Extrait de la Lettre
n°9 du Programme International Géosphère Biosphère-Programme
Mondial de Recherches sur le Climat (PIGB-PMRC)

1- Résultat de modélisation : variation de la température
annuelle de surface de l'air (à 2 mètres d'altitude) simulée
respectivement par les modèles couplés de l'IPSL et du CNRM/CERFACS
(d'après Barthelet et al, 1998).

2a- Résultats de modélisation : variations globales
de la température de surface (abcisse) et de la précipitation
(ordonnée), pour un ensemble de modèles récents,
dans les conditions d'un doublement du CO2.

2b- Résultats de modélisation: répartition en latitude
du changement de la précipitation (porté en ordonnée
en pourcentage) pour les mêmes expériences.

3- Résultat de modélisation : variation de la température
de surface
(Le Treut et al, 1998).
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Les modèles montrent sans ambiguïté quil existe
un risque dévolution du climat au cours du siècle
prochain sous leffet de laugmentation des gaz à effet
de serre. Une prédiction quantitative et régionale de ces
effets reste cependant actuellement hors datteinte et réclame
un effort spécifique de validation des modèles destiné
à mieux cerner limportance relative des processus en jeu.
Les
modèles couplés au niveau national
Les années récentes ont vu réaliser en France les
premiers scénarios d'évolution du climat futur utilisant
deux modèles couplés océan/atmosphère :
- celui de l'IPSL, couplant
les modèles atmosphérique du LMD et océanique du
LODYC;
- celui du CNRM/CERFACS couplant le même modèle océanique
au modèle Arpège de Météo-France.
Ces premiers scénarios ont
considéré une augmentation annuelle de 1% du CO2.
Côté IPSL ces expériences ont été poursuivies jusqu'au quadruplement de
la concentration en CO2, et complétées par des expériences
où le CO2 est stabilisé à une valeur double ou quadruple
de sa valeur initiale. Côté CNRM une expérience de réponse à un doublement
instantané du CO2 a été réalisée.
Résultat des simulations
Ces expériences constituent un succès technique: il s'agit
de simulations longues et stables du climatique pour lesquelles aucun
recours à des techniques de correction artificielle des modèles
n'a été nécessaire. Le taux de réchauffement
de plus de deux degrés par siècle se situe dans la fourchette
des modèles disponibles au niveau international (fourchette qui
va de 1,5°C par siècle à plus de 3 degrés).
Les grands traits de la variation annuelle de température en surface
sont donnés en figure 1. On peut noter un certain nombre de convergences
entre les deux modèles: le réchauffement est plus intense
aux hautes latitudes, ou sur les continents et d'autres diagnostiques
montrent qu'il est aussi plus intense en hiver. Le réchauffement
est fortement atténué dans les zones de formation d'eau
profonde - où un léger refroidissement peut même apparaître.
Enfin les précipitations varient selon un mode qualitativement
bien compris: tendance à une augmentation dans les zones de convergence
équatoriale et aux moyennes latitudes, tendance à une stabilité
ou une légère diminution dans les régions subtropicales.
Cependant les modèles divergent si l'on veut les appliquer à
la description des variations climatiques régionales. La figure
1 montre que la structure du réchauffement simulée reste
très différente sur des régions clef comme le Pacifique
ou l'Europe.
Ceci peut apparaître contradictoire: dans la période récente
la multiplicité des modèles indépendants, qui tous
indiquent un réchauffement important du système climatique
en réponse à une augmentation anthropique de l'effet de
serre, a renforcé considérablement l'unanimité des
scientifiques face à l'importance de ce problème. En même
temps peu de progrès ont été accomplis dans deux
directions critiques pour la gestion du risque climatique, à savoir
la quantification de l'amplitude des changements à venir, et la
détermination de leur caractéristiques régionales.
La figure 2 montre les résultats d'un ensemble récent de simulations en
réponse à un doublement du CO2 atmosphérique: en
dépit de la sophistication croissante des modèles (qui par exemple incluent
tous un schéma de nuages relativement développé) la dispersion des résultats
n'a pas diminué dans les dernières années. Et il est donc légitime de
se demander jusqu'à quel niveau de "détail" l'évolution future
du système climatique est réellement prévisible.
Impact de l'effet de serre
Le problème posé correspond en fait à la superposition
de plusieurs problèmes scientifiques difficiles. L'augmentation
anthropique de l'effet de serre a pour premier effet de modifier la stratification
de l'atmosphère. Or l'équilibre thermique de l'atmosphère
résulte d'une compensation très fine entre des processus
non-linéaires : convection nuageuse, absorption du rayonnement
solaire, émission infrarouge, turbulence de couche limite, ondes
gravité, qui sont eux mêmes modulés par des effets
de très petite échelle, tels la microphysique des nuages.
Les débats des dernières années, autour du "thermostat"
de Ramanathan et Collins, ou du "radiateur" de Pierrehumbert,
ont montré à quel point la sensibilité de cet équilibre
à une petite perturbation radiative reste encore mal comprise.
Le réchauffement troposphérique associé à
l'augmentation de l'effet de serre peut donc être modulé
de manière très différente selon les latitudes et
la réduction du gradient de température Pôle-Equateur
qui lui est associée peut varier de modèle à modèle.
Déterminer les modifications des régimes dynamiques de l'atmosphère
qui peuvent résulter de ces modifications constitue à son
tour un problème bien compris qualitativement (on sait qu'une diminution
des gradients de température méridiens ralentit la circulation
atmosphériques) mais qui est d'autant plus difficile à quantifier
que l'écoulement atmosphérique, aux moyennes latitudes en
particulier, est largement instable et chaotique.
Nature du forçage anthropique
En amont de toute cela subsiste une incertitude sur la nature même
du forçage anthropique, qui combine réchauffement global
par l'effet de serre et refroidissement plus local par les aérosols
: sur l'Europe en particulier cet effet peut conduire à une modulation
non négligeable des gradients océan/continents, et donc
des circulations locales.
Problème sans issue?
Certains indices montrent cependant que le problème n'est peut-être pas
sans issue. Tout d'abord, s'il y a divergence entre les résultats des
différents modèles, on peut noter au contraire que pour un modèle donné,
la réponse à une perturbation radiative apparaît bien caractérisée. C'est
ce qu'ont montré (par exemple au LMD, voir figure 3, pages couleur) des
expériences de sensibilité à des forçages aussi différents que ceux des
aérosols ou des gaz à effet de serre. La distribution du réchauffement
par le CO2 ou du refroidissement par les aérosols
est très semblable, ce qui signifie que la réponse des modèles ne dépend
pas du détail des forçages. Elle est par contre conditionnée par un ensemble
de processus de rétroaction identifiables, pour lesquels on peut rechercher
des méthodes de vérification.
Vérification des modèles
Et c'est sans doute précisément à ce niveau du diagnostic
de la qualité des modèles que la communauté scientifique
a pris le plus de retard. L'approche commune a été de vérifier
les modèles dans leur capacité à simuler le climat
moyen de la planète - où certains modes de fluctuations
climatiques importants tels que le cycle annuel ou les variations interannuelles.
Or le problème de l'effet de serre anthropique est très
particulier : il s'agit d'un problème de perturbation relativement
faible de l'équilibre radiatif de la planète, et la simulation
correcte d'un équilibre n'est en rien une garantie quant à
la capacité de simuler sa stabilité ou son instabilité.
Des méthodes plus précises sont nécessaires pour
distinguer les "bons" et les "mauvais" modèles.
Des possibilités d'utilisation plus approfondies des observations
disponibles existent déjà. Une séparation simple
des effets dynamiques et physiques dans les variations saisonnières
des nuages, par exemple, (Bony et al, 1997) fournit pour les modèles
un mode de vérification extrêmement contraignant. Un exercice
de comparaison récent entre les modèles du LMD, du UKMO
et de l'ECMWF a permis de trouver dans les trois modèles des erreurs
systématiques qui affectent leur sensibilité à une
perturbation radiative, et étaient restées non diagnostiquées.
Cet exemple des nuages montre que pour augmenter le caractère réaliste
des modèles, il ne suffit par daccroître la complexité
des modèles par l'accumulation de paramétrisations toujours
plus sophistiquées. Il faut aussi essayer de diagnostiquer comment
ces paramétrisations coopèrent en identifiant des "modes
de variabilité élémentaires" du système
climatique qui peuvent servir de test des modèles.
Le problème de l'effet de serre induit ainsi un certain nombre
d'études bien spécifiques, qui correspondent à la
superposition des problèmes notée plus haut, et qui sont
nécessaires si l'on veut porter un jugement sur la capacité
des modèles à effectuer des prévisions au niveau
régional. En pensant au cas des climats européens on peut
par exemple se poser les questions suivantes :
- Comment les modifications
des gradients méridiens de température affectent-elles
les régimes de temps sur l'Europe - et en particulier l'indice
de l'Oscillation Nord Atlantique qui décrit le mode principal
de cette circulation
- Comment une perturbation de cet indice affecte-t-il le climat sur
l'Europe continentale et la zone méditerranéenne, en particulier
en terme de précipitations, et les modèles reproduisent-ils
ces corrélations?
- Comment une modification des contrastes océan/continent par
le refroidissement des aérosols peut-il affecter les circulations
Nord-Sud sur l'Europe et l'hydrologie du bassin méditerranéen,
et les modèles sont-ils convergeants sur ce point?
- Quel peut être le rôle spécifique de la fonte des
glaces Arctiques? Ou du changement anthropiques des conditions de surface?
Progresser dans la réponse
à ces questions, en utilisant à la fois données observées
et modèles, est nécessaire si l'on veut déterminer
sur une base physique l'incertitude qui affecte la dimension régionale
des scénarios climatiques (dont notre seule mesure actuelle est
la dispersion des modèles). C'est aussi une manière de contrôler
cette fuite en avant vers le "toujours plus détaillé"
que craignait Jean-François Minster dans un article récent,
car c'est par rapport à ce type de questions que le niveau de détail
des modèles doit être argumenté.
En résumé l'étude régionale des impacts climatiques
implique un effort de recherche fondamentale qu'il faudra veiller à
ne pas négliger en voulant privilégier trop vite une application
des modèles à des situations qu'ils maîtrisent mal.
Contact :
Hervé Le Treut
Laboratoire de Météorologie Dynamique,
Université Paris 6, Case 99, 4 place Jussieu,
75252 Paris Cedex 05
letreut@lmd.jussieu.fr
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