Extrait de la Lettre
n°5 du Programme International Géosphère Biosphère-Programme
Mondial de Recherches sur le Climat (PIGB-PMRC)

1- Les variations glaciaires/interglaciaires du climat, du méthane et
du dioxide de carbone, enregistrées par les glaces à Vostok, en Antarctique.

2-Le méthane et le dioxide de carbone durant les derniers 40 000 ans,
enregistrés par les glaces.

3 - Le
méthane et le dioxide de carbone durant le dernier millénaire, enregistrés
par les glaces.
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Grâce à l'analyse de l'air piégé dans les glaces, la composition gazeuse
de l'atmosphère est connue depuis plusieurs centaines de milliers d'années.
Jusqu'à présent les archives glaciaires restent l'unique moyen d'avoir
accès à cette information en continu. Les glaces polaires ont ainsi apporté
des informations capitales sur lévolution des teneurs passées en
CO2 et CH4, les deux principaux
gaz à effet de serre dont l'augmentation croissante dans l'atmosphère
est liée aux activités humaines.
Les forages
des calottes polaires se font en général dans le cadre
de nombreuses collaborations internationales. En France les laboratoires
impliqués sont :
- le Laboratoire de Glaciologie et Géophysique de l'Environnement
à Grenoble (technique de forages, analyse des gaz, des poussières
et de la composition chimique de la glace),
- le Laboratoire de Modélisation du Climat à Saclay
(mesures isotopiques),
- le Centre de Spectrométrie Nucléaire et de Spectrométrie
de Masse (isotopes cosmogéniques),
Cette recherche menée dans le cadre de l'étude des paléoclimats
fait partie du Programme National d'Etude de la Dynamique du Climat. |
Que
mesure-t-on?
L'analyse des bulles d'air emprisonnées dans la glace permet de
retracer l'histoire du dioxide de carbone et du méthane, sur des
périodes allant de quelques dizaines d'années à plus
de 200 000 ans, incluant ainsi plusieurs cycles climatiques. La neige,
perméable à l'air lors de son dépôt, se tasse
progressivement sous son poids, enfermant ainsi l'air sous forme de bulles
dans la glace. Ces bulles représentent environ 10% du volume des
glaces. Lors de leur fermeture, vers 80 mètres de profondeur, elles
sont définitivement isolées de l'atmosphère. A cette
profondeur elles voisinent avec de la glace déposée il y
a environ 2 500 ans en Antarctique au site de Vostok et 250 ans au
Groenland au site de Summit où l'accumulation est beaucoup plus
grande.
La chronologie des carottes de glaces est faite de façon absolue
sur les derniers 15 000 ans à Summit (Groenland), où
l'accumulation est suffisante, par comptage des couches saisonnières.
Autrement elle est faite généralement par modélisation
de l'écoulement des calottes glaciaires. La température
de la neige au moment du dépôt est enregistrée dans
la carotte par la composition isotopique de la glace, que ce soit 18O
ou le deutérium. Cet enregistrement permet d'identifier les stades
climatiques glaciaires et interglaciaires.
A l'heure actuelle les analyses des carottes polaires permettent de remonter
à plus de 200 000 ans à Vostok (Antarctique) et 100 000
ans à Summit (Groenland).
Comparaison des enregistrements en Antarctique
et au Groenland
Le mélange atmosphérique est rapide et la barrière de l'équateur n'induit
qu'un léger gradient pour le CO2 et le CH4
entre l'hémisphère nord et l'hémisphère sud. A l'époque actuelle ces gradients,
qui sont de l'ordre de 3 à 4 ppmv pour le CO2 et
de 150 ppbv pour le méthane, résultent principalement des activités anthropiques
réparties surtout dans l'hémisphère nord et devaient donc être bien inférieurs
dans le passé. Ainsi les enregistrements de ces gaz atmosphériques, qu'ils
proviennent du Groenland ou d'Antarctique, devraient être très proches.
C'est effectivement le cas pour le CH4 (différence
d'environ 50 ppbv). Pour le CO2 la comparaison des
enregistrements montre des différences pouvant sélever à plus de
20 ppmv entre le Groenland et lAntarctique au cours de la période
préindustrielle. Un tel gradient ne pouvant être atmosphérique, cette
différence est actuellement attribuée au fait que lenregistrement
groenlandais est perturbé par la présence de poussières. Le Groenland
étant plus proche des continents que lAntarctique, le contenu de
ses glaces en espèces carbonées (carbonates, matière organique) est environ
dix fois supérieur à celles de lAntarctique. Les inclusions gazeuses
sont ainsi enrichies en CO2 par suite de la réaction
des carbonates avec lacidité de la glace ou par oxydation de la
matière organique. Par contre en Antarctique, par suite de la faible teneur
en impuretés de la glace, cette contamination est quasiment nulle. Ceci
implique que seules les carottes antarctiques peuvent retracer directement
l'évolution atmosphérique du CO2.
Les oscillations glaciaires-interglaciaires
Les derniers 160 000 ans retracent un cycle climatique glaciaire/interglaciaire
complet. Leur enregistrement au site de Vostok en Antarctique (figure
1) montre quil existe une corrélation remarquable entre la plupart
des paramètres mesurés, dont en particulier les teneurs en CO2
et CH4, et les variations climatiques. Les concentrations
les plus élevées sont ainsi trouvées durant les périodes interglaciaires
(280 ppmv pour le CO2 et 750 ppbv pour le CH4)
et les teneurs les plus basses durant les maxima glaciaires (190 ppmv
et 350 ppbv respectivement).
Le dioxide de carbone
L'oscillation glaciaire/interglaciaire du CO2 est
interprétée comme résultant en premier lieu d'une modification de l'équilibre
entre l'océan et l'atmosphère, résultat vraisemblable d'une réorganisation
de la circulation océanique générale lié à l'évolution du climat. Sans
nier les effets possibles de la biosphère continentale et océanique sur
le cycle du carbone lors d'un changement glaciaire/interglaciaire (voir
"La banque de données
polliniques" ) c'est cependant l'équilibre entre l'atmosphère
et l'océan qui gouverne principalement l'évolution à long terme du CO2.
Ceci est lié au fait que l'océan contient environ 50 fois plus de carbone
que l'atmosphère. Il en résulte qu'une modification de la température
et de la circulation océanique entraîne des flux différents entre atmosphère
et océan.
L'augmentation du CO2 atmosphérique qui a lieu lors
de l'établissement d'un climat chaud (passage glaciaire/interglaciaire)
entraîne un réchauffement par effet de serre. La modélisation permet d'estimer
l'ordre de grandeur de ce réchauffement. Il est estimé à environ 1°C si
le calcul n'inclue pas les diverses rétroactions mises en jeu, et atteint
environ 2°C en incluant ces dernières. Ce réchauffement est à comparer
au réchauffement moyen global d'environ 5°C qui existe entre un glaciaire
et un interglaciaire.
Le méthane
Ce gaz montre les mêmes variations dans les deux calottes polaires
des hémisphères nord et sud (figures 1 et 2) et son enregistrement
permet ainsi d'établir une chronologie relative commune.
Le méthane, indicateur de l'activité biosphérique, oscille entre 300 et
750 ppbv entre les périodes froides et les périodes chaudes. Ses variations
peuvent être rapides, ayant lieu parfois en quelques décennies seulement.
Ainsi l'épisode brutal de refroidissement du Younger Dryas (entre 12 900
BP et 11 600 BP), qui a été enregistré au moins sur l'ensemble de l'hémisphère
nord et qui s'est établi en quelques décennies, a été remarquablement
enregistré par le méthane (figure 2) alors qu'il n'est pas significativement
décelable sur l'augmentation du CO2.
Ces variations naturelles sont attribuées à des changements de l'étendue
des zones marécageuses, en particulier dans la zone intertropicale et,
dans une moindre mesure, à des variations de la capacité oxydante de l'atmosphère.
En terme d'effet de serre, ces variations impliquent un changement de
température d'environ un dixième de degré, soit de l'ordre de 0,4°C
en tenant compte des rétroactions climatiques.
Des variations rapides des teneurs en CO2
et CH4
Un des résultats majeurs obtenu grâce à la résolution
temporelle de la carotte groenlandaise de GRIP, est la mise en évidence
des événements Dansgaard-Oeschger (D/O) qui sont des variations
rapides du climat de forte amplitude (figure 2). Quelle est la représentativité
spatiale de ces fluctuations et ont elles affecté la composition
de latmosphère? L'enregistrement de ces événements
est identique dans les différentes carottes du Groenland, ce qui
indique que ces événements reflètent des changements
climatiques au moins à l'échelle du Groenland.
En ce qui concerne le dioxide de carbone, l'enregistrement au Groenland
semble perturbé pour les mêmes raisons que celles évoquées plus haut.
Les fluctuations en CO2 associées aux événements
D/O sont de lordre de 50 ppmv au Groenland. Ces fluctuations, mis
a part certaines beaucoup plus faibles (de lordre de 10 ppmv), n'ont
pas été observées sur le profil CO2 à haute résolution
de la carotte antarctique de Byrd (figure 2).
Pour ce qui est du méthane les deux enregistrements, GRIP au Groenland
et Vostok en Antarctique, sont compatibles. Les résultats détaillés obtenus
sur la carotte de GRIP (figure 2) montrent un parallélisme remarquable
entre les fluctuation du climat et les teneurs en CH4
. Ce résultat suggère que les oscillations rapides du climat enregistrées
dans la carotte de GRIP nont pas affecté seulement le Groenland
mais aussi les zones émettrices de méthane que sont les basses latitudes.
Les derniers 10 000 ans
Durant les derniers 10 000 ans (période de l'holocène)
le climat est resté interglaciaire, proche de celui que nous connaissons
actuellement, avec des fluctuations de faibles amplitudes. Cette période
est donc intéressante pour étudier les interactions climat
- cycle des gaz à effet de serre dans les conditions actuelles.
Peu de résultats sur les teneurs en CO2 sont actuellement
disponibles. Cependant les résultats de Neftel et al. (1988) concernant
le début de lholocène suggèrent une oscillation denviron 40
ppmv entre 10 et 5 000 ans B.P., avec un minimum vers 8 000
ans B.P. Ces résultats, qui devront être confirmés et détaillés, concernent
une période marquée par la fin de la désintégration des grandes calottes
de lhémisphère nord et donc de lélévation du niveau marin.
Cette période ne peut donc pas être considérée comme stable vis à vis
du cycle du carbone.
Grâce à la carotte groenlandaise de GRIP (figure 2), nous disposons maintenant
d'un enregistrement complet du méthane durant lHolocène. Bien que
gardant des valeurs élevées, le méthane montre une large oscillation sur
l'ensemble de cette période, avec un minimum d'environ 140 ppbv vers 5 500
ans BP. Cette oscillation est entrecoupée par une oscillation rapide d'environ
100 ppbv vers 8 200 ans BP, qui coïncide avec un refroidissement
très rapide et court. Ces modifications des teneurs du CH4
atmosphérique sont attribuées principalement à des changements dans la
superficie des zones marécageuses sous les tropiques pendant la première
moitié de l'Holocène, puis au développement des tourbières boréales au
cours des derniers 5 000 ans.
Les derniers siècles
Durant le dernier millénaire, et ceci jusqu'aux derniers siècles, les
teneurs de l'atmosphère en CO2 et CH4
restent stables, montrant de plus faibles variations d'environ 10 ppmv
pour le CO2 et 70 ppbv pour le CH4
autour des valeurs caractéristiques du climat interglaciaire. Depuis la
fin du 18ème siècle, une augmentation progressive et continue est enregistrée
(figure 3). Les valeurs ainsi mesurées dans les glaces se raccordent remarquablement
avec les valeurs mesurées in situ dans l'atmosphère depuis 1958 pour le
CO2 et 1978 pour le CH4. Cette
évolution aboutit à l'heure actuelle à une augmentation d'environ 25%
de la teneur en CO2 et environ 150% de la teneur
en méthane. Elle est le résultat de l'activité anthropique particulièrement
développée depuis le début de l'industrialisation. Les archives glaciaires
permettent de replacer cette évolution dans le contexte naturel : depuis
plusieurs centaines de milliers d'années les niveaux naturels de ces gaz
n'ont jamais excédés 280 ppmv (CO2) et 750 ppbv
(CH4); elles atteignent aujourd'hui respectivement
de 360 ppmv et 1700 ppbv.
L'enregistrement de l'évolution de ces deux gaz par les glaces
montre donc une augmentation spectaculaire attribué à l'impact
de l'activité humaine sortant largement des variations naturelles
enregistrées depuis plusieurs centaines de milliers d'années.
Contact :
Jean-Marc Barnola
Laboratoire de Glaciologie et Géophysique de l'Environnement
Université de Grenoble
BP 96 - 38 402 St Martin d'Hères Cedex
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