la myrrhe sur
ton front, revêts toi de lin blanc, parfume toi avec
les merveilles véritables".
L’encens et les dieux
Dès la plus haute antiquité, l’encens a été considéré comme indispensable pour les cultes rendus aux dieux, dont le cœur est réjoui par son odeur. Hérodote dit que mille talents d’encens étaient offerts chaque année en l’honneur de Bel dans son temple à Babylone. En égyptien, le mot encens évoque le divin. Les pharaons, ou par délégation les prêtres, accomplissaient la fumigation de l’encens en jetant des boulettes dans l’extrémité, remplie de charbon en combustion, d’un bras à encens. Les prêtres offraient chaque jour à Ré trois sortes d’encens, une à son lever, une au milieu du jour et une à son coucher.
L’encens figure en bonne place chez les Hébreux et la Bible indique les ingrédients nécessaires pour rendre le culte : "L’Eternel dit à Moïse : prends des aromates, du stacté, de l’ongle odorant et du galbanum, et de l’encens pur, en parties égales. Tu feras avec cela un parfum, un composé selon l’art du parfumeur ; il sera salé, pur et saint…..Vous ne ferez point pour vous de parfum semblable, dans les mêmes proportions…" (Exode, XXX, 7-8).
Plus tard, les rabbins ajoutèrent d’autres ingrédients (onze ou treize en tout), mais préparer l’encens pour qu’il s’élève en une colonne bien droite était très difficile et c’était le secret de la famille d’Abtinos. L’encens et la myrrhe figurent dans les présents faits par les Mages à l’enfant Jésus.
L’encens est encore utilisé pour le culte dans plusieurs grandes religions. Montaigne (Essais,1, 55) remarque que "l'invention des encens et parfums aux Eglises, si ancienne et espandue en toutes nations et religions, regarde à cela de nous resjouir, esveiller et purifier le sens pour nous rendre plus propres à la contemplation".
La route de l’encens et de la myrrhe
L’arbre à
encens ne poussant pas en Egypte, il était nécessaire
pour s’en procurer de grandes quantités d’organiser
des expéditions, dont la première est attestée
vers 2540 av. J.-C. La plus célèbre est l’expédition
au pays de Pount (qui serait actuellement la Somalie, le nord
de l’Ethiopie et l’est du Soudan), commandée
par la reine Hatchepsout, vers 1500 av. J.-C. On en rapporta
des quantités énormes d’encens, de la
myrrhe et de la cannelle, ainsi que 31 arbres à encens
avec leur motte. On peut voir une représentation de
cette expédition sur le mur du temple de Deir
el Bahari (Égypte).
L’encens a
toujours été considéré comme un
bien très précieux et la lutte pour le contrôle
de son transport et de son commerce a été très
vive. La domestication du dromadaire, peut-être vers
le VIIIe siècle av.
J.-C., a permis d’assurer le transport de l’encens
et de la myrrhe, sur près de 3000 km, jusqu’au
port de Gaza. Une route caravanière a été
empruntée depuis cette époque jusqu'à
l'avènement de l'Islam, mais elle fut concurrencée
par une voie commerciale passant par la mer Rouge, après
la découverte du régime des moussons au 1er
siècle ap. J.-C. Des caravanes de chameaux, dont chacun
pouvait porter 200 kg d’encens, d’une valeur actuelle
d’environ 100 000 euros, traversaient en deux à
trois mois (selon Pline l'Ancien) l’Arabie, depuis la
côte Sud en longeant la côte occidentale, en passant
au voisinage de la Mecque et de Médine puis de Pétra,
la ville des Nabatéens, qui devait sa fortune au commerce
de l’encens.
Les Arabes protégeaient
le secret des sources d’un produit qui se vendait plus
cher que l’or et n’ont pas hésité,
semble-t-il, à raconter des histoires étranges
à Hérodote qui les rapporte fidèlement (Histoires,
Livre II, chapitre CVII) : "L’Arabie est, du
côté du midi, le dernier pays habité,
et de tous, c’est le seul qui produise l’encens,
la myrrhe, la cannelle, le cinnamome, le ledanon ; sauf
la myrrhe, les Arabes recueillent difficilement toutes ces
choses. Ils obtiennent l’encens au moyen de la vapeur
de styrax que leur apportent les Grecs et les Phéniciens.
Ils brûlent le styrax et prennent l’encens, car
l’arbre qui le porte est gardé par des serpents
volants petits et bigarrés ; il y en a une multitude
autour de chaque arbre. Ce sont les mêmes serpents qui
font irruption en Égypte ; rien ne peut les éloigner
des arbres si ce n’est la vapeur du styrax."
L’encens et les hommes
Le Japon ancien (vers
le Xe siècle) tenait
en grande estime l’encens qui servait à parfumer
les habits et même les cheveux des courtisanes. Lors
de tournois d'odeur ou kô-dô, codifiés
au XVe siècle, les
invités devaient reconnaître les variétés
d’encens (par exemple des compositions de cinq composants)
qui leur étaient présentées, écrire
leur réponse à l’aide de caractères
spéciaux et composer un poème.
En Chine on utilisait six mélanges différents de benjoin, de myrrhe et d’oliban, constituant six espèces d’encens nommées "tranquille, reclus, luxueux, esthétique, raffiné et noble".
Confucius dit d’un gouvernement idéal "qu’il doit exhaler une odeur d’encens". L’importance de l’encens est aussi reflétée par le nom de
Hong Kong qui se dit en chinois Xiang Giang et signifie port de l’encens.
Maurice Chastrette
Professeur émérite à l’Université de Lyon
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