Extrait du document édité par le CNRS/INSU : "Paléoclimatologie,
paléoenvironnement" (Colloque de Garchy, 17-18 décembre
1998).
80 pages, mai 2000
1 -
Effet climatique de la distribution continentale mis en évidence
par deux simulations climatiques à l'Actuel (haut) et au Permien
supérieur il y a 255 Ma (bas) (Fluteau 1999). Cette représentation
du climat utilise une classification dite de Walter basée sur des
critères de degré-jour de croissance (eq. température)
et les précipitations. Le climat est donc calculé à
partir des paramètres mensuels de température et de précipitation
simulés par le modèle.
2
- Actions de la tectonique de surrection sur le cycle du carbone.
3
- Cycle de rŽtroaction du climat sur la tectonique. En localisant les
prŽcipitations par effet orographique, la surrection peut s'entretenir
par effet de rebond isostatique liŽ ˆ l'Žrosion.
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Introduction
Connaître lévolution
du climat à léchelle géologique reste un défi
majeur des sciences de la Terre. Grâce aux mesures isotopiques,
lhistoire du dernier million dannées est relativement
bien documentée; parallèlement la théorie de Milankovitch
a donné un cadre conceptuel qui a pu être testé à
laide dune hiérarchie de modèles numériques
du climat. On peut donc considérer que le climat du Quaternaire
a été rythmé par des cycles glaciaires-interglaciaires
initiés par les changements dinsolation liés aux variations
lentes des paramètres orbitaux.
Dès que lon veut étendre notre connaissance des mécanismes
qui régissent les changements climatiques à des échelles
de temps plus longues, supérieures au million dannées,
il faut intégrer une composante essentielle de la redistribution
de lénergie par locéan et latmosphère
sur la planète : la dérive des continents et ses effets
sur le niveau des océans, laltitude des continents, les courants
océaniques et le taux de gaz carbonique. Ainsi, des changements
climatiques massifs sont bien corrélés pour certaines périodes
géologiques avec ces phénomènes tectoniques. La compréhension
quantitative par modélisation permet déclairer les
relations entre climat et tectonique par un choix judicieux des questions
scientifiques et par une approche pluridisciplinaire. Cette approche reste
performante même si lon se heurte à une moins bonne
connaissance des circulations océaniques ou du taux de gaz carbonique
dans latmosphère que pour les derniers cycles glaciaires-interglaciaires.
Un autre aspect à mieux comprendre et à modéliser
est la relation tectonique-climat via le cycle du carbone. Ces relations
ont été développées par Chamberlin (1899)
dans un schéma de causalité: activité tectonique
engendre érosion puis altération, consommation de CO2
et refroidissement global (Fig. 2). Cette relation a été
testée sur l'érosion himalayenne au Néogène
par des mesures de terrain et par la modélisation des cycles géochimiques.
Enfin les rétroactions du climat sur la tectonique à travers
l'effet de l'érosion (Fig. 3) sont un aspect important qui permettra
de comprendre la distribution géographique du relief et ses effets
climatiques.
Le
forçage tectonique
Une condition nécessaire avant dentreprendre
létude des climats à léchelle géologique
est de disposer de reconstructions globales ou régionales de la
paléogéographie au cours des temps. Ce sont ces reconstructions
qui seront prescrites au modèle de circulation générale
atmosphérique pour calculer le climat correspondant à différentes
périodes géologiques. Jusquà très récemment,
toutes les recherches dans ce domaine aux USA (Crowley, Kutzbach, Ruddiman,
Barron, Otto-Bleisner) et en Angleterre (Valdes Selwood) se basaient sur
des compilations de Scotese et Ziegler. Ces reconstructions présentent
le désavantage dêtre des solutions moyennes entre diverses
possibilités, qui lissent souvent les vrais problèmes
scientifiques. En France, une large communauté scientifique dans
toutes les disciplines des sciences de la Terre (Tectonique, Paléontologie,
Stratigraphie, Paléomagnétisme, modélisation des
processus dérosion etc..) nous permet de proposer des reconstructions
dexcellente qualité. Citons par exemple le programme Téthys,
ou les travaux basés sur le paléomagnétisme. Actuellement,
les données conjointes de la géologie et du paléomagnétisme
permettent de reconstruire lévolution temporelle de la paléogéographie
terrestre depuis 600 Ma. Une animation depuis 250 Ma réalisée
par J. Besse a partiellement illustré ces travaux à Garchy.
De plus les stratigraphes et paléontologues de la communauté
française disposent des données permettant de vérifier
les sorties obtenues par les modèles climatiques. Cette phase de
validation est une étape essentielle de la démarche de modélisation.
Toutes ces informations permettent de modéliser le climat sur la
base de reconstructions paléogéographiques précises
et de qualité internationale intégrant à la fois
la distribution continent/océan, lorographie et létendue
des mers épicontinentales.
La
simulation numérique du climat
Depuis une dizaine dannées, grâce aux
travaux pionniers de Sylvie Joussaume, la modélisation des climats
du passé se développe en France. Cela a constitué
un des axes fondateurs de la création du LMCE (Laboratoire de Modélisation
du Climat et de lEnvironnement au CEA en 1992, puis du Laboratoire
des Sciences du Climat et de lEnvironnement UMR CEA CNRS (1998)).
Au sein du LSCE, léquipe de modélisation du climat
a maintenant une expertise importante dans le domaine de létude
des changements climatiques des derniers cycles glaciaires-interglaciaires
en particulier grâce au programme international Paleoclimate Modeling
Intercomparison Project (PMIP). Depuis 1994 une collaboration avec lIPG,
dans le cadre dune thèse commune, a permis détendre
le champ dinvestigation à des périodes géologiques
anciennes. Loutil de modélisation est le modèle de
circulation générale de latmosphère du Laboratoire
de Météorologie Dynamique (LMD) couplé ou non à
une couche de mélange océanique. Les approches développées
sont de 2 types :
- une approche réaliste
où lon cherche par une prescription des conditions aux
limites aussi précises que possible à restituer le climat
dune période géologique donnée afin de pouvoir
comparer les résultats de la simulation à différents
types d'indicateurs des paléo-environnements (sédimentologique,
géologique, pollinique, paléontologique...).
- une approche de sensibilité
où lon teste limpact de différentes conditions
paléogéographiques prises séparément, le
but étant de tester des mécanismes. Par exemple, des simulations
de la mousson asiatique avec ou sans plateau du Tibet ont permis de
mettre en évidence le rôle déterminant de la distribution
de la mer épicontinentale Paratéthys sur l'intensité
de la mousson asiatique (Thèse F. Fluteau).
Le fait que léquipe
de modélisation soit également impliquée dans lélaboration
des couplages atmosphère-océan et atmosphère-biosphère
garantit un suivi de lévolution des outils de modélisation.
Cette modélisation nécessite lutilisation des moyens
de calcul centralisés du CEA et du CNRS (IDRIS), et sappuyait
sur des projets reconnus par les programmes DYTEC, DBT puis DTT avant
leur disparition respectives.
Validation
Une partie importante de leffort de recherche est évidemment
le processus de validation des simulations numériques. La comparaison
entre dune part les températures (cycle saisonnier, température
annuelle) et les changements du cycle hydrologique (précipitation,
érosion) simulés par les modèles et dautre
part les diverses sources permettant de reconstruire les climats passés
(paléontologie, botanique sédimentologie...) est ici fondamentale.
Lapport de différents indicateurs permet dobtenir une
vision pertinente de la cohérence entre résultats des simulations
et mesures sur le terrain.
Une approche de validation à diverses échelles de temps
a été entreprise sur l'exemple du système Himalaya-Tibet
regroupant un ensemble d'approches multidisciplinaires pour comprendre
les relations à long terme entre tectonique, climat, érosion
et cycle du carbone (IPGP, LDG, CRPG). Ces travaux ont été
menés essentiellement dans le cadre des programmes DBT Fleuves
et Erosion puis PROSE. Ils passent par l'analyse de l'enregistrement sédimentaire
syntectonique qui permet de déduire les variations climatiques
(mousson), l'évolution topographique et les variations du régime
d'érosion et d'altération qui conditionnent la consommation
de CO2 atmosphérique. Tous ces processus sont interdépendants
ce qui rend les interprétations délicates voire paradoxales.
Une étude parallèle des processus de contrôle de l'érosion
actuelle est donc la base de toute interprétation dans ce domaine.
Les grandes lignes de l'évolution topographique ont pu être
déduites à partir de bilan d'accumulation dans les bassins
syntectoniques tels que le cône du Bengale ou l'ensemble des bassins
océaniques et continentaux péri-tibétains. Les principales
variations du régime d'érosion observées restent
délicates à relier aux variations climatiques ou environnementales
connues ou modélisées. Par contre l'action de l'érosion
himalayenne sur le cycle du carbone est mieux comprise. Elle apparaît
modeste par l'altération des silicates et importante par l'enfouissement
de carbone organique dans le réservoir sédimentaire.
Une approche plus globale des mécanismes d'érosion est menée
par la lecture et l'interprétation des variations des compositions
isotopiques (C, Sr, Os ...) de l'océan. Ces variations océaniques
enregistrées dans les sédiments sont partiellement des fonctions
des processus d'érosion continentale et permettent dans certains
cas de tracer des phases majeures d'activité continentale (surrection,
érosion, altération
) . Ainsi l'augmentation remarquable
des compositions isotopiques de Sr océanique depuis 40 Ma est-elle
attribuée à une augmentation de l'activité orogénique
et a été utilisée pour démontrer l'hypothèse
de Chamberlin sur le refroidissement global au Néogène.
L'examen des systèmes sédimentaires et des rivières
péri-himalayennes actuelles a démontré que l'érosion
de l'Himalaya explique à elle seule l'augmentation isotopique de
Sr des océans sans effet déterminant sur le cycle du carbone
par altération des silicates (thèse A. Galy).
Erosion
et climat
Nous avons, jusqu'à présent essentiellement,
discuté limpact tectonique sur le climat, mais il ne faut
pas oublier que le climat à son tour, en particulier par les processus
dérosion, va agir sur la paléogéographie. Dans
cette rétroaction bien illustrée par Molnar (Paradoxe de
la poule et de luf) il y a également un important travail
de recherche en France pour mieux connaître et quantifier lévolution
des chaînes de montagnes en particulier au travers des processus
dérosion et de transport.
L'étude des systèmes d'érosion actuels ou récents
sous diverses conditions climatiques et l'étude des séries
sédimentaires continentales associées ont permis de progresser
dans la compréhension des mécanismes élémentaires
de relation entre climat, tectonique et érosion et de leurs rétroactions.
Dans ce cadre, des outils ont été développés
en France à travers l'étude des grands bassins versants
de rivière pour reconstituer les flux d'érosion. Ces approches
sont à la fois géochimiques et géomorphologiques.
Les mesures des isotopes cosmogéniques, en particulier 10Be
in situ, constituent des outils précieux pour retracer l'histoire
des changements d'érosion au cours du temps.
Les
changements climatiques à léchelle géologique
non directement forcés par la tectonique
Il importe de noter également qu'un certain nombre
de travaux et de projets financés auparavant par DTT concerne des
changements climatiques sur des échelles de temps dépassant
le dernier cycle glaciaire interglaciaire, mais n'ayant pas un rapport
direct avec la tectonique. C'est le cas par exemple des travaux de Foucault
présentées à Garchy, mais également des projets
de documentation et de modélisation de l'effet Dole autour du stade
isotopique 6 (projets Masson-Mélières), ou du projet sur
l'évaluation des quantités de SO2 et CO2
résultant d'un impact de météorite et leur implication
climatique (projet Agrinier).
Contacts :
G. Ramstein
LSCE - Gif-sur-Yvette
Ch. France-Lanord
Centre de Recherches Pétrographiques et Géochimiques -Nancy
J. Besse
Géomagnétisme, paléomagnétisme, géodynamique
- IPGP
J.-Ph. Avouac
LDG/CEA Bruyères le Chatel - ENS Paris
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