Le rayonnement solaire
arrivant sur terre couvre une gamme de longueurs d'onde
s'étendant
de l'ultraviolet à l'infrarouge. La partie de ce rayonnement
visible par les êtres humains se situe dans la zone
médiane entre 380 nanomètres (violet) et
780 nanomètres (rouge) environ. La zone inférieure
est couverte par l'ultraviolet, rayonnement invisible
pour les yeux humains, mais dont les effets biologiques
sur la peau sont essentiels. En fonction de ces effets
on partage ce rayonnement en trois domaines : les UVA
(entre 320 et 400 nanomètres), agents du bronzage
dont le potentiel cancérigène
longtemps ignoré est maintenant reconnu ; les UVB
(entre 290 et 320 nanomètres) nocifs pour la peau,
cancérigènes
reconnus ; enfin les UVC (de 100 à 290 nm), eux aussi
très
nocifs. La part relative de ces rayonnements dans le spectre
solaire arrivant sur terre est très rapidement décroissante
des UVA aux UVC, du fait du filtrage opéré par
la couche d'ozone de la haute atmosphère (lorsque
cette couche n'est pas devenue trop mince!).
Il sera donc exigé
de toute crème solaire qu'elle soit un filtre optimal
contre les UVB. Différents cas se présentent
pour le filtrage des UVA. Si la crème doit être
un écran
très efficace contre les rayonnements ultraviolets,
elle ne devra laisser passer ni les UVA ni les UVB. Si elle
doit rester une crème "bronzante",
elle pourra laisser passer une très faible proportion
d'UVA. Enfin, pour l'esthétique visuelle, toutes
les crèmes devront être transparentes dans
la gamme spectrale visible. Ce dernier critère
reste cependant susceptible de variations suivant les époques
et les cultures.
Les crèmes sont principalement
des émulsions chargées de nanopigments (grains
de la taille d'une centaine de nanomètres) en faible
concentration (environ 5% en masse), qui vont assurer l'essentiel
du filtrage UV. Les émulsions sont elles-mêmes,
pour l'essentiel, des mélanges d'huile et d'eau, avec
une faible proportion d'agents tensio-actifs destinés
à empêcher l'agglomération des nanopigments
en venant les enrober. Ce sont donc les nanopigments qui jouent
le rôle principal. Le matériau qui les constitue
devra présenter un bord d'absorption aussi abrupt que
possible en dessous de 400 nm. Leur taille devra être
adaptée afin de diffuser également au maximum
dans cette gamme spectrale afin d'empêcher le rayonnement
de traverser la couche d'émulsion composite. L'effet
de diffusion ne devra cependant pas s'étendre jusqu'au
domaine visible, sinon la couche apparaîtra comme un
emplâtre blanchâtre. L'indice du matériau
des grains, leur taille, leur concentration dans l'émulsion,
l'indice de l'émulsion et son épaisseur moyenne
sur la peau constituent ainsi un ensemble de paramètres
qu'il s'agit d'ajuster au mieux pour optimiser l'effet de
filtrage recherché. Cette optimisation est réalisée
aujourd'hui à l'aide de modèles physico-mathématiques
calculant les propriétés optiques d'absorption
et de diffusion de cette couche composite complexe. La base
de ces calculs est la théorie de la diffusion de la
lumière par des particules sphériques (modèle
de Mie).
Le matériau absorbant
UV le plus utilisé par les cosméticiens pour
le nanopigment est l'oxyde de titane (TiO2). Son
absorption intrinsèque croît très fortement
en dessous de 390 nm pour atteindre son maximum vers 310 nm.
Mis sous la forme d'un grain dont le rayon est de l'ordre
de 100 nm, ce matériau va diffuser le rayonnement ultraviolet
en même temps qu'il l'absorbe. Une émulsion contenant
ces grains en faible concentration, étalée sur
la peau sous la forme d'une couche mince d'une dizaine de
microns, produira alors un effet de filtre optimal, avec un
bord d'absorption extrêmement abrupt vers 400 nm, s'étendant
jusqu'aux UVC, tout en conservant une très bonne transparence
dans le spectre visible. Il s'agit là de la "recette
optique" de base des crèmes solaires mise en œuvre
par tous les fabricants de cosmétiques. Différentes
contraintes imposées notamment par la physico-chimie
des émulsions, mais aussi par l'ajout de composants
tels les parfums et les colorants viennent compliquer considérablement
cette recette de base et parfois abaisser les performances
optiques initiales. C'est ainsi, par exemple, qu'il est nécessaire
de déposer sur les grains d'oxyde de titane une fine
couche de composés d'alumine ou de silice afin de faciliter
leur enrobage par le tensio-actif dans l'émulsion;
mais ceci se fait au détriment de leurs propriétés
de diffusion et d'absorption.
Jacques LAFAIT
Institut
des NanoSciences de Paris
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