Dossier : Climat  
    La recherche française sur le climat
  Les thèmes de recherche
  Paléoclimatologie  
   

Notre atmosphère depuis 400 000 ans


Extrait de la Lettre n°10 du Programme International Géosphère Biosphère-Programme Mondial de Recherches sur le Climat (PIGB-PMRC)

 

 

 

 

 

 



1 - Evolution des paramètres climatiques (isotopes de la glace) enregistrés au Groenland, forage de GRIP, et en Antarctique, forages de Byrd et de Vostok (d’après Blunier et al., 1998).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



2 - Evolution des paramètres climatiques enregistrés dans la carotte de Vostok (d’après Petit et al., 1999)

 

 


La progression du forage de Vostok (Antarctique) a permis d’étendre notre connaissance de l’évolution de l’atmosphère à 4 cycles climatiques tandis que la carotte groenlandaise de GRIP a ouvert de nouvelles perspectives en particulier sur l’existence de variations rapides du climat et sur les relations entre les hémisphères nord et sud. Ces archives confirment que les gaz à effet de serre, CO2 et CH4, qui ont oscillé depuis 400 000 ans respectivement entre 200-280 ppmv et 350-700 ppbv, n’avaient jamais atteint leur valeurs actuelles (365 ppmv et 1750 ppbv) , conséquence de l’activité humaine sur le dernier siècle.

Le méthane, outil de la corrélation Nord-Sud
Une des questions centrales dans l’étude des paléoclimats concerne le couplage entre les hémisphères Nord et Sud pour chaque événement climatique du passé. Les enregistrements isotopiques issus des carottes de glace couvrant les derniers 110 000 ans révèlent une variabilité climatique plus ample et plus fréquente au Groenland qu’en Antarctique durant la dernière période glaciaire (figure 1). Afin d’expliquer l’origine de ces signaux, il est nécessaire de placer les enregistrements sur une même échelle de temps, qui permette de déterminer leur relation temporelle.

Le refroidissement antarctique (ACR)
Le méthane ayant un temps de résidence d’une dizaine d’années est bien réparti entre les deux hémisphères même si ses principales sources sont situées dans l’hémisphère nord. Enregistré dans la glace des deux pôles, il offre donc la possibilité de synchroniser les différentes carottes et ainsi d’étudier les relations de phase entre l’Antarctique et le Groenland. Le résultat de cette synchronisation est présenté dans la figure 1. On constate que durant la dernière déglaciation, l’inversion de température (Antarctic Cold Reversal : ACR) qui interrompt pendant 3000 ans le réchauffement antarctique, est en phase avec la période chaude du Bölling/Alleröd au Groenland et non pas en phase avec le refroidissement du Dryas récent comme on le supposait encore récemment (Blunier et al., 1998).

Ces résultats jouent en faveur d'un mécanisme envisagé par certains modélisateurs de la circulation océanique : l'intensification de la formation des eaux profondes dans l'Atlantique nord générant un réchauffement au Groenland implique un déficit thermique dans l'hémisphère sud et un refroidissement de l'Antarctique. La réduction de cette formation au cours du Dryas récent et entre les événements Dansgaard/Oeschger aurait déclenché le phénomène inverse, expliquant ainsi le réchauffement observé en Antarctique au cours de ces périodes.

Les variations rapides du CH4 et du CO2
Concernant les gaz à effet de serre, on constate que les variations brusques du méthane sont en phases avec les changements climatiques rapides groenlandais associés aux événements Dansgaard/Oeschger ou au Younger Dryas, tandis que durant la dernière transition climatique, la variabilité du CO2 apparaît clairement corrélée aux variations de température enregistrées sur le plateau antarctique. Les changements brutaux (en quelques dizaines d'années) de la teneur atmosphérique en CH4, de 100 à 150 ppbv, correspondent à une augmentation des sources de l'ordre de 40 à 50 Mt/an, ce qui représente l'équivalent des émissions annuelles de CH4 depuis l'ensemble des tourbières et marécages boréaux actuels. Durant la glaciation, des fluctuations du CO2 sont faibles, de l’ordre de 20 ppmv seulement. Elles pourraient résulter des épisodes de débâcle d’icebergs (événements de Heinrich) les plus marqués dans l’Atlantique Nord, reflétant potentiellement un renforcement de la pompe biologique océanique durant ces événements.

Les 4 derniers cycles climatiques
Le profil réalisé sur les 3 350 m de la carotte de Vostok couvre maintenant environ 400 000 ans, soit 4 cycles climatiques complets. La reconstruction ( figure 2) des gaz à effet de serre, CO2 et CH4, montre une remarquable corrélation entre les variations de ces gaz et la température antarctique (r2 = .71 et .73 pour le CO2 et le CH4 respectivement). Les valeurs minimales (180 ppmv et 330-350 ppbv) sont obtenues durant les maximums glaciaires tandis que les maximums (jusqu’à environ 300 ppmv et 770 ppbv) le sont en début de périodes interglaciaires, périodes marquées aussi par un pic significatif de température. Les concentrations les plus élevées en CO2 comme en CH4 sont rencontrées durant le stade 9.3, il y a 330 000 ans, période plus chaude que l’holocène. Durant cette période, les teneurs de ces deux gaz (300 ppmv et 770 ppbv) sont plus élevées que le niveau préindustriel (280 ppmv et 750 ppbv) mais restent néanmoins très inférieures aux teneurs actuelles générées par l'activité humaine (360 ppmv et 1700 ppbv).

Les variations glaciaires/interglaciaires
Concernant les relations de phases entre ces gaz et la température antarctique durant les entrées en glaciation, alors que le CH4 décroît en phase avec la température, le CO2 est généralement en retard de plusieurs milliers d’années par rapport à cette température. Par contre, durant chaque terminaison ces deux gaz commencent à augmenter en même temps que la température antarctique, mais alors que l’augmentation de CO2 est régulière, celle du CH4 se produit en deux temps, durant la deuxième partie du réchauffement le CH4 augmentant beaucoup plus rapidement que durant la première. Ce changement de rythme se produit en même temps que le début du changement de la teneur en 18O de l’air contenu dans la glace ainsi qu’à la fin de la diminution des poussières. En extrapolant les résultats obtenus sur la dernière déglaciation, ce changement correspondrait aux épisodes de fonte importante de la calotte Laurentide. Cette interprétation est corroborée par le changement de la teneur en 18O qui dépend en particulier de celle de l’océan et donc de la fusion des calottes polaires. Dans ce cas, le changement de CO2 précéderait largement l’élévation du niveau marin, le gaz carbonique ayant pratiquement atteint son maximum alors que la calotte commence à fondre.

Il semble donc que l’élévation du niveau marin ne soit pas directement la cause de l’augmentation des teneurs en CO2 à la fin des périodes glaciaires. Les similitudes morphologiques entre le CO2 et la température suggèrent une influence majeure des modifications de l’océan sud sur le CO2 atmosphérique. Cette hypothèse est aussi étayée par la bonne corrélation entre le CO2 et le logarithme des poussières, représentatif de leur temps de résidence dans l’atmosphère. Un tel lien pourrait être révélé par l’effet de fertilisation de l’océan des poussières par ajout de fer comme le suggérait Martin en 1990 soit signifier une influence de la circulation profonde sur l’étendue de la glace de mer elle même influençant à la fois la circulation atmosphérique et les échanges de CO2 entre l’océan et l’atmosphère.

Les origines possibles des variations glaciaires /interglaciaires du méthane
L'origine des grandes variations du méthane tient vraisemblablement aux variations de l'étendue des zones marécageuses, principales sources naturelles de méthane (environ 80% des sources en conditions préindustrielles, Chappellaz et al., 1993). En ce sens, le signal méthane reflète l'intensité du cycle hydrologique en milieu continental aux échelles de temps glaciaire-interglaciaire. Le rôle relatif des marécages tropicaux et boréaux demeure encore incertain sur l'ensemble d'un cycle climatique. D'après des mesures comparées des teneurs en CH4 au Groenland et en Antarctique au cours de l'Holocène et de la dernière déglaciation, les zones humides tropicales ont joué un rôle primordial, mais avec une contribution significative des tourbières boréales au début de l'Holocène et à partir de 5000 ans BP (Chappellaz et al., 1997). Une partie (environ 20%) de la variabilité du méthane trouve probablement son origine dans la rétroaction positive du puits principal de CH4, l'oxydation par OH dans la troposphère (Chappellaz et al., 1993b). Cela dit, certains chercheurs ont émis l'hypothèse que des dégazages massifs de méthane piégé dans les sédiments marins et le permafrost sous forme d'hydrates de gaz auraient eu lieu à la fin des déglaciations, permettant ainsi au méthane atmosphérique d'atteindre ou de dépasser ses teneurs actuelles sur des durées de l'ordre de quelques dizaines d'années (Nisbet, 1992). Cette hypothèse a été invalidée pour la dernière déglaciation, en s'appuyant sur des séries de mesures très détaillées à partir des forages groenlandais GISP2 et GRIP; mais l'hypothèse en question demande à être testée encore pour les précédentes déglaciations.

Sur les quatre cycles climatiques présents dans la glace de Vostok, l'analyse préliminaire du méthane révèle encore une variabilité importante en période glaciaire (Petit et al., 1999). En faisant l'hypothèse que le lien serré entre climat groenlandais et teneurs en CH4 a perduré durant plus de 400 000 ans, on dispose alors d'un proxy permettant d'étudier la relation de phase nord-sud sur 4 cycles climatiques, comme cela a pu être fait récemment pour la fin de la dernière glaciation (Blunier et al., 1998). Cela nécessite de disposer d'un enregistrement le plus détaillé possible en CH4, qui est en cours de réalisation.


Contact :
Jean-Marc Barnola
Lab. de Glaciologie et Géophysique de l’Environnement
UPR INSU-CNRS
Université J. Fourier de Grenoble
barnola@glaciog.ujf-grenoble.fr



Le CNRS en ligne - © CNRS Contact : Sagascience@cnrs-dir.fr site CNRS : http://www.cnrs.fr URL aux USA :