Dossier : Climat   
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Le réchauffement climatique récent en France :
impact et conséquence sur la culture des arbres fruitiers et de la vigne

Extrait de la Lettre n°16 Programme International Géosphère Biosphère-Programme Mondial de Recherches sur le Climat (PIGB-PMRC)


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Une augmentation significative de la température a été enregistrée au cours du vingtième siècle, augmentation particulièrement prononcée sur les quinze dernières années, tant à l'échelle mondiale qu'à l'échelle de la France. Quel est l'impact de ce réchauffement sur les cultures en France ?

L’impact du changement climatique sur la production agricole a fait l’objet ces dernières années de plusieurs ouvrages (voir en particulier Rosenzweig et Hillel 1998, Reddy et Hodges 2000, GIEC 2001, Soussana 2001) qui permettent d’avoir une approche plus approfondie des processus mis en jeu par grands groupes de production et grandes zones géographiques à l’échelle mondiale. Au niveau de la production agricole française, la publication de Delécolle et al. (1999) a permis de présenter un premier diagnostic.


1 : Évolution des températures en France
 

Il est apparu récemment que le réchauffement observé depuis le début du siècle s’est accentué au cours des quinze dernières années, et ceci aussi bien en France (Moisselin et al., 2002) qu’à l’échelle globale, avec un ordre de grandeur de 0.5 à 1.0°C (figure 1, voir pages couleur) .Cette observation a conduit à rechercher des signes observables des effets d’une telle modification sur les cultures.

Les premières observations et la base de données Phénoclim

La première étape a été d’analyser le calendrier phénologique (la phénologie étant la chronologie des phénomènes biologiques saisonniers), qui est a priori la composante la plus sensible à la température, en particulier celui des cultures pérennes (arbres fruitiers et vigne). Un premier travail exploratoire (Domergue 2001) a mis en évidence une avancée significative (entre une et trois semaines sur trente ans) des dates de floraison des arbres fruitiers dans la vallée du Rhône. Il a été complété par les résultats de Ganichot (2002), faisant état d’une avance des dates de vendange de l’ordre de presque un mois en cinquante ans dans cette même région (Châteauneuf-du-Pape). Ces éléments nous ont conduit à susciter la collecte des observations phénologiques pour la mise en œuvre d’une base de données phénologiques, dénommée Phenoclim.

Phenoclim

 


2 : Localisation des sites de la base Phenoclim
 

Gérée par l’unité Agroclim de l’INRA d’Avignon, elle permet de disposer d’observations sur différents sites géographiques (figure 2) pour un grand nombre d’espèces (10 actuellement) et de variétés de ces espèces (de 3 à 8), collectées par des organismes soit de recherche soit professionnels au cours des vingt à trente dernières années. Les données sont analysées pour en tirer les caractéristiques d’évolution en fonction des espèces/variétés et des localisations géographiques. Elles sont également utilisées pour estimer les paramètres des modèles de simulation des stades phénologiques et en déduire les conséquences relatives à la production.

En ce qui concerne les cultures annuelles, les modalités d’extension de la base sont à l’étude. Le problème est plus complexe, car, en plus de la variabilité génétique, la phénologie est dépendante des techniques culturales (dates de semis et conditions d’implantation des cultures, qui dépendent des travaux du sol). S’il apparaît possible de collecter les observations effectuées dans les stations expérimentales pour la sélection variétale, celles-ci n’ont pas le même domaine de signification que pour les cultures pérennes, et il apparaît nécessaire de les compléter par un recueil de l’évolution des pratiques culturales, ce qui passe par des enquêtes encore assez peu réalisées.

Résultats

Nous présentons ici quelques résultats illustrant les conséquences du réchauffement récent sur les arbres fruitiers et la vigne.

Les arbres fruitiers

 


3 : Évolution des dates de floraison du poirier Williams sur 3 sites

 

La figure 3 représente l’évolution de dates de floraison pour la même espèce (poire Williams) en trois lieux différents s’ étendant de la Touraine au Lot. On remarquera la cohérence des 3 signaux malgré l’éloignement géographique des lieux, ce qui suggère le climat à l’échelle régionale comme cause commune à cette évolution. La tendance à l’avancement significatif des dates de floraison pour les arbres fruitiers sur les vingt dernières années apparaît clairement sur cet exemple, qui apparaît représentatif de l’évolution générale (une étude récente de Chmielewski et al., en 2004 établit pour l’Allemagne des faits très comparables). Il en résulte des conséquences pratiques sur l’augmentation des risques de gel lié à l’avancée de la floraison et des possibilités de baisse de rendement liées à des conditions moins favorables pour la fécondation ou la mise à fruit. Par ailleurs, certaines variétés d’espèces comme l’abricotier ont montré, dans le sud de la France, des symptômes de dérèglement physiologique liés au manque de froid (Liennard 2003).

 


4 : Évolution de la date de floraison de la vigne


5 : Évolution de la date de vendange à Châteauneuf-du-pape


6 : Évolution de l’indice de Huglin pour la vigne


7 : Adaptation des cépages
 

La vigne et l'adaptation des cépages

La figure 4 représente l’évolution depuis 1970 de la date du Chasselas en trois régions différentes du sud de la France : là encore une nette cohérence entre les trois courbes. La figure 5 retrace quant à elle l’évolution de la date des vendanges à Châteauneuf du Pape de 1945 à 2003 et montre une avancée progressive de cette date d’environ un mois au cours des dernières décennies.

Dans le cas de la vigne, l’indice héliothermique de Huglin (1978) est classiquement utilisé pour caractériser l’adaptation des cépages à un climat local donné. Son évolution sur les dernières décennies est présenté sur la figure 6 à Avignon et à Dijon depuis le milieu des années 60. Une nette évolution dans les deux régions apparaît depuis environ 1985 qui fait passer chacune de ces régions à un type de climat plus chaud : passage de ‘tempéré chaud’ à ‘ chaud’, avec une variabilité interannuelle plus faible dans la région d’Avignon et de “frais à tempéré” dans celle de Dijon. Sur la figure 7 est portée l’adaptation des différents cépages au type de climat (caractérisé par l’indice de Huglin), pour la région d’Avignon. L’évolution de cet indice entraîne que des cépages tels que Grenache ou Syrah, bien adaptés localement avant 85 sont maintenant en limite de leur zone potentielle d’après les critères d’Huglin.

L'été 2003

Bien qu’il soit encore trop tôt pour en tirer toutes les conséquences, l’épisode de l’été 2003 va compléter significativement les enseignements du passé récent. Moins dans le domaine de la phénologie, où l’hiver assez froid ne s’est pas traduit par une floraison particulièrement précoce, mais dès la fin du printemps, avec la conjonction de la canicule et de la sécheresse. Celle-ci a conduit à des gammes de variation des facteurs climatiques très larges, approchant par certains aspects les scénarios climatiques du futur.

Modalités d’adaptation pour le futur ?

Le passé récent fait apparaître des évolutions notables de certaines productions agricoles. Leur analyse va permettre de quantifier les conséquences, phase nécessaire pour élaborer et caler les modèles qui permettront d’évaluer les effets des scénarios de réchauffement ainsi que les modalités d’adaptation à envisager pour l’agriculture en France. Dans cette optique, les particularités de l’été 2003 doivent faire l’objet d’une étude approfondie, en lien avec les sorties des modèles de culture, qui permettra de tester des conditions voisines de celles des scénarios du futur.

Cet article est tiré de la présentation «Le passé climatique récent en France et ses implications pour la modélisation des impacts du changement climatique sur la production agricole», avec pour auteurs B. Seguin, M. Domergue, I. Garcia de Cortazari, N. Brisson et D. Ripoche lors de l’atelier de modélisation de l’atmosphère - Météo-France CNRM, Toulouse, 3-5 décembre 2003.

     

Contact : Bernard Seguin
INRA
site Agroparc, domaine Saint-Paul
84914 Avignon Cedex 9

     


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