Extrait de la Lettre
n°11 du Programme International Géosphère Biosphère-Programme
Mondial de Recherches sur le Climat (PIGB-PMRC)

1
- Variance interannuelle de l'accroissement du CO2 dans
l'atmosphère.

2
- Inversion des anomalies interannuelles des flux globaux océaniques
et biosphériques.
|
Au cours des 20 dernières années, environ la moitié
des émissions de CO2 fossile sest accumulée dans latmosphère,
lautre moitié ayant été absorbée par
locéan et les surfaces continentales. Toutefois, les changements
interannuels de taux daccumulation du CO2 dans latmosphère
sont du même ordre de grandeur que la valeur moyenne décennale.
Quelles en sont les causes?
La
variabilité interannuelle du cycle du carbone
Les fluctuations du taux daccumulation du CO2 dans latmosphère
résultent de variations des termes sources océaniques et
biosphériques, parce que les émissions fossiles évoluent
lentement dans le temps, et donc fluctuent peu. Plusieurs études
antérieures pour déterminer quel réservoir (océan
ou biosphère continentale) et quelles régions causent les
variations interanuelles du taux de croissance dans latmosphère
ont produit des résultats. Lanalyse de la tendance du 13C
et du CO2 a conduit à diagnostiquer des variations très
importantes, de lordre de plusieurs GtC par an, à la fois
sur les flux océaniques et sur les flux continentaux divergents
[Francey et al.1995 ; Keeling et al. 1995]. Au contraire, les modèles
de carbone océanique et les mesures pression partielle du CO2 dans
locéan (DpCO2) suggèrent que le flux global océan
atmosphère varie peu dune année sur lautre [Lee
et al. 1998,]. Par ailleurs, les modèles biogéochimiques
des écosystèmes continentaux simulent de grandes variations
interannuelles des flux, mais diffèrent entre eux lorsque ces anomalies
sont décomposées en processus (par exemple au niveau des
rôles respectifs des fluctuations de photosynthèse et de
respiration) [Gérard et al. 1999, Kindermann et al. 1996]. La modélisation
inverse des mesures de CO2 atmosphérique a été utilisée
jusquici pour estimer la distribution moyenne des puits, mais rarement
leur variabilité interannuelle. Cest dans cette optique que
nous utilisons ici la modélisation inverse.
Le
modèle inverse
Nous avons développé un modèle inverse qui assimile
20 années de mesures atmosphériques, principalement celles
du réseau NOAA/CMDL. Notre objectif était détudier
les variations interannuelles, plutôt que destimer la valeur
moyenne décennale des puits et sources de carbone. La plupart des
120 stations de mesure du CO2 en atmosphère de fond
sont situées dans la couche limite marine. Elles sont ainsi influencées
directement par les échanges air-mer, et plus indirectement par
les flux sur les continents. Quelques stations toutefois, à proximité
ou à lintérieur des continents (stations au sol dans
des déserts, profils verticaux) contiennent a priori plus dinformation
sur la variabilité des flux continentaux. Lanalyse de la
variance des enregistrements du CO2 (Figure 1) montre que le signal interannuel
sexprime plus fortement dans latmosphère sur les continents
que sur les océans. Cela suggère que les anomalies interannuelles
des sources continentales ont une amplitude plus importante que celles
des sources océaniques.
Le modèle inverse qui a été développé
pour cette étude optimise les sources et puits de CO2 sur une vingtaine
de régions du globe en minimisant une distance entre le champ de
concentration simulé par un modèle tridimensionnel de transport
atmosphérique et les observations aux stations. Le pas de temps
de linversion des flux est de un mois, et les concentrations de
CO2 des mesures sur flacons ou in situ sont aussi agrégées
en moyennes mensuelles. En revanche, le pas de temps du transport atmosphérique
sur chaque point de grille est de 6 heures. Les flux inversés contiennent
les émissions de CO2 fossile et les sources naturelles océaniques
et biosphériques. Toutefois, les flux fossile sont soustraits des
résultats de linversion car leur valeur pour chaque pays
est connue avec une assez grande précision, à laide
de statistiques énergétiques annuelles. Un certain nombre
de tests de sensibilité ont été réalisés
sur les résultats de linversion (jeu de stations de mesure,
paramétrisation du transport à grande échelle, erreurs
de lébauche des sources, erreurs sur les observations, etc
).
Quelques
résultats
Comparaison des flux continent/océan
Sur la période 1980-1998, les flux continentaux ont une variabilité
dont lamplitude est environ deux fois supérieure à
celle des échanges air-mer (Figure 2), ce qui confirme lanalyse
qualitative de la Figure 1 (pages couleur). Les anomalies des flux de
carbone ont une amplitude pic à pic de 5 GtC pour les continents
et de 2,5 GtC pour les océans, comparée au puits moyen global
sur la période 1980-98 de 3 GtC a-1. Contrairement aux études
basées sur lanalyse des isotopes du carbone, notre inversion
des mesures de CO2 ne produit pas danticorrélation systématique
entre les flux océaniques et biosphériques.
Linfluence
dEl Niño
Dans locéan, aucune des 8 régions que nous avons considérées
(Austral 50°S< < 20°S, Austral < 50°S, Pacifique
Equatorial, Atlantique + Indien Equatorial, Pacifique > 50°N, Pacifique
<50°N, Atlantique idem) ne contribue plus significativement que
les autres à lanomalie globale de la Figure 2. La Figure
3 présente les anomalies de flux sur le Pacifique Equatorial, une
région relativement bien couverte par les mesures de DpCO2, où
la variabilité de type El Niño contrôle les flux air-mer.
Linversion reproduit lobservation dun puits anormal
durant les phases El Niño de 1982-83, 1986-87 et 1997-98, et dune
source anormale durant les épisodes La Niña. Les simulations
du modèle global (pronostique à léquateur)
de carbone océanique OPA-HAMMOC3 sont en assez bon accord avec
les anomalies de flux inversées à partir desmesures atmosphériques,
mais ont un retard de phase allant jusquà 6 mois.
Linfluence
des régions tropicales, tempérées et boréales
Sur les continents, les résultats de linversion montrent
que les régions tropicales dominent la variabilité interannuelle
globale des flux (Figure 2) durant les années 1980. Au contraire,
durant les années 1990, les écosystèmes tropicaux
et les zones tempérée et boréale contribuent chacun
environ à 50 % de la variabilité des flux continentaux.
Durant les années 1980,
les écosystèmes tropicaux sont une source anormale de carbone
en 1984-85, 1987-88, et 1998, soit en léger retard de phase avec
les indices El Niño (Figure 3). On remarquera que les anomalies
de flux inversées représentent la somme de tous les processus
qui contrôlent le bilan physiologique des écosystèmes
: latmosphère intègre, sans pouvoir les identifier
séparément, les fluctuations interannuelles de photosynthèse
et de respiration, de combustion de biomasse, des changements dutilisation
des sols, etc
LAmazonie apparaît, parmi les autres continents
tropicaux, être une région où les fluctuations interannuelles
des flux de carbone sont particulièrement fortes. Il faut cependant
souligner que les résultats de linversion des données
atmosphériques sur les continents tropicaux ont une forte incertitude,
en raison du manque de stations de mesure en Afrique et en Amazonie, et
à cause du transport convectif qui dilue le signal
des flux de surface par rapport aux stations au sol.
Les
années 92-93
Les masses continentales de lhémisphère Nord exercent
une influence prépondérante sur les anomalies des flux de
carbone au cours des années 1990. Une diminution abrupte du taux
de croissance du CO2 sest produite en 1992-93 aux moyennes latitudes
de lhémisphère Nord. Nous avons inversé ce
signal en termes dune absorption anormale sur les continents de
lordre de 1.4 GtC par an. Il semble que ce puits additionnel soit
principalement situé en Amérique du Nord, comme le confirme
une analyse des données aux stations (Figure 4, voir pages couleur).
Cette séquestration de carbone en Amérique du Nord durant
1992-93 est de courte durée, puisquelle est suivie dune
source du même ordre de grandeur en 1994-95. Une deuxième
anomalie négative des taux de croissance du CO2 atmosphérique
est observée entre 1995 et 1997, qui semble être liée
cette fois à une absorption à la fois en Amérique
du Nord et en Eurasie.
Développement
futur
Pour interpréter les résultats des inversions et les relier
aux processus de surface, il sera nécessaire dutiliser des
modèles pronostiques du cycle du carbone continental, qui intègrent
les processus biogéochimiques ainsi que limpact des activités
anthropiques. Un des développements prioritaires des recherches
sur le cycle du carbone est de relier les approches inverses intégrées
à lextrapolation des flux sur différents écosystèmes.
Pour affiner le diagnostic
des inversions, il sera nécessaire en outre daméliorer
la résolution des modèles de transport et de réaliser
de nouvelles mesures en atmosphère continentale (tours très
hautes, avions
). En Europe et aux Etats Unis, se développent
de tels systèmes dobservation du CO2 en atmosphère
continentale qui permettront au cours des années à venir
de mieux élucider les causes de la variabilité des sources
et puits biosphériques.
http://www.ipsl.jussieu.fr/~mrsce/index.html
http://www.bgc-jena.mpg.de/public/carboeur
Contact :
Philippe Ciais LSCE
UMR 1572 (CEA-CNRS)
Bat 709
CE L'Orme des Merisiers
91191 Gif sur Yvette
ciais@lsce.saclay.cea.fr
|