Dossier : Climat   
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Les glaciers alpins et le réchauffement récent -
L’année 2003

Extrait de la Lettre n°16 Programme International Géosphère Biosphère-Programme Mondial de Recherches sur le Climat (PIGB-PMRC)


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Contrairement aux variations de longueur des glaciers qui sont le résultat de la dynamique (fort complexe) de la glace, les fluctuations annuelles des volumes glaciaires sont, elles, des conséquences directes des variations climatiques (voir article précédent). Nous présentons ici les résultats détaillés des bilans de masse, sur la dernière décennie, relatifs aux glaciers de St Sorlin (Grandes Rousses), Gébroulaz (Vanoise) et Argentière (Mont Blanc) ainsi que ceux relatifs à la plus longue série disponible (Alpes suisses, depuis 1915).

Résultats des observations de bilans de masse dans les Alpes sur la dernière décennie

 


1 : Évolution des bilans de masse de surface
 

Sur la figure 1, sont reportés les bilans hivernaux (accumulation hivernale), estivaux (fusion estivale) et annuels (la somme des deux valeurs précédentes) observés à la surface de 3 glaciers des Alpes françaises, répartis dans trois massifs différents (Mont Blanc, Vanoise et Grandes Rousses), à 2750 m d’altitude. Les glaciers de Saint Sorlin et d’Argentière sont situés à 105 km l’un de l’autre.

Les mesures

Sur la figure 1 les histogrammes en blanc représentent les valeurs des bilans hivernaux (octobre à mai) : ils sont mesurés à partir de la mesure de l’épaisseur du manteau neigeux et de sa densité (carottage). Les histogrammes en grisé représentent les bilans estivaux et les histogrammes hachurés, les bilans annuels. Ceux-ci correspondent à cette altitude à une fusion de glace : ils sont mesurés directement à partir de l’émergence de balises d’ablation implantées à plusieurs mètres de profondeur dans la glace (à l’aide d’instruments de forage).

Sur la dernière décennie

Sur la dernière décennie, quelques années sont remarquables : l’année 1995 se distingue à la fois par une accumulation hivernale importante et une faible ablation estivale ; l’année 1998 est opposée avec une faible accumulation hivernale et une très forte ablation estivale. L’année 2001 a connu des conditions assez similaires à 1995 avec un hiver bien enneigé et un été pourri. Enfin, l’année 2003 se distingue nettement par son ablation estivale très élevée.

Analyse des bilans de masse glaciaires au cours du XXe siècle

D’une façon plus générale, l’analyse des bilans hivernaux et des bilans estivaux dans les Alpes françaises (Vincent, 2002) a montré que :

  • les bilans hivernaux sont bien reliés aux précipitations hivernales observées dans les stations météorologiques de vallée, même si ils peuvent atteindre des valeurs 2 ou 3 fois supérieures suivant les sites (redistribution de la neige par le vent),
  • la fusion estivale, qui donne une image directe des bilans d’énergie en surface, est très bien corrélée aux températures estivales.

La sensibilité de la fusion à la température a été analysée en détail entre 1600 et 3600 m d’altitude (Vincent, 2002) et décroît fortement avec l’altitude. Cette analyse montre par exemple que, à 2800 m d’altitude, une augmentation de la température estivale de 1°C implique une augmentation de la fusion estivale de 0.8 m d’eau.

 Sur le siècle

Cette étude a montré également que le XXe siècle pouvait être divisé grosso modo en 4 périodes : entre le début du XXe siècle et 1941, les glaciers alpins ont peu perdu de masse ; entre 1942 et 1953, les glaciers ont subi des déficits très importants à la fois à cause des faibles précipitations hivernales et à cause des fortes ablations estivales ; entre 1954 et 1981, les bilans de masse sont en général positifs et provoquent une réavancée importante du front de certains glaciers (plusieurs centaines de mètres pour les glaciers de la Mer de Glace, d’Argentière et des Bossons dans le Massif du Mont Blanc). Enfin depuis 1982 les bilans de masse sont très fortement négatifs.

Sur les Alpes

 


2 : a) et  b) Bilans de masse de 3 glaciers alpins
 

Une étude récente (Vincent et al., sous presse) analyse les plus longues séries de bilans de masse observées dans les Alpes autrichiennes, suisses et françaises (cf. article précédent). Ces séries ont une cinquantaine d’année, à l’exception de la série de Clariden (Suisse) qui est exceptionnelle puisqu’elle date de 1914. Bien que les observations sur ce glacier ne concernent que 2 sites (à 2700 m et 2900 m d’altitude), cette série est unique pour l’étude de l’accumulation hivernale et de la fusion estivale à l’échelle du siècle. L’analyse réalisée à partir de ces différentes séries révèle des fluctuations de bilans de masse très similaires à l’échelle des Alpes (de Sarennes, en France à Hintereisferner, en Autriche) pour les 50 dernières années (figure 2). En outre, on a pu montrer que les fortes fluctuations décennales dépendent pour une très large part des bilans estivaux. La variabilité des bilans hivernaux est beaucoup plus faible.

À partir de l’étude détaillée des 2 plus longues séries de bilans de masse hivernaux et estivaux dans les Alpes (Sarennes et Clariden), on a montré que la forte augmentation de la fusion estivale des 20 dernières années est très similaire pour ces 2 glaciers situés à 290 km l’un de l’autre et que, en conséquence, les variations du bilan d’énergie de surface qui affecte les glaciers au cours de la saison estivale sont similaires à l’échelle des Alpes : on observe en effet une augmentation de la fusion estivale (juin-août) journalière de 0,5 cm d’eau par jour à Sarennes entre les périodes 1954-1981 et 1982-2002 très similaire à celle de Clariden (0,57 cm d’eau par jour).

Une augmentation de 20 W/m2 à la surface des glaciers en été entre 1954-81 et 1982-2002

L’ablation (cm d’eau par jour) peut être convertie directement en énergie (W/m2) en utilisant la chaleur latente de la fusion (334 000 J kg-1) et en supposant que l’ablation provient uniquement de la fusion, ce qui est raisonnable dans les Alpes (sublimation très faible). Ainsi, l’augmentation du taux de fusion journalier (environ 0,5 cm eau/jour) observée à la fois à Clariden et à Sarennes entre 1954-81 et 1982-2002 correspond à une élévation des flux d’énergie en surface de 20 W/m2.

2003

 


3 : Ablation estivale mesurée sur le glacier de Clariden
 

La figure 3 montre les ablations estivales moyennes observées sur les différentes périodes du XXe siècle, depuis 1915, sur le glacier de Clariden à 2900 m d’altitude. L’ablation concerne uniquement l’ablation de neige car le site d’observation est au-dessus de la ligne d’équilibre du glacier. L’écart type de l’ablation estivale est de 55 cm d’eau (valeurs annuelles). La figure 2 indique que la valeur de 2003 dépasse de deux écarts type la valeur moyenne de 1982-2002 et de trois écart types la valeur moyenne de 1954-1981 (les erreurs des mesures d’ablation estivale, elles, ne dépassent pas 15 cm d’eau ).

De telles valeurs d’ablation n’ont jamais été atteintes au cours des 50 dernières années. Il faut remonter à 1947 pour retrouver une valeur équivalente.

     

Contact : Christian Vincent
Laboratoire de Glaciologie et de Géophysique de l’Environnement,UMR (CNRS-UJF)
BP 96 38402
Saint Martin d’Hères Cedex

     


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