Dossier : Climat  
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Evénements climatiques abrupts


Extrait du document édité par le CNRS/INSU : "Paléoclimatologie, paléoenvironnement" (Colloque de Garchy, 17-18 décembre 1998).
80 pages, mai 2000

 

Figure 1

 

 

 

 

 

 


2 - Données géochimiques, paléobiologiques et magnétiques de la carotte MD952042 prélevée au large du Portugal (37°48N; 10°W). Thèse O. Cayre (a, f), D. Pailler (b, c), E. Moreno (d, e).

 

 


Introduction
L’histoire du climat est, aussi bien en période glaciaire qu’interglaciaire, ponctuée d’événements abrupts, survenant à l’échelle de la vie humaine, et souvent beaucoup plus amples que les variations climatiques du dernier millénaire. L’impact de tels événements sur les sociétés peut être considérable, de façon positive ou négative. Le réchauffement post-glaciaire en région tempérée, et l’augmentation synchrone des précipitations de 20-30% en zones tropicales, permettent l’épanouissement des sociétés néolitiques dans des régions inhabitables quelques siècles auparavant. Un “coup de sec” de quelques siècles surprend les populations sahariennes vers 8200 ans, lorsqu’un “coup de froid” est recensé au Groenland. Les populations du Fezzan en Libye migrent vers les montagnes voisines, et s’adaptent : elles “inventent” l’élevage et de nouvelles industries lithiques adaptées à leur nouvelle situation. Voici 4200 ans BP, s’effondrent simultanément l’Empire Akkadien, les cités urbaines de l’Indus, et le gouvernement centralisé de l’Ancienne Egypte. Ces faits coïncident avec un bref épisode d’extrême aridité dans le domaine de la mousson indienne et africaine, en Méditerranée orientale et en Mésopotamie, du lac de Van au Golfe d’Oman, alors qu’au contraire le niveau des lacs des hauts plateaux d’Amérique du Sud s’élève brutalement. Chacun a en mémoire le désastre socio-économique engendré par la sécheresse au Sahel des années 70-80, mais une telle sécheresse n’a rien d’exceptionnel. Une aridité beaucoup plus prononcée a sévi entre 1200 et 1000 ans BP au Sahel, et de façon synchrone au Mexique où elle est la cause la plus probable de l’éclipse de la civilisation Maya “classique”. Ces coïncidences ne sont certainement pas dues au hasard. Les “caprices” du climat contrôlent la variabilité naturelle des ressources en eau et en nourriture. Ainsi, génèrent-ils des famines, des migrations, des adaptations socio-culturelles, l’explosion ou la décadence de civilisations.

Dans le cadre de l'évolution future du climat, de nombreux modèles couplés du système océan-atmosphère font aussi apparaître des oscillations abruptes, liées à la réponse non linéaire de la circulation thermohaline et des flux de chaleur associés, lors des changements de température et de salinité des eaux de surface de l'Atlantique nord et des mers Arctiques. Les civilisations modernes ne sont guère mieux armées que les anciennes pour faire face à ce type de changement. On ne sait pas grand chose des mécanismes des changements climatiques. On en sait encore moins de la réponse de l'environnement.

L’étude de la variabilité rapide des climats anciens, sur de longues périodes de temps, avec des conditions de forcage différentes, est cruciale pour explorer les différents mécanismes, les relations de cause à effet et les dynamiques de réponse des différentes composantes du climat et de l'environnement global physique, chimique et biologique.

État des connaissances
Ce n'est que récemment que l'on a compris l'importance de la découverte, dans les enregistrements paléoclimatiques, d'une variabilité rapide et de forte amplitude des paramètres du climat. On connaissait certes de tels changements abrupts dans les glaces, ou dans les variations de niveaux des lacs tropicaux, mais ceux ci apparaissaient pour beaucoup comme une réponse locale, associée à des changements de régime météorologique plus qu'à des changements fondamentaux du système climatique. De même, les rares enregistrements continentaux qui couvraient de longues périodes (comme la série pollinique de la Grande Pile sous nos latitudes), ne permettaient pas de contraindre les facteurs fondamentaux de l'évolution climatique. Seule la période de la déglaciation apparaissait vraiment comme une évolution catastrophique, mais tellement éloignée des conditions climatiques normales, qu'il s'agissait là surtout d'une curiosité scientifique à la mode.

La perception que les instabilités forment une des composantes fondamentales de l'évolution climatique s'est imposée très récemment aux spécialistes, grâce à des découvertes simultanées dans les enregistrements marins et glaciaires : voici 5 ans, on a pu montrer à cette époque que les sédiments marins du nord de l'Océan Atlantique contiennent une succession de niveaux riches en éléments détritiques, correspondant à des invasions massives d'icebergs tous les 5000 à 10 000 ans (les événements de Heinrich), qui résultent de débâcles catastrophiques des grandes calottes glaciaires continentales. En même temps les glaciologues confirmaient par les premiers résultats des forages GRIP et GISP la permanence des oscillations rapides de la température de l'air au dessus du Groenland. Depuis, ces oscillations ont été retrouvées dans les enregistrements marins (changements de la température de surface) tant en haute qu'en basse latitude. Elles se poursuivent, tous les 1000 à 2000 ans, jusqu'à l'époque actuelle, la plus récente correspondant au petit âge glaciaire. Les études des dernières années ont montré que ces instabilités climatiques sont associées, en Atlantique nord-est, à des déplacements de grande amplitude des fronts polaires et sub-polaires. Ceux ci mettent en cause des interactions complexes entre la circulation thermohaline, les vents, le transfert méridien de chaleur et de sel, la convection océanique profonde à haute latitude, l'évolution de l'albédo continentale et marine (glace de mer et neige), l'étendue des calottes de glace et la dynamique interne de ces calottes.

Sous les tropiques, les changements abrupts se manifestent par des changements de température, mais surtout par des changements hydrologiques souvent d’ampleur considérable. Ainsi, à l’Holocène, l’abaissement abrupt des niveaux lacustres en Asie et en Afrique nord-tropicale traduit un affaiblissement de la mousson ne sévissant que quelques siècles, mais drastique. Si certaines de ces phases sèches peuvent être corrélées à de brèves phases froides aux hautes latitudes, comme le fameux événement à 8 k recensé dans GRIP, les mécanismes n’en restent pas moins incompris. La vapeur d’eau atmosphérique exerçant un puissant effet de serre, les altérations de la dynamique de l’atmosphère tropicale ne peuvent être sans écho sur le climat global. D’autre part, les zones humides tropicales sont les premiers producteurs de méthane. Les pulsations humides recensées sous les tropiques des deux hémisphères lors de la dernière déglaciation, synchrones des phases de réchauffement observées dans les glaces polaires, coïncident remarquablement avec les montées abruptes de la concentration atmosphérique en méthane. Ceci suggère que la mise en eau des bas-fonds tropicaux suite à une période aride influe significativement, par une rétroaction positive, sur le réchauffement global.

Ces changements rapides ont des contre-parties jusqu'en Antarctique avec des variations moins marquées que dans l'Atlantique Nord, qui pour au moins deux événements précèdent les changements observés au Groenland à la même époque.

Les rôles des basses latitudes, les interactions entre basses et hautes latitudes, et les relations inter-hémisphériques à travers le système couplé océan-atmosphère ne sont pas compris. Les réponses de la biosphère et de l'environnement continental à ces multiples oscillations climatiques sont à peine explorées. On est là au centre d'un ensemble de questions importantes vis-à-vis de l'évolution future du climat.

Or par l'étude détaillée des alternances rapides chauds-froids (et/ou humides-secs sur les continents) observées dans les séries paléoclimatiques, nous disposons d'une source unique d'information pour identifier les composantes fondamentales de ces changements. En effet, on retrouve ces oscillations tant aux hautes qu'aux basses latitudes, dans les océans et sur les continents, dans les deux hémisphères, en période glaciaire et interglaciaire, dans les différentes configurations du forçage astronomique de l'insolation, en minimum ou maximum de teneur de l'atmosphère en gaz à effet de serre. Les périodicités, les amplitudes, les caractéristiques spatiales changent, mais les oscillations restent. Nous disposons donc là d'un champ unique d'expériences, pour développer une modélisation prédictive des changements climatiques et de leur influence sur l'environnement continental et sur la biosphère.


Contacts :
L. Labeyrie
Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement
F. Gasse
Centre européen de recherche et d'enseignement de géosciences de l'environnement



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