Les rayonnements UV ne
représentent que 8,3% de l'irradiance totale (W/m2)
du soleil, contre 38,9% pour le visible et 52,8% pour l’infrarouge
(IR) (virtuelle située hors atmosphère). Leurs
effets délétères
sur les tissus humains sont néanmoins innombrables.
Comme nous l'assène l'ensemble des campagnes de prévention,
le soleil peut provoquer des cancers de la peau (première
cause de mortalité par cancer chez les 25-35 ans).
Ce constat est évidemment très alarmant et
ne peut qu'inciter à la recherche de nouvelles protections
anti-UV et/ou à des changements radicaux de nos comportements
sociaux pour limiter notre surexposition au rayonnement solaire.
Rappelons néanmoins que le soleil n'est nocif qu'à hautes
doses. Son action est même considérée
comme très bénéfique à la synthèse
de la vitamine D3, nécessaire à la fixation
du calcium dans les os. Comble du paradoxe, la vitamine D
jouerait un rôle important dans la prévention
des cancers du sein, du côlon et de la prostate. Les
effets du soleil sont donc antagonistes et tout est question
de dosage.
Les
rayons ultraviolets
Le spectre de rayonnement UV est
divisé classiquement en trois domaines, les UVA,
les UVB et les UVC, auxquels on peut adjoindre les VUV
(ultraviolets du vide). Les VUV et les UVC, ainsi qu'une
partie des UVB et des UVA sont absorbés
par l’atmosphère
avant d'atteindre la surface du globe. Les UV ne représentent
alors plus que 6,8% de l’irradiance solaire au niveau
de la mer pour un soleil au zénith, soit 0,5% d'UVB
et 6,3% d'UVA. Cependant, eu égard à la
diminution de l'épaisseur de la couche d'ozone,
cette proportion d'UV pourrait singulièrement augmenter
dans les années à venir avec les conséquences
que l'on connaît en termes de santé publique
(effet sur la peau mais également sur les yeux
et le système immunitaire). Il pourrait être
envisagé à terme que l’indice UV soit
donné à chaque bulletin météo,
comme cela est déjà le cas dans certains
pays pour lesquels l’épaisseur de la couche
d’ozone est faible (par exemple au Chili).
Les effets nuisibles des rayons UV
Si les UV ne représentent qu’une faible partie
du rayonnement solaire, leurs effets nuisibles sont très
importants. L’excitation de photosensiblisateurs endogènes,
tels que la porphyrine ou la flavine, peut conduire à l’activation
de l’oxygène moléculaire et à la
production de radicaux libres comme les anions superoxydes
(O2-), les radicaux
hydroxyles (OH.) et
alcoxyles (RO.), ou
encore le peroxyde d’hydrogène (H2O2).
Par ailleurs, les UV transportent suffisamment d’énergie
pour induire la rupture de liaisons chimiques carbone-carbone,
carbone-hydrogène et carbone-oxygène. Ces éléments
chimiques étant à la base de l'ensemble des
tissus biologiques, des composés organiques et polymères,
il est facile d’imaginer l’ampleur des dégâts
occasionnés par les UV sur les êtres humains
(mutations génétiques, mélanomes de la
peau, phénomènes d’apoptose…) et
sur notre environnement quotidien (pour les plastiques :
jaunissement, perte de brillance et craquelures ; pour
le bois : décoloration par photodégradation
des lignines et de la cellulose, etc). La protection des systèmes
organiques et/ou biologiques contre les effets nocifs des UV
revêt donc aujourd'hui une importance capitale eu égard
aux enjeux environnementaux, économiques et médicaux
sous-jacents. (Figure 1)
Quel type de protection contre les UV ?
Différentes molécules comme les mélanines ou les acides nucléiques, constituants de la peau, jouent, entre autres, le rôle de photorécepteurs. Afin d’inhiber la toxicité des radicaux libres et protéger les tissus, l’organisme possède ses propres systèmes de défense intracellulaire. Ceux-ci, très complexes et très coordonnés, sont constitués de substances non enzymatiques, comme les vitamines E ou C et les caroténoïdes, mais aussi d’enzymes ayant une forte activité catalytique qui peuvent contenir des éléments minéraux, ou oligo-éléments, comme le zinc, le cuivre ou le manganèse. Toutefois le milieu interstitiel est dépourvu de tous les mécanismes protecteurs contre ces radicaux. C’est pourquoi des filtres artificiels sont nécessaires pour assurer une protection efficace et durable de nos tissus. Ces filtres, présents dans les crèmes solaires, peuvent être de deux natures, organiques ou inorganiques. Il est important de noter qu’une fois notre capital de protection anti-UV épuisé (cas des sur expositions) la peau est sans défense face à l’agression des rayonnements UV, d'où le besoin de renouveler fréquemment l'application de crème solaire. (Figure 2)
- Les filtres chimiques (ou organiques)
Ce sont des molécules organiques (benzophènes, aminobenzoates), qui protègent dans une gamme donnée de longueur d’onde le support qu'elles recouvrent. Pour une protection efficace sur tout le domaine UV (UVA et UVB) il est nécessaire d’associer plusieurs filtres différents (absorption associée à des transitions électroniques л→л* très intenses mais très localisées en énergie) (Figure 3-bas).
Ces filtres peuvent pénétrer dans l’épiderme et peuvent alors entraîner des allergies. Ils sont également sujets à des problèmes de photodégradation, qui réduit alors leur stabilité et donc leur efficacité dans le temps. Leur mise en formulation dans des protections solaires s'avère souvent complexe.
Les filtres minéraux (ou inorganiques) actuels
Ils correspondent à des pigments blancs détournés de leur utilisation première, à savoir des matériaux qui n’absorbent pas mais diffusent la lumière du visible. L’oxyde de zinc (ZnO) et le dioxyde de titane (TiO2) sont les deux matériaux le plus souvent utilisés dans les crèmes solaires.
Ces deux composés absorbent des rayonnements d’énergie supérieure à 3,1 eV (limite haute du visible) et présentent de forts indices de réfraction (2,1 et 2,7 pour ZnO et TiO2, respectivement). Selon la dimension des particules inorganiques, l’œil percevra une coloration blanche ou une transparence, respectivement pour un état pulvérulent (poudre finement divisée) ou non (monocristal, couche mince). La coloration blanche est alors associée à la forte différence d’indice de réfraction entre l’air (n = 1) et la poudre inorganique (n = 2,7 pour la phase rutile de TiO2). Il en va de même lorsque la poudre est incorporée dans une crème organique (n~1,5), qui sert entre autre de liant et permet d’étaler plus aisément le composant actif inorganique.
L’inconvénient majeur de ces filtres est l'effet de blanchiment qu'ils induisent lors de leur adjonction à une matrice organique (plastique, crème, etc). Deux approches peuvent alors être envisagées pour remédier à cet inconvénient et obtenir des filtres inorganiques incolores:
- Diminuer la taille des particules inorganiques, ce qui a pour conséquence d’atténuer les phénomènes de diffusion. Un tel phénomène est observé dans TiO2 lorsque la taille des particules est réduite de 300 nm à 100 nm. Ceci a pour inconvénient notoire de restreindre la gamme d'UV absorbés.
- Diminuer la différence d’indice
de réfraction entre la matrice organique
(norg)
et le composé actif (particule inorganique (nin)).
L'intensité diffusée est proportionnelle à la
différence
(nin/norg)2-1.
A la
différence des filtres chimiques, les filtres inorganiques
ne pénètrent pas dans la peau et n’induisent
pas d’allergie. C’est la raison pour laquelle
ils font partie de la composition des produits solaires
pour enfants et peaux sensibles. Un seul matériau
est souvent suffisant pour absorber à la fois les
UVA et les UVB (figure 3-haut), éventuellement
deux. Enfin il convient de souligner que cette classe de
composés peut présenter des propriétés
photocatalytiques génératrices de radicaux
libres. Ces nanoparticules inorganiques requièrent
donc un "enrobage" par de la silice ou de l’alumine
avant utilisation, ce qui permet par ailleurs d’accroître
les propriétés mécaniques (ou de thixotropie)
et leur dispersion au sein de crèmes.
La recherche de nouveaux filtres inorganiques
Les filtres inorganiques, en plus d’être moins allergènes que les composés organiques, offrent comme autre intérêt des coûts de productions compétitifs et des tenues dans le temps bien supérieures. C’est pourquoi les industriels cherchent à développer de nouveaux composés inorganiques, spécifiquement conçus pour protéger des UV avec un cahier des charges qui pourrait se résumer comme suit.
Le premier critère physique à respecter concerne la capacité du composé à absorber dans le domaine UV. Celle-ci doit être maximale, ce qui suppose :
-
Une absorption dès 3,1 eV pour absorber les UVA ;
-
Un pic d’absorption large pour absorber tous les UVA et les UVB ;
Un pic d’absorption intense pour permettre l’ajout d’un minimum de produit dans la matrice à protéger.
Le deuxième critère physique concerne la transparence du matériau dans le visible. Ceci suppose :
-
L’absence d’absorption dans le visible (en dessous de 3,1 eV) ;
-
Une diffusion très faible de la partie visible du rayonnement, d'où un faible indice de réfraction dans le visible.
A ces caractéristiques physiques s’ajoutent des contraintes chimiques souvent liées au milieu dans lequel sera dispersé l’absorbeur, notamment la tenue à des pH basiques (~8) et la photocatalyse et, évidemment, les contraintes réglementaires environnementales et sanitaires.
Les filtres inorganiques anti-UV de seconde génération
En recherche appliquée, le développement de nouveaux matériaux à propriétés optiques, pigments comme absorbeurs UV, requiert la connaissance des paramètres caractérisant les propriétés optiques des matériaux inorganiques, à savoir, l'indice de réfraction n et le coefficient k d'extinction, tous deux dépendant de la longueur d'onde incidente.
Au cours de ces dernières années, d’importants efforts ont été consacrés à la recherche de nouveaux absorbeurs UV incolores, dits de seconde génération, caractérisés par une plus faible valeur d’indice de réfraction dans le visible et donc des propriétés de diffusion de la lumière blanche réduites. L’avantage majeur de tels absorbeurs UV est donc de ne pas altérer la couleur du support qu’ils protègent.
Cependant, il est important de noter que les propriétés de diffusion et d’absorption de la matière sont liées par une relation de causalité (la relation de Kramers-Krönig). De ce fait, la recherche de matériaux à faible pouvoir diffusant dans le visible impose qu’ils présentent une capacité d’absorption atténuée dans les UV. Il s’agit donc de rechercher un matériau qui présente le meilleur compromis entre les propriétés exigées d’absorption des UV et les propriétés souhaitées de transparence dans le visible.
Les travaux récemment réalisés en laboratoire
ont entre autres amené à l’établissement
d’une démarche expérimentale et théorique
permettant de mieux comprendre l’origine des propriétés
optiques et de définir les ingrédients chimiques
nécessaires à l’obtention de produits
dédiés à une application pigmentaire
ou anti-UV.
Les propriétés optiques d’un matériau
peuvent se résumer au travers de deux aspects essentiels :
la nature des entités optiques (responsable des propriétés
d'absorption) et leur répartition dans l’espace.
Prenons l’exemple de l’oxyde de titane. Ce composé inorganique
présente sept arrangements structuraux différents.
La figure 4 montre que le principal paramètre qui gouverne
l’indice de réfraction dans ces phases est la
densité, à savoir le volume V occupé par
une entité formulaire TiO2. Cette variation
de l’indice de réfraction est proportionnelle à l’inverse
de ce volume, et l'indice de réfraction dans le visible
peut donc être ajusté en jouant sur la proportion
de vide dans la structure. Une forte diminution de l'indice
de réfraction peut également être obtenue
en substituant dans TiO2 un anion O2- par
deux anions F-, donnant
lieu aux composés TiOF2 et TiF4.
(Figure 4)
Conclusion
Pour conclure, gardons à l’esprit que la meilleure protection anti-UV est d’interposer entre le rayonnement et l’être humain un vêtement pour la peau, des lunettes de soleil pour les yeux, … Dans le cas d’exposition directe au rayonnement, l’utilisation de filtres organiques ou inorganiques en plus de la mélanine est indispensable. Ces filtres, pour être efficaces, doivent présenter une forte aptitude à absorber les UV, ce qui implique une forte capacité à diffuser la lumière visible et donc induit une coloration au filtre protecteur. Pour des raisons d’esthétique et de "tendances", la demande s’oriente vers des protections incolores. Comme nous l’avons indiqué ce nouveau cahier des charges impose une diminution des performances du filtre en terme d’absorption des UV. Il est donc crucial de bien comprendre, qu’en raison du lien de causalité entre les propriétés de diffusion et d’absorption, l’obtention de filtres incolores impose de trouver un compromis entre une protection efficace et un rendu esthétique satisfaisant.
Xavier Rocquefelte, Fabrice Goubin,
Stéphane Jobic
Institut des Matériaux Jean Rouxel
Alain Demourgues
Institut de Chimie de la Matière Condensée de Bordeaux
Compléments
bibliographiques
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