Extrait de la Lettre
n°10 du Programme International Géosphère Biosphère-Programme
Mondial de Recherches sur le Climat (PIGB-PMRC)

1 - Lévolution du pergélisol entre glaciaires et interglaciaires.
2
- Extension du pergélisol en France au dernier maximum glaciaire
(20 000 ans BP) Daprès Van Vliet Lanoë & Hallégouët,
1998 - Cartographie ANDRA-CNF-INQUA 1999.

3 - A) coupe dans un profil sur pergélisol, taïga à
épicéas , Mayo, Yukon, Canada .
Photo Chris Burn .
B) vue aérienne d'un réseau de coins de glace limité
aux zones humides (fond de vallée), pergélisol continu,
toundra prostrée Adventdalen Spitzberg ,
Photo Van Vliet Lanoë
C) thermokarst sur pergélisol continu, Tuktuyaktuk, NWT, Canada,
Photo R.Langohr, l'affaissement fait 10m de haut.
D) pingo sur pergélisol continu, Tuktuyaktuk, NWT, Canada,
Photo R.Langohr, les personnages sur la butte (flèche) donnent
l'échelle (40m de haut)
E) palse, pergélisol discontinu, Boniface , Est de la baie d'Hudson,
8m de haut, Photo Van
Vliet Lanoë
F) solifluxion avec végétation de croûte cryptogamique,
Ny Alesund, W.Spitzberg, pergélisol continu.
Photo Van Vliet Lanoë
G) cryoturbations dans des sables éoliens récents (<1917)
Ny Alesund, W.Spitzberg, pergélisol continu.
Photo Van Vliet Lanoë
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Le sol est un milieu géologique dont le faciès est contrôlé
par lenvironnement et par le climat. Au cours des millénaires
ces différents faciès se succèdent tout en évoluant
plus ou moins progressivement. Létude des séquences
pédologiques enregistrées est lun des outils utilisés
pour la reconstitution des conditions climatiques anciennes. Lévolution
du pergélisol (état du sol souvent associé aux périodes
froides) permet, grâce à son impact dans le sol, de suivre
lextension du climat arctique en Europe non-englacée, en
particulier au cours du dernier maximum dextension des calottes
glaciaires.
Le pergélisol
Le pergélisol est la partie du sol situé sous la surface
qui ne dégèle pas pendant au moins 2 années consécutives.
Il enregistre le déficit thermique climatique sur une durée
longue (103 ans) avec une accumulation de glace de ségrégation,
sous forme dun feuilletage de lentilles centimétriques, surtout
dans les premiers 10 m du sol. Il sert de plancher estival aux eaux superficielles.
Son extension actuelle
Le pergélisol actuel sétend à basse altitude
entre 57°N sur les façades orientales de continent et 70°N
sur les façades occidentales (figure 1, droite). Son épaisseur
varie de la vingtaine de mètres dans son extension méridionale
pour atteindre 300m dans les zones déglacées au TardiglaciaireHolocène
et plus de 600m dans les secteurs hypercontinentaux non-englacés
au Quaternaire (Sibérie). Le record est détenu par les Monts
de Verkoyansk, à lEst de la Sibérie avec plus de 1000m
de profondeur.
Le pergélisol actuel des régions
arctiques et des latitudes moyennes
Le pergélisol arctique est vieux, fort probablement miocène
final (7-5 Ma) selon les auteurs russes. Son inertie thermique la
fait résister en profondeur, aussi bien au réchauffement
du Pliocène inférieur quau plus chaud des interglaciaires
du Quaternaire récent. Son extension au cours des temps géologiques
est régie aux hautes latitudes par les mêmes paramètres
que les glaciations, cest-à-dire la massivité des
continents, les paramètres orbitaux (lobliquité, excentricité
et précession) et les baisses eustatiques.
Aux latitudes moyennes, le pergélisol sinstalle généralement
en même temps quun déficit estival de linsolation
contrôlé par la précession sans être obligatoirement
lié aux grandes extensions des inlandsis. Son apparition est un
phénomène récent, rare avant 1 Ma, il apparaît
surtout pendant les stades isotopiques 12, 10, 8 et 3-4.
Lévolution du pergélisol
entre glaciaires et interglaciaires
A léchelle mondiale, lextension du pergélisol
au dernier maximum glaciaire (LGM) atteignait à basse altitude
44°N en moyenne (figure 1, gauche). Lors de lOptimum Holocène,
elle était réduite à 55°N (Nord du Québec)
- 50°N (Bering) à lEst des continents, et à 65°N-70°N
sur les façades occidentales.
Son extension maximale, lors des épisodes les plus froids du Quaternaire
Moyen na pas été beaucoup plus grande que celle du
LGM, ceci en relation avec la configuration des masses continentales pendant
cette partie du Quaternaire.
Lévolution au cours de lHolocène
Consécutivement à la baisse de linsolation estivale
au cours de lHolocène, lextension actuelle du pergélisol
vers le Sud atteint environ un 1/3 de son extension du LGM (figure 1,
centre).
Impact du pergélisol sur le fonctionnement
hydrologique du sous-sol
La présence dun pergélisol au plus froid des glaciations
dans nos régions a, autant que les glaciers, un impact sur le fonctionnement
hydrologique du sous-sol. Les fluides migrent généralement
du sous-sol vers les secteurs les plus froids de cet horizon, cest-à-dire
vers 10-20 m de profondeur, la limite denregistrement des fluctuations
thermiques annuelles. Ceci explique lintérêt, notamment
de lANDRA, pour les reconstitutions de son extension spatiale en
Europe occidentale et surtout pour la modélisation de sa profondeur
de pénétration. La figure obtenue à partir du modèle
Gelsol du LCPC en collaboration avec le CNRS et le BRGM en est un bon
exemple.
La limite inférieure du pergélisol est en équilibre
avec les fluctuations climatiques à long terme (103
ans) du climat et le gradient géothermique local; il sagit
plutôt dune limite thermique théorique en raison de
labsence de modification des roches en carotte, la pression limitant
la cristallisation de glace en profondeur. La néotectonique est
susceptible de perturber cet enregistrement.
Lextension du pergélisol au LGM
La cartographie établie pour le document CLIMEX-France (publication
ANDRA-CNF-INQUA), voir figure 2, est une péréquation :
- des données périglaciaires, françaises et étrangères,
publiées à ce jour,
- des données paléopédologiques et écologiques,
afin dessayer dapprocher au mieux les conditions thermiques
prévalant au milieu du stade isotopique océanique 2 (20
ka BP).
Les données proposées ici sont uniquement basées
sur les analogies avec le pergélisol transgressif actuel dAmérique
du Nord, de la Scandinavie et du Spitzberg. La limite 100-150 m dans des
conditions de pergélisol Holocène en cours dextension
semble avoir une signification bien marquée aussi bien en Amérique
du Nord ou en Sibérie : elle représente de facto
lépaisseur atteinte par le pergélisol continental
en cours dépaississement lorsque celui-ci devient continu
à léchelle du paysage. Cette limite est attribuée
à la seconde phase dépaississement du pergélisol
lors de la dernière glaciation, effective à partir de 28
ka.
Les différentes zones
Les différentes zones cartographiées sont les suivantes,
(figure 3) :
Pergélisol continu épais avec réseaux de coins
de glace (vrais polygones de toundra liés à la contraction
thermique) (voir photos A, B, C, figure 3), surtout en milieu à
sédimentation éolienne fine, les loess. Il occupe 80% de
la surface topographique. La fréquence des réseaux de coins
de glace suggère sa persistance à faible profondeur (80
cm en milieu bien drainé, 50 cm en milieu engorgé), et avec
une strate riche en glace nécessaire pour une efficacité
optimale de la contraction thermique. Cette strate est liée à
un enrichissement en glace du sommet du pergélisol consécutif
à un réchauffement superficiel (regel des eaux de fonte
en profondeur). L'épaisseur de ce pergélisol est probablement
voisine ou supérieure à 100 m par analogie avec les régions
associées avec coins de glace fonctionnels (température
moyenne annuelle de lair >-10°C). Dans ces secteurs également,
le fragipan (trace relique d'un sommet de pergélisol riche en glace,
vers 13500 BP) occupe plus de 80% de la surface topographique. Des grands
sols polygonaux sont souvent limités aux topographies déprimées,
surtout en milieu aride. La présence de ces coins de glace révèlent
des événements très froids mais brefs. En France,
le milieu était trop aride pour mettre la croissance de grandes
buttes de glace massive dinjection (alimentation en eau sous pression),
généralement appelés pingo (voir photo D, figure
3), sauf peut-être en Sologne en raison de la configuration particulière
du drainage.
Pergélisol continu peu épais avec coins de glace
isolés, coins à colmatage terreux ou de graviers en réseau
sur les terrasses des rivières. Les évidences de coins de
glace sont souvent sur des sites exposés au vent (terrasses, crêtes).
Cependant, les traces de glace en lentilles sont moins évidentes
dans les profils. Le saupoudrage éolien est omniprésent
mais mince ou intégré dans les dépôts de pente
ou la cryoturbation (déformation des sols par laccumulation
de lentilles de glace). Dans ces secteurs également, le fragipan
occupe plus de 60% de la surface topographique. Lépaisseur
vraisemblable est comprise entre 50 et 100m et la température moyenne
annuelle de lair est <-7°C. Les coulées de sol fluent
systématiques sur les versants, formant des lobes de solifluxion
(voir photo F, figure 3), En zone de moyenne montagne aride, les glaciers
rocheux sont fréquents comme les Alpes méridionales ou le
SE du Massif Central
Pergélisol discontinu avec coins de sols et de graviers
sur des sites exposés au vent (terrasses, crêtes). Cependant,
les traces de ségrégation de glace en lentilles sont peu
évidentes dans les profils et attestent surtout dun gel saisonnier
profond. Les cryoturbations (voir photo G, figure 3) sont présentes
dans les bas-fonds. Cest normalement le secteur de prédilection
des palses minérales, buttes construites par laccumulation
dans le sol de grandes quantité de glace en lentille (voir photo
E, figure 3), mais peu d'évidences sont préservées,
notamment en raison de laridité. La présence dun
pergélisol discontinu est indirectement décelable grâce
à la répartition de la solifluxion et des sols à
fragipan dans la topographie (exposition E et N), comme dans le cas du
Massif armoricain. Dans les autres secteurs affectés par les fragipan
(SO de la France) leur position chronostratigraphique nest pas toujours
évidente et dautres mécanismes de formation peuvent
également intervenir. Lapparition locale de cryoturbations
dans les formation graveleuses fluées sur pente ou dans les alluvions
filtrantes peut également être interprétée
dans ce sens.
Gel saisonnier profond (maximum 2,50 m) avec coins de sols et de
graviers sur des sites exposés au vent (terrasses, crêtes),
cryoturbations de petite taille dans les sites humides, formations de
pentes fluées au point de devenir pseudo-stratifiées .
Lévolution du pergélisol
lors de la dernière glaciation
Le pergélisol a recouvert en deux étapes une bonne part
du territoire français pendant la dernière glaciation, la
première étant comprise entre 60 et 32 ka, la seconde effective
à partir de 27 ka. Il est resté surtout discontinu le long
de la façade atlantique en raison du volant thermique joué
par locéan Atlantique et des précipitations plus abondantes.
Par contre, la Manche orientale, émergée relativement tôt
a été envahie par un pergélisol continu. En altitude
et sur lessentiel du bassin parisien et du nord de la France, le
pergélisol a été précocement continu et de
ce fait, très épais lors du LMG. Dans le S et le SE de la
France. La présence du pergélisol a permis, malgré
laridité régionale, le maintien dune végétation
arbustive à arborée, à linstar de la Yakoutie
actuelle, suffisante pour le maintien de grandes faunes. Le pergélisol
disparaît définitivement en plaine lors du réchauffement
du Bölling (13 ka), avec la première apparition des forêts
de bouleaux dans le Nord.
Enjeu de létude du pergélisol
et prospective
Létude du pergélisol est un enjeu international, en
raison de la surface affectée par ce phénomène dans
lhémisphère nord en Amérique et surtout en
Sibérie, mais également dans les zones de montagne tempérées
: environ 25 millions de km2, soit de lordre de 25% des
terres émergées rien que pour cet hémisphère
! Cest une zone très sensible en cas de réchauffement
climatique en raison non seulement des quantités de glace stockées
dans le sous-sol, mais également celles de méthane sous
forme dhydrates gazeux ou celles de tourbes susceptibles dêtre
biodégradées en cas de disparition du pergélisol.
Cest également une zone clef dun point de vue biodiversité
en raison de la préservation de souches anciennes de bactéries
dans le pergélisol tertiaire de Sibérie. Un réchauffement
climatique libérerait une surface agricole non-négligeable
pour lhumanité, mais modifierait également de manière
considérable lhydrologie de lhémisphère
nord. Ceci dit, le pergélisol est un dur à cuire
et le réchauffement actuel sensible surtout en milieu hypercontinental
ne laffecte que superficiellement ; au contraire, il sépaissit
dans le secteur péri-atlantique Nord, comme le montre la croissance
des coins de glace, ce qui est bien reflété par la modélisation
climatique présentée par H. Le Treut. Par contre, à
linverse, en Yakoutie, lessentiel de la fonte du pergélisol
est dorigine anthropique régionale et est lié au défrichement
forestier : Les Yakoutes, embourbés par cette dégradation
importante du pergélisol, alias le thermokarst, rêvent dun
nouveau Petit Age Glaciaire
Une coordination des recherches est assurée par lAssociation
Internationale du Pergélisol (IPA) (www.soton.ac.uk/ipa) avec un
certain nombre de programmes à visée climatique tels que
ITEX, CALM, PACE et surtout le Global Geocryological Database (nsidc@kryos.colorado.edu).
Des cartes de la répartition actuelle du pergélisol et des
cryosols peuvent être obtenues à lUS Geological
Survey (ftp://ftp.ngdc.noaa.gov/Snow_Ice/permafrost/IPA_map/).
En France, ces études ont été supportées en
partie par les financements de GDR dans le cadre du CNRS, de lINSU-CNRS
et de l'IFRTP.
Contact :
Brigitte Van Vliet-Lanoë
Sédimentologie et géodynamique
Université Sciences et technologies de Lille
59655 Villeneuve d'Ascq Cedex
Brigitte.Van-Vliet-Lanoe@univ-lille1.fr
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